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— En France, fais-je, les précautions sévères ne le sont jamais ! Nous ne savons pas être des gardes-chiourme.

— C’est bien dommage pour nos intérêts, soupire le Vieux.

Il croise ses paluches et fait craquer ses jointures.

— Enfin, essayons pourtant de nous défendre.

— Les recherches ont lieu dans un laboratoire privé gardé par des policiers en civil. Afin d’éviter, — du moins le croyait-on —, des fuites, les savants qui travaillent dans ce laboratoire ont consenti à passer à la fouille chaque soir avant de partir. Thibaudin, le Professeur à qui on doit la découverte en question, est un maniaque du secret. Il surveille lui-même la fouille de ses collaborateurs… L’opération se passe de la façon suivante : chaque jour en arrivant, les assistants du Professeur se déshabillent entièrement et traversent un couloir de verre pour se rendre du vestiaire où ils ont laissé leurs effets à un second vestiaire où ils revêtent des vêtements de travail…

— Bon, ceci est un point.

Le Vieux promène une langue étroite et pâle sur son absence de lèvre.

— Second point, Thibaudin est le seul à connaître les formules de son invention. Celles-ci sont consignées naturellement par écrit pour le cas où il lui arriverait malheur avant la mise au point de l’antidote atomique (auquel il a déjà donné le nom provisoire d’Antiat). Les documents sont enfermés dans un petit coffre mural très perfectionné dont il est le seul à posséder la combinaison… Aucun de ses collaborateurs, mêmes les plus directs, n’est capable de transcrire la formule qui se trouvait sur ce papier… Voilà le problème…

Je me gratte l’occiput.

— C’en est un, en effet !

— Bon ; eh bien, puisque vous avez levé le lièvre, ou plutôt le pigeon, — très satisfait, il prend un temps pour me faire apprécier la saillie[8] — c’est à vous que je confie le soin d’élucider ce mystère, San-Antonio…

Mince d’honneur. Je lui octroie une courbette à quatre-vingt-dix degrés.

— Le laboratoire a été aménagé dans une grande propriété située près d’Évreux, dans un coin isolé de la forêt… J’ai prévenu Thibaudin, il vous attend avec impatience… Je crois que vous devrez procéder en souplesse, car il serait maladroit de donner l’éveil au traître…

— Faites-moi confiance, Chef !

— Je sais…

Il a un aimable sourire qui en dit long comme Bordeaux-Paris sur l’estime en laquelle il me tient.

Avant de calter, je voudrais lui poser une question délicate. Je crains qu’il la prenne en mauvaise part.

— Dites, Patron…

— Oui ?

— Avant de démarrer l’enquête, je voudrais me libérer le cerveau d’une vilaine idée qui viendrait à l’esprit de n’importe qui.

Avant que j’aie fini de parler, il a pigé.

— Thibaudin ?

— Voilà. Je n’ai jamais vu un homme aussi psychologue que vous !

Le compliment tiré à bout portant se traduit sur sa surface corrigée par une vague de rougeur. Il devient plus rouge que les locataires du Kremlin.

— Écartez carrément Thibaudin de votre liste des suspects. Je le connais depuis longtemps. C’est un grand patriote…

Le voilà qui part dans le panégyrique du savant. Capitaine d’active au cours de la guerre 14–18, médaille militaire, croix de guerre… Des citations longues comme ma jambe ! La France lui doit des flopées de découvertes utiles, telles que la crème contre le feu du rasoir, et le sérum parabellum contre la maladie des serins, équétera, équétera… Il a perdu deux fils à la dernière guerre, il a fait de la résistance, il a une Légion d’Honneur qui lui descend jusqu’au mollet ; bref c’est un Grrrrrand Français, bien qu’il ne mesure qu’un mètre soixante-cinq. Et puis, argument massue, s’il avait voulu cloquer sa découverte à une nation étrangère il pouvait le faire sans que personne n’en sache rien avant de fiche son pays dans le coup, pas vrai ? C.Q.F.D., comme on dit au M.R.P., au R.G.R., à la S.F.I.O., au P.M.U. et à l’U.M.D.P.

Je prends congé du Vieux, nanti des renseignements complémentaires. Je fonce dans mon bureau pour y récupérer mon imper, car dehors il sauce comme dans la cour d’une caserne de pompiers un jour de grande manœuvre.

Pinuche est en train d’écrire à sa table. Il tourne une ronde agrémentée de petits motifs tout plein zizis. On dirait que ses lettres sont velues.

Devant lui, sont étalées une vingtaine d’étiquettes comportant toutes le mot « COING ».

Je me penche sur son œuvre.

— Tiens, fais-je, tu n’utilises que l’alphabet à poil long ?

Il secoue la tête.

— Ma femme fait ses confitures aujourd’hui… Je prépare les étiquettes pour les pots.

Il pose son porte-plume et se masse le poignet.

— T’as la crampe de l’écrivain, Pinuche ?

— La ronde, ça fatigue, explique-t-il.

Il se lève pour exécuter quelques mouvements de décontraction. Ce faisant il renverse son encrier sur les étiquettes calligraphiées.

Comme il ne s’est pas aperçu du sinistre, je m’abstiens de le lui signaler ; il est cardiaque sur les bords, et ça me ferait de la peine de le voir mourir !

Je m’aperçois avant de sortir qu’il a boutonné son pantalon suivant une manière qui lui est chère, c’est-à-dire qu’il a fixé le bouton du bas à la boutonnière du haut. Je lui désigne le tunnel ainsi ménagé.

— Ferme ça, Pinuche, il ne faut jamais trop aérer la chambre d’un mort !

Il bougonne en rétablissant l’ordonnance de sa mise.

— À propos de mort, fais-je, il était bon, le pigeon ?

— Non, trop coriace… On l’a donné à la concierge.

— Tu as trop bon cœur, Pinaud ; ta générosité te perdra !

CHAPITRE III

J’entre dans le SECRET

Apparemment, rien ne signale le laboratoire de Thibaudin à l’attention du promeneur, si ce n’est le nombre de voitures rangées autour de la propriété. On dirait qu’une réception y est organisée en permanence. Et pourtant, ce qui frappe, en second lieu, c’est le silence qui y règne.

La maison est une construction de deux étages, bâtie pour un ancien B.O.F. prétentiard qui a voulu une tour, histoire de se donner des idées de noblesse. