— Hein ?
Pinuche se ravise.
— Je voulais dire : l’enquête suit son cours, excusez-moi, la fourche m’a langué ! Bon, conduisez-nous au laboratoire ! demande-t-il au gardien.
Les trois équipiers filent le train au bull-dog. Nous restons entre « employés » à nous regarder un bon moment. Je ne sais pas si vos maigrichonnes cellules grises vous permettent de piger, mais c’est maintenant, les gars, qu’on doit vérifier si ce bijou de San-Antonio est vraiment le superman réputé du Cap Nord à la Terre de Feu, ou bien s’il n’est qu’une vieille savate éculée. Parce que, mettez-vous dans l’épiderme de Monsieur X.
Que pense-t-il en ce moment ? Que ça va chauffer d’ici peu pour sa pomme reinette ! Les commentaires choisis du père Pinaud ont dû l’inquiéter… Cette histoire de documents enfermés dans le coffre lui bouffe la cervelle. Il a les chocottes que les enfants de troupe de la Maison Poulardin mettent la main sur la planque… Pour s’assurer du Chizboque, il va grimper à l’étage au-dessus et mater ce qui se passe dans le labo par le voyant des toilettes ! Pas plus duraille que ça ! Il suffisait de créer cette situation… L’essayer c’est l’adopter, faites vos jeux ! La couleur qui sort est la couleur gagnante !
Attendons…
Nous restons groupés un petit moment, à faire les commentaires qui s’imposent. Puis c’est la dislocation… Pour ma part, je sors et vais m’embusquer derrière le rosier touffu qui flanque le perron ; de ma planque, je peux voir ce qui se maquille dans le hall…
Le gros Berthier sort peu de temps après moi et passe à mes côtés sans soupçonner ma présence… Il se dirige vers l’annexe de sa démarche sautillante d’obèse… Planchoni le suit bientôt. Il le hèle, l’autre l’attend dans l’allée, et les deux collègues s’éloignent dans l’ombre en parlant de ce qui se passe.
Berger et ses tics commente la même question, je suppose, avec Duraître… Martine me cherche, ne me trouve pas et monte… Oh ! Oh ! qu’est-ce à dire ? Elle est suivie de Minivier… Du coup, je n’hésite plus. Je réapparais dans le hall et m’engage dans l’escalier… Je m’applique à ne pas faire grincer les marches… Je vois ma petite môme d’amour pénétrer dans sa chambre… Ouf, j’ai eu chaud… Minivier, par contre, va droit aux « ouatères ». Le San-Antonio n’est pas du tout dévalué, mes chéris… Il tient son cours en bourse, vous le voyez ! N’avait-il pas, par recoupements successifs et pertinents, accroché un énorme point d’interrogation à la personnalité du jeune médecin ?
J’attends qu’il soit entré dans les toilettes et qu’il ait refermé la porte… Je n’ai plus qu’à attendre maintenant en montant la garde devant cet endroit peu romantique.
Quelques minutes s’écoulent… Un bruit caractéristique et très niagaresque retentit. Minivier sort en ajustant ses fringues. Il est fortiche pour donner le change, seulement c’est l’enfance de lard !
— Alors, doc, fais-je en lui barrant la route, on vient de faire sa petite inspection !…
Il me toise sans paraître comprendre.
Je sors mon pétard, un gros machin tout noir qui vous crache des noyaux de prunes longs comme ça !
Il pâlit et a un mouvement de recul.
— Sage ! je grogne, tu es fait, mon gars…
Nature, le voilà qui me joue l’acte deux de « Je suis un innocent ».
Fallait s’y attendre.
— Qu’est-ce que c’est que cette plaisanterie ? demande-t-il d’une voix pointue…
— C’est la fin d’une plaisanterie, mon lapin… Allez, oust, tes pognes, inutile de faire du mélo, je te dis que tu es fait !
— Mais enfin, c’est insensé…
Tandis qu’il proteste, je lui passe le cabriolet.
Il regarde ses poignets enchaînés comme si c’était la première fois qu’il voyait des mains.
— Ah ! ça, allez-vous m’expliquer ?
— Pas de salades, tu sais très bien que je suis de la police !
— Vous !
— Oh ! finis de jouer les candides, tu ne fais pas vrai ! Allez, descends…
Il ne bronche pas. Ses mâchoires sont crispées.
— Vous allez m’enlever ça immédiatement, sinon il vous en cuira !
— Cause toujours, mon petit Pasteur ! Je te répète qu’il est inutile de nier…
Pour le confondre, je le pousse d’un coup de genou dans le réduit qu’il vient de quitter. Je vais à l’orifice du plancher et j’aperçois mes bons potes en train de farfouiller sans ardeur le laboratoire…
— Ça t’a rassuré, de voir l’incompétence des flics, hein, Trognon ?
Il se penche à son tour.
— Qu’est-ce que c’est que ça ?
— Un gentil travail d’optique, Monsieur l’astronome !
— Mais…
— Viens…
— Vous ne pensez pas que je me suis amusé percer le plancher ?
— Non, je ne pense pas que ce soit par jeu que tu l’aies fait !
Malgré ses protestations, je l’entraîne au rez-de-chaussée. Je dis au bull-dog éberlué d’avertir mes hommes, et le trio Parapluie se radine…
— Suffit, les enfants, la ruse a réussi… Embarquez-moi ce loustic dans la bagnole, je vous rejoins…
Bérurier, qui commence à se dessaouler, met un ramponneau-express au plexus de Minivier qui se casse en trois. Le Gros est très farceur. Dès qu’il voit un inculpé, il faut qu’il le chahute un brin pour s’entretenir la pogne. Un jour, il a cassé la frite d’un juge d’instruction de province qu’il avait pris pour un malfrat.
Minivier cesse de bramer à l’erreur judiciaire. Il paraît accablé. Lorsqu’il s’est éloigné, escorté par mes sbires, je me tourne vers Berger et Duraître qui ont assisté à l’arrestation sans piper.
— Voilà, leur dis-je… Le coupable est arrêté… La Justice est triomphante… Vous pouvez aller dans vos appartements. Suivant l’état de santé du Professeur, je vous dirai ce que vous devrez faire… Allez prévenir vos collègues.
Ensuite, je vais rejoindre les miens.
Ils sont tous les trois dans la bagnole avec Minivier qui ne moufte pas. Je dis à Magnin de sortir pour me laisser sa place. Il le fait et en profite pour allumer une cigarette de la Régie Française des tabacs.
Je me mets à l’avant, près de Pinaud. Béru est installé aux côtés de notre prisonnier.
— Avant de vous embarquer, Monsieur Minivier, dis-je, j’aimerais récupérer les documents que vous savez. Voulez-vous avoir l’extrême obligeance de m’indiquer où ils se trouvent ?
— Je vous répète que vous faites fausse route, déclare le jeune médecin. J’ignore tout de cette affaire…
Il n’a pas le temps d’en dire plus long. Béru vient de lui coller un revers de main qui a écrasé les lèvres du jeune toubib.
— Bouscule pas le docteur, dis-je, chiquant à la bonne âme… Il n’est pas sensible à ces procédés brutaux, pas vrai, doc… Je suis certain que vous allez parler sans nous obliger à ces pénibles voies de fait !
— Parler pour clamer mon innocence, murmure le jeune gars à travers les deux limaces sanglantes qui lui servent de lèvres…
C’est pas une mauviette, malgré son aspect fragile. Il sait bien que tant que je n’aurai pas la main sur les documents, il pourra nier, car il m’est impossible de faire la preuve de sa culpabilité.
Je décide de lui faire le grand jeu. Pour commencer, une nuit au placard spécial de la grande cabane lui fera du bien.
— Emmenez ce client chez Plumeau, dis-je à mes subordonnés… On l’interviewera demain ! Toi, Pinaud, reste avec moi !
Le Vieux descend en maugréant.
Je cède ma place à Magnin et le convoi s’ébranle. Je ne souhaite à personne la gâche de Minivier. Faire un voyage dans ces conditions, avec un Bérurier rendu maussade par la gueule de bois, c’est une remise assurée de cent ans de purgatoire !