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Magnin et l’ineffable Pinuche l’accompagnent. Je m’avance vers eux.

— Tiens, v’là le trio Royco, fais-je…

Bérurier se précipite vers un arbre dont il se met à compisser le pied avec une générosité qui éloigne de son entourage toute idée de prostate.

— Y a de la verdure, dans le coin, brame-t-il.

Je regarde Pinaud.

— Dis donc, il est blindé, le Gros, non ?

— Oui. Il a été invité à déjeuner par son copain le coiffeur, tu sais, l’amant de sa femme ? Et depuis il a beau boire des petits blancs il n’arrive pas à se dessaouler…

— Qu’est-ce qui parle de saouler ? interroge Béru qui revient de son arbre avec son pantalon défait…

— J’ai demandé du renfort, pas des ivrognes ! fais-je d’un ton glacé, tandis que Magnin rit sous cape[46].

Le gros a des yeux injectés de sang et son haleine ferait reculer une ménagerie.

— C’est… heug… pour moi que tu dis ça ? fait-il d’une voix outragée !

— Pour qui serait-ce, bougre de sac à vin !

— C’est honteux ! J’ai jamais été saoul de ma vie… Je voudrais me saouler que je n’y arriverais pas…

— Ta gueule ! Fais ce que je te dis et respire moins fort, on dirait que t’as bouffé un cimetière !

Il se renfrogne. Je fais claquer mes doigts agiles afin d’attirer l’attention de mes équipiers.

— Voilà où nous en sommes, dis-je. Il y a dans cette propriété six personnes. L’une d’elles est un traître et détient des documents. Ceux-ci sont bien cachés, car notre coupable sait qui je suis et a dû prendre ses précautions. Il s’agit de le forcer à aller à la cachette, vous mordez ?

Magnin et Pinaud opinent. Bérurier éructe, ce qui revient au même.

— Alors vous allez suivre mes instructions à la lettre, dis-je…

CHAPITRE XII

C’est un SECRET pour personne seule

Il me faut un bon quart de plombe pour affranchir mes pieds nickelés de mes desiderata ![47] Dans l’état euphorique de ma grosse gonfle de Bérurier, c’est plutôt coton de lui faire apprendre un rôle. Il est tellement congestionné qu’on dirait qu’il va éclater. Il y a un jaune d’œuf entier sur sa cravate et le col de sa chemise qui fut blanche dans un passé très ancien est agrémenté d’éclaboussures de vin du plus pittoresque effet. De temps à autre il passe sur ses lèvres violettes une langue de bœuf trouée comme ses chaussettes et si écœurante qu’un tigre affamé préférerait s’inscrire à la ligue des végétariens plutôt que de se la tortorer.

Ayant dressé un solide plan de campagne, je quitte mes archers afin de les laisser jouer.

Je contourne la bicoque pour rentrer et, en attendant que se déclenche le gros bidule, je vais vérifier si les deux hémisphères de Martine sont toujours accrochés là où il faut.

Elle paraît toute triste, la pauvrette. Elle me dit qu’elle a du chagrin de ce qui est arrivé à Thibaudin. Il était maniaque, ronchon, râleur, exigeant, mais elle avait pris l’habitude de marner pour lui et elle avait appris à l’estimer… Son cafard rejoint le mien. Une fois encore, j’adresse à Celui d’en haut qui tire les ficelles des pantins que nous sommes une fervente prière pour le prompt rétablissement du vieux savant…

Nous sommes en train d’essuyer nos pleurs respectifs lorsque le trio Parapluie fait une entrée très remarquée pour donner son récital.

Pinuche, dans sa gabardine souillée, ressemble à un épouvantail qui en aurait eu sa claque de faire le pied de grue dans un champ de maïs. Sa moustache élimée ressemble à deux petits morceaux de ficelle noués bout à bout sous son nez torturé. Son chapeau gondolé, ses falzars en tire-bouchon et le pan de sa chemise qui sort du grimpant complètent harmonieusement sa silhouette up to date. S’il n’y avait pas le petit Magnin, sec et strict pour rétablir l’équilibre, on prendrait mes deux boy-scouts pour des clodos de la Maube en rupture de boîtes à ordures !

