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— Ça va, restez couvert, Monsieur le Baron !

Redevenant grave, je lui désigne le coffre.

— Faudrait t’expliquer avec ce Monsieur-là, mon gars. Je vais te rancarder sur ce que je sais de sa vie privée : le bouton moleté est à quatre combinaisons de chiffres et quatre de lettres. Le type qui se servait de lui changeait tous les jours de combine. Il prenait tantôt les lettres ; tantôt les chiffres… Et il composait, autant que possible des mots cohérents et des nombres fastoches à retenir… Alors, amuse-toi…

Je tire une chaise à moi et m’assieds à califourchon dessus. Landolfi sort des lunettes à monture de fer de sa poche et en chausse son nez pointu. Puis il extrait de son portefeuille un petit morceau de peau de daim… Il s’astique le bout des doigts de la main droite dessus, très longuement… Ceci, je le sais, afin d’affûter son sens tactile ultradéveloppé.

Il se penche enfin sur le bouton moleté. Il examine pendant dix bonnes minutes ce simple objet comme si c’était un kaléidoscope à l’intérieur duquel il peut voir des choses pharamineuses… Ensuite il se met à le tripoter doucement, doucement, de ses doigts si sensibles. Il a le masque ravagé par l’attention. Sa bouche entrouverte exhale un souffle très court, très haletant…

Lorsqu’il a bien caressé le bouton[55], il se met à le tourner dans un sens puis dans un autre, très légèrement. Ce gars-là serait capable de peindre sur des bulles de savon !

Ça dure un bout de temps. Je transpire d’énervement. Dans le silence du labo, on ne perçoit que le bruit de nos respirations inégales et le menu cliquetis du bouton moleté.

Enfin Landolfi se redresse. Il pose ses lunettes et décrit plusieurs mouvements de manivelle avec son bras droit, pour le désankyloser.

— Ça ne va pas ? fais-je, inquiet.

— Mais si, dit le vieux truand, ça y est…

— Comment, ça y est ?

— Vous pouvez ouvrir…

J’en reste asphyxié. Comment sait-il qu’il a réussi ?

Je saute de ma chaise et je vais saisir la lourde du coffre. Elle s’ouvre en effet sans opposer la moindre résistance.

Je me tourne vers Landolfi. Appuyé sur sa canne à changement de vitesse, il me considère de ses petits yeux malins.

— Toi, lui fais-je, t’es une épée !

Je sors mon portefeuille et je pique deux grands formats célébrant la jeunesse du sieur Bonaparte.

— Chope ça et décarre, je le mettrai sur ma note de frais…

Il repousse les biftons.

— Pas entre nous, M’sieur le Commissaire… Quand on peut se rendre des petits services réciproques, on ne doit pas se les faire payer. On est sur terre pour s’entraider…

J’éclate de rire.

— Bougre de vieux farceur, va !

Il cligne des yeux et part en claudiquant…

Lorsque la porte du labo s’est refermée sur lui, je me penche sur le coffre et je saisis la chemise de bristol emplie de papiers qui s’y trouve. L’idée que je tiens dans mes robustes mains une invention aussi considérable me fait trembler d’émotion.

Je dépose la chemise sur le marbre d’une table à manipulation. Je l’ouvre et je reste knock-out debout : elle ne contient que des feuilles de papier blanc…

C’est dur à piger. C’est dur à admettre… Pourtant je dois convenir que lorsque le roi des céhoènes mourra, comme il s’agit d’une monarchie constitutionnelle, je pourrai espérer lui succéder ! D’un geste rageur, je flanque les paperasses dans la corbeille.

CHAPITRE XIV

Il n’y a plus de SECRET

— Tu es tout pâle, observe Pinaud, on ne t’aurait pas empoisonné, toi aussi ?

— Si, lui dis-je. On m’a empoisonné l’âme… Il secoue la tête.

— Si ce n’est que l’âme, c’est pas dangereux. Ce mot « empoisonnement » calme ma fureur et me fait songer à la petite môme Martine. Comment lui a-t-on fait avaler le bocon, au fait ?

Je décide de grimper à sa chambre. J’ai besoin pendant un moment d’oublier cette sacrée chiatique invention. Je ne veux plus penser au secret du coffre. Son secret, c’était justement de ne pas en contenir. Il était placé là pour capter l’attention. Il m’obnubilait et ce n’était qu’une boîte à papiers !

Donc, j’escalade les marches et j’entre dans la chambre de la jeune fille. Il y flotte une odeur pénible. Je me dégrouille d’aller ouvrir la fenêtre pour aérer un peu…

Ensuite, je regarde autour de moi, cherchant un indice quelconque qui pourrait me mettre sur la voie. Ce poison, il a bien fallu le véhiculer jusqu’à l’estomac de la petite. Alors, comment l’empoisonneur s’y est-il pris ?

J’ai beau chercher, je ne vois ni verre, ni bouteille, ni tasse… Rien ! Je fouille la pièce, j’explore le cabinet de toilette : en vain…

Chaviré par l’odeur, je vais m’accouder à la croisée… La nuit est immobile. On entend un rossignol qui joue dans les taillis à Marino Marini. Tant de paix me trouble. Comment le drame peut-il croître et se multiplier dans ce calme quasi céleste ?

Mon regard soudain est attiré par quelque chose de brillant dans l’herbe, sous la croisée… Je fixe attentivement cette direction, mais je n’arrive pas à me faire une opinion quant à la nature dudit objet. Le mieux c’est d’aller regarder de près.

Je descends et je vais sous la fenêtre de Martine. Je constate alors que ce qui brillait n’était pas d’or, mais de verre puisqu’il s’agit d’un petit flacon caressé par un petit rayon de lune. Je le ramasse et porte le goulot à mes narines… Ça me fait froncer à la fois le tarin et les sourcils…

J’examine attentivement ma trouvaille et il se passe alors dans ma centrale portable un phénomène de cristallisation…

Oui, tous les éléments épars, tous les faux pas, toutes les pensées saugrenues que j’ai eus précédemment se mettent à danser une ronde effarante sous ma coiffe et prennent une place qui leur était assignée depuis longtemps…

Je cavale en galopant dans le laboratoire… Je ramasse dans la corbeille à fafs le dossier contenant les feuillets blancs et je me trotte jusqu’à ma voiture…

Pinuche radine à ce moment-là, porteur d’un formidable sandwich qu’il a réussi à dénicher quelque part.

— Où vas-tu ?

— À l’hosto… Que font ces bons Messieurs ?

— Ils se couchent…

— Très bien… Le sommeil est le meilleur des passe-temps Attends-moi, je reviens, et ne laisse partir personne…

Nouveau trajet à fond de ballon jusqu’à l’hôpital d’Évreux où mes arrivées en trombe commencent à être connues…

Une infirmière en chef sort, furax.

— Dites donc, hurle-t-elle, vous devriez penser que des malades dorment ! En voilà des façons de freiner…

— Criez pas comme ça, M’dame ! imploré-je, j’ai eu une fissure au tympan et vous allez la faire péter !

Elle ne prise pas la plaisanterie[56].

— Malhonnête !

Je m’élance dans les couloirs…

— Où allez-vous ? crie-t-elle.

— Aux fraises, j’ai justement apporté une échelle…

Vous savez comme mon sens de l’orientation est développé. Bien que j’aie été passablement désorienté ces trois jours, je retrouve aisément la chambre de Martine.

Une infirmière assez moche de hure, mais assez bien carrossée pourtant, se lève.

— Monsieur ? fait-elle…

— Comment se porte notre malade ?

— Mais…

— Police !

— Ah ! Eh bien je crois qu’elle est hors de danger…

— Je le crois aussi, dis-je…

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55

Pourquoi riez-vous ?

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56

Du reste les femmes ne prisent plus beaucoup de nos jours. Et elles ne reprisent pas davantage.