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Je m’avance vers le lit où Martine repose, les yeux clos.

Je chope le couvre-lit et le jette par terre.

— Mais qu’est-ce que vous faites ? s’écrie l’infirmière.

En guise de réponse, je rabats les couvertures de Martine. Cette dernière ouvre les yeux. Elle paraît me reconnaître ! D’une toute petite voix elle soupire…

— Oh ! c’est toi, mon chéri…

Je me penche sur elle, je la chope comme un sac de linge sale et je la fous par terre.

Le brouhaha est inexprimable. L’infirmière crie à la garde, Martine pousse des glapissements suraigus… Brèfle, c’est le gros patacaisse !

Moi, je soulève son oreiller, puis son matelas… Et je trouve alors ce que j’étais certain d’y trouver : un étui pour pigeon voyageur… J’ouvre celui-ci… Il contient un très petit rouleau de papier argenté. Je le palpe, c’est mou… Je sais ce que c’est…

Affalée sur la couvre-pointe, Martine paraît beaucoup moins malade, et beaucoup moins gentille. Ses yeux sont aussi cordiaux que ceux d’un lion qui s’est fait prendre la queue dans l’engrenage d’un moulin à café.

L’infirmière qui était sortie en courant revient escortée de deux solides infirmiers. Comme les manipulateurs de chairs malades s’apprêtent à me foncer dessus, je leur montre mon feu.

— Stop, je suis de la police et j’arrête cette gonzesse, remisez vos biscotos, les gars !

On s’entend très bien, eux et moi. Surtout que l’attitude de Martine est éloquente.

Galant, je l’aide à se redresser. Elle s’assied sur le lit.

— Maintenant, lui dis-je, faut passer à la caisse, ma jolie… J’ai tout pigé !

Je tire de mon mouchoir le flacon trouvé au bas de sa fenêtre.

— Tu as été un peu hâtive, tu vois… Si tu avais envoyé ce flacon dans un fourré au lieu de le jeter simplement dans l’herbe, je n’aurais sans doute rien découvert…

Elle me regarde, intéressée malgré sa fureur véhémente.

— De l’ipéca ! poursuis-je… C’est-à-dire un vomitif très puissant et vieux comme mes robes ! Tu l’as avalé toi-même… Regarde, il y a encore des traces de ton rouge à lèvres après le goulot. C’est ça qui m’a ouvert les yeux… Tu étais la seule bonne femme du pavillon, je ne pouvais pas me tromper !

Elle a un sale sourire.

— Hum, très fort, le policier… Et alors, qu’est-ce que ça prouve ?

Je la gifle. Ça fait un petit moment déjà que j’en ai envie et on ne doit jamais se refouler trop longtemps, après ça vous colle des complexes…

— Crâne pas, fillette…

Et votre San-Antonio génial de continuer son brillant exposé.

— Quand tu as vu la maison occupée par la police, tu as compris qu’on allait passer la boîte au peigne fin… Alors tu as voulu planquer tes films, hein ?

Je fais sauter le rouleau de papier argenté dans ma main.

— Des microfilms… Tu as un appareil photo minuscule… Un truc bidon que je dénicherai bien, maintenant que je sais… Peut-être est-ce une broche truquée, peut-être…

Elle lève son poignet.

— Ce n’est qu’une montre, Monsieur le flic !

— Parfait, mignonne, ça m’évitera de chercher… Donc, tu avais les films des travaux du Prof et tu voulais les évacuer. Seulement, si tu avais quitté la maison par des voies normales, ça aurait attiré l’attention de Messieurs les poulets, hein ? Alors tu as joué les empoisonnées. Comme ça, ce sont les bignolons eux-mêmes qui t’emmenaient… Et ils ne pensaient pas à te fouiller, ma belle, vu que tu avais l’air d’une pauvre victime…

Elle sourit encore.

— Exact…

— Vois-tu, fais-je, lorsque j’ai découvert la lentille dans le plancher…

Elle a un haut-le-corps.

— Mais oui, je l’ai trouvée, tu vois ! À partir de cet instant j’ai fait mille suppositions, mais quelque chose me chiffonnait. Je me disais que pour photographier le travail du Vieux, il fallait se trouver en permanence près du judas, or personne dans la maison, pas même toi, ne pouvait se barricader dans les gogues à longueur de journée, of course ! C’est ce soir que j’ai pigé…

Elle a un tressaillement des paupières.

— Oui, amour joli, j’ai compris ça itou…

Et j’y vais de ma grosse trouvaille.

— Thibaudin est un maniaque, on l’a dit cent fois… Un forcené de la prudence… Il avait tellement les chocotes qu’on chourave son invention que non seulement il bouclait ses papiers dans un coffre secret, mais, de plus, il les transcrivait à l’encre sympathique !

Ce travail-là, il l’effectuait le soir, lorsque tout le monde était couché ; ou du moins, lorsque Thibaudin croyait que tout le monde était couché. Mais toi, à ce moment-là, toi qui habitais dans la maison… toi qui surveillais ses faits et gestes, tu allais prendre position près du trou du plancher et tu photographiais ces fameuses notes qu’il mettait bien en évidence devant lui pour les recopier. Tu pouvais prendre tout ton temps, pas vrai, chérie ?

Elle soupire.

— Dix sur dix, Commissaire. Je ne vous croyais pas si fort.

— Dès le premier jour, tu as su qui j’étais parce que tu as assisté de ton judas à ma visite du labo avec Thibaudin, pas vrai ?

— Oui.

— De même, le coup des pigeons était magnifique… Tu t’es aperçue sans mal de la substitution… Nous avions, de nuit, commis une grave erreur avec la couleur des pattes… Tu as vu l’occasion rêvée de nous pousser à des décisions extrêmes…

Je m’assieds sur le lit.

— Dis-moi, tu te doutais que nous allions liquider le Prof ?

— Naturellement…

— En agissant ainsi, tu l’empêchais d’achever ses travaux…

Elle a un indéfinissable sourire… Je la secoue.

— Il les avait finis, hein ?

— Oui, dit-elle, depuis déjà huit jours…

— Mais pourtant…

Son curieux sourire s’accentue.

— Il était en pourparlers pour les céder à une puissance étrangère…

Je me mets à hurler :

— Tu mens !

— Non. Vous savez que ses fils ont été tués… Ce que vous ignorez c’est qu’ils sont morts dans un bombardement américain… Le Professeur en avait une haine forcenée pour les Américains. En vieillissant, ça tournait à l’idée fixe… Il savait que, par le jeu des alliances, la France communiquerait sa découverte aux U.S.A. Il s’y refusait… Il préférait la donner aux autres…

Soudain le problème change d’aspect.

— Ce qui veut dire que toi, tu travailles pour l’Occident ?

Elle sourit.

— Je travaille pour une organisation qui vend à qui paie le mieux.

— Ah bon… Je vois…

La révélation qu’elle vient de me faire, touchant la traîtrise du Vieux, me secoue.

— Tu es sûre de ce que tu avances au sujet de Thibaudin ? Il voulait remettre aux Russes sa découverte…

— Oui. J’ai surpris une communication téléphonique qu’il a eue avec l’ambassade soviétique… Il a téléphoné le jour de votre arrivée en demandant d’annuler un certain rendez-vous…

Je reste un moment sans penser… Vous savez, on a comme ça, après de trop fortes périodes de tension nerveuse, des passages à vide.

— Bon, habille-toi ! On rentre à Paris…

— Qu’allez-vous faire de moi ?

— Je l’ignore, mes Chefs décideront…

ÉPILOGUE

Le lendemain matin, je suis dans le bureau du Vieux. Il est tout sourire.

— Mon cher San-Antonio, bravo sur toute la ligne.

— Merci, Patron…

Je demande :