Pinuche qui, en sa qualité d’inspecteur Principal, se croit autorisé à prendre les initiatives qui s’imposent, va droit au gardien.

— Inspecteur Principal Pinaud, déclare-t-il d’une voix caverneuse.

Là-dessus il éternue, ce qui agrémente aussitôt son nez d’une stalactite que son interlocuteur considère avec indécision.

— Réunissez-moi tout le personnel, poursuit Pinaud, j’ai une communication importante à faire…

Le gardien déhote en faisant fissa, impressionné par cette armada de pieds plats. J’en profite pour apparaître, avec la taille de Martine à l’intérieur du bras droit.

Bérurier pose sur le beau couple que nous formons un regard plus lourd qu’un sac de pommes de terre.

— Y en a qui s’en font pas, bredouille-t-il.

Je le fustige d’un œil sec. Il met une soupape de sûreté à son moulin à débloquer.

— Qui êtes-vous ? me demande Magnin, jouant les poulardins sans se marrer.

— Le garçon de laboratoire du Professeur Thibaudin.

— Et Mademoiselle ?

— Sa secrétaire…

— Veuillez attendre ici que tout le monde soit réuni.

La convocation des États Généraux ne tarde pas à s’effectuer.

Nous voilà tous groupés dans le hall. Pinaud prend alors la parole.

— Mademoiselle, attaque-t-il galamment, Messieurs, j’ai une pénible nouvelle à vous apprendre… Le Professeur Thibaudin a été victime d’une tentative d’empoisonnement…

Rumeur dans l’assistance. Chacun regarde les autres avec stupéfaction. Pinuche, satisfait de son effet oratoire, enchaîne :

— Nous avons pu l’interroger un peu à l’hôpital et il nous a fait certaines révélations de la plus haute importance. De ces dernières, il appert que l’invention qu’il mettait au point se trouverait en danger…

Pinaud, dit Pinuche, dit la Pinette, se gargarise de ce mot « appert » qui lui confère une certaine culture, du moins le croit-il très fermement.

Il lisse le bout de sa moustache miteuse dans les poils de laquelle adhèrent un reliquat de sauce tomate et des brins de tabac.

Puis, très noble dans sa simplicité, il continue :

— Quelqu’un, parmi vous, saurait-il où se trouve le coffre secret de M. Thibaudin ? Il aurait placé à l’intérieur des documents très circonstanciés que nous devons récupérer au plus tôt.

Le regard terne du père Pinuche parcourt l’assistance muette. Nous secouons négativement la tronche. Non, personne ne sait où se trouve le coffre, du moins c’est ce que tendent à assurer nos faces soucieuses et figées.

— Eh bien, fait Pinaud, mes collègues et moi-même allons procéder t’à une fouille complète du laboratoire… Il est dommage que Monsieur le Professeur Renaudin…

— Thibau… heug… din, rectifie Béru qui, malgré son ivresse, a une mémoire plus solide que son collègue.

— … Que Monsieur le Professeur Thibauchin, voulais-je dire, continue emphatiquement la Pinette, ait perdu connaissance avant que d’avoir pu nous révéler l’emplacement dudit coffre…

Il a fini. Une sueur généreuse perle à son front de vieux rat minable… Pinaud époussette une poussière imaginaire sur le col ignoble de sa gabardine qui donnerait des cauchemars à un teinturier.

— Mademoiselle, Messieurs, en attendant les résultats de nos investigations (il trébuche sur le terme, mais passe outre[48]), je vous serais reconnaissant de ne pas quitter la propriété… L’encours suit sa quête !

Bérurier lui touche le bras :

— Qu’est-ce que tu débloques ? fait-il.

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46

Rire sous cape est un exercice très périlleux qui nécessite un entraînement forcené. Certains téméraires qui voulurent rire sous cape sans préparation moururent d’étouffement. Nous conseillons aux débutants de rire à la dérobée pour commencer, c’est la méthode qui prévaut chez les pickpockets.

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47

Mot tiré d’une chanson militaire : « C’est pas de la soupe c’est du desiderata » !

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48

Passer outre, se dit surtout dans les caravanes.