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Je raccroche. Je sais qu’il viendra. Ça n’est pas la première fois que je fais appel aux talents particuliers du père Landolfi. Le vieux rital est renaudeur comme point, mais il ne voudrait pas me jouer « Cruelle absence »… Il y a une dizaine d’années, je l’ai crevé dans une affaire où il avait joué un rôle secondaire… Mais les durs de son espèce ne gardent jamais rancune à un Royco de lui avoir filé la paluche au colback. Ils savent que c’est la règle du jeu.

Pinuche fait une entrée discrète dans le burlingue du Prof. Il éternue violemment, chaque fois on dirait qu’il explose.

— T’as pris froid ? m’enquiers-je…

Il fait un signe négatif qui a pour résultat de projeter l’une de ses stalactites sur le mur le plus proche.

— Ce sont les beuilles, dit-il, le nez obstrué.

— Quoi ?

— Les beuilles tes arbres ! En zette zaizon, elles zont une oteur qui be bonte au nez !

— Tu devrais ramper…

Il hausse les épaules. Puis, d’une voix geignarde :

— Tis, qu’est-ze qu’on vait ? Boi j’ai vaim !

— Tu as faim ?

— Foui.

— Demande à la jeune fille de te préparer un en-cas !

— Où est-d’elle ?

— Sa chambre est au second, la première lourde après l’escadrin.

Pinuche s’éloigne… Je reste en compagnie de mes pensées. Celles-ci sont de plus en plus nombreuses et insistantes. L’atmosphère de cette propriété commence à me peser vachement. Moi qui aime l’action, je supporte mal cette longue claustration, ce climat lourd, ce mystère bizarre, à facettes, devrais-je dire, qui n’a jamais le même aspect…

Je perçois des clameurs dans l’escalier…

Et j’identifie sans mal la voix chevrotante de mon collaborateur.

— San-Antonio ! Arribefite ! Arribefite !

Je m’élance, comprenant qu’il vient de se produire du nouveau.

Pinaud se tient au sommet de l’escalier, le chapeau en bataille, la morve étirée, le regard flottant.

— La jeune fille, fite !

Je cours à l’escalier en criant au bull-dog de surveiller l’entrée du labo…

Pinaud me chuchote à l’oreille.

— Je grois qu’elle est emboisonnée !

Seigneur ! Qu’est-ce que ça veut dire, ça encore !

J’entre en trombe dans la chambre où je me complus naguère à batifoler[51]. Mon regard embrasse[52] un spectacle déprimant.

Martine est allongée sur le parquet. Elle est secouée de spasmes terribles et vomit comme tous les passagers d’un ferry-boat un jour où la Manche débloque. Pas de doute, quelqu’un se l’est farcie au barbiturique…

Je me précipite et je la saisis dans mes bras…

— On va vite l’embarquer à l’hosto, dis-je à Pinuchet… Soutiens sa tête…

Et nous voilà partis avec ce délicat chargement. Le veilleur de noye en est une fois de plus médusé[53].

Nous faisons fissa à travers le parc jusqu’à ma voiture… Et fouette cocher : en route pour l’hosto. Décidément on les fait marner dur, les carabins d’Évreux… Ils vont appeler des renforts si ça continue.

Le diro s’apprêtait à monter dans sa voiture lorsque je stoppe dans un miaulement de freins qui ferait croire à l’arrivée du cirque Barnum. Il s’avance vers moi.

— Vous venez prendre des nouvelles, mon cher ?

— Oui et non. Je vous amène surtout une nouvelle cliente !

Il nous regarde sortir Martine.

— Que lui est-il arrivé ?

— Je pense qu’elle a été empoisonnée. Mais ça ne doit pas être le même poison que pour le Professeur car elle a des nausées violentes alors que lui n’en avait pas…

Il donne des instructions pour faire transporter la jeune fille dans une chambre. Puis il entre à la suite de la malade en nous priant de l’attendre.

— Qu’est-ce que ça veut dire ? demande Pinaud…

— J’aimerais le savoir. Qui a pu l’empoisonner, et pourquoi ? Sait-elle quelque chose que le vrai coupable voulait l’empêcher de révéler ?

— Peut-être s’agit-il d’un accident ?… propose mon éminent collègue dont le calme aime se satisfaire d’explications naturelles.

Le médecin-chef revient.

— Je ne crois pas que ce soit grave, dit-il… Le pouls est normal… Le fait qu’elle ait vomi l’a sans doute sauvée… On va lui faire un lavage d’estomac.

— Faites analyser ses déjections, je recommande. Et dès qu’elle aura repris connaissance, prévenez-moi !

— Entendu.

— Comment va le Professeur ?

— Le toxicologue de Paris s’occupe de lui, mais très franchement il est impossible de se prononcer… Il est toujours dans un demi-coma… On a l’impression qu’il réalise ce qui se passe, mais il n’a pas la force de se manifester… Demain sera décisif…

— Je vous ai déjà dit que je voulais qu’on le sauve ! Docteur…

Je commence à l’agacer.

Il me le fait savoir d’un haussement d’épaules.

Landolfi n’est pas encore arrivé lorsque nous sommes de retour à la propriété. Le hall est encombré par Messieurs les assistants qui commentent avec énervement les multiples incidents de cette journée fertile en incidents.

L’empoisonnement de Thibaudin, la disparition des documents, l’arrestation de Minivier, l’empoisonnement encore de Martine, c’est plus qu’il n’en faut pour perturber l’existence de braves et paisibles savants…

Braves et paisibles ? Savoir… M’est avis que je me suis gourré sur toute la ligne. Le vrai coupable se trouve parmi ceux-ci. C’est l’un de ces quatre hommes qui a empoisonné Martine, Minivier n’étant plus là !

Lequel ? Le gros Berthier ? Le petit Berger à ressorts ? Le taciturne Planchoni ? Ou bien… Duraître, mon confident ? Si jamais c’était lui, je ne croirais plus du tout en mon fameux instinct.

J’évoque brusquement l’attirail photographique de Berger… Pourquoi n’ai-je pas repris le dessus après qu’il m’a eu mis K.O. pour essayer de lui faire dire ce qu’il avait dans le bide ?

Enfin, je suis toujours à temps de m’occuper de lui maintenant. Mais auparavant[54] je veux savoir ce que contient le coffre de Thibaudin…

Justement, le gardien du portail radine, escortant Landolfi. Le vieux rital porte un costar d’alpaga gris clair, tout taché, un feutre à larges bords et il a troqué sa légendaire béquille contre une canne pourvue d’une tige métallique sur quoi peut s’appuyer l’avant-bras.

— Ce monsieur veut vous parler, déclare le garde.

Je m’avance vers le malfrat, la main tendue.

— Salut, Lando, c’est chic à toi d’être venu… Dis donc, t’as fait des frais, te voilà sapé comme un dandy…

Il sourit.

— Faut soigner son standing de nos jours M. le Commissaire…

— Arrive, je veux te montrer quelque chose.

On s’enferme tous les deux dans le labo et je lui montre le coffre. Il a pigé. Pourtant je le chambre un peu.

— Landolfi, pendant cinquante piges, t’as été le roi du coffre blindé. Tu possèdes un toucher d’accoucheuse et même les ricains ont fait appel à tes dons, d’après ce que je me suis laissé dire…

Il rosit de plaisir…

— Oh, vous me faites trop d’honneur, Monsieur le Commissaire…

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51

Comme aurait écrit la marquise de Sévigné qui s’y connaissent.

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52

On embrasse ce qu’on peut.

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53

Comme disaient les naufragés d’un certain radeau.

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54

Comme disent les Chinois qui sont des spécialistes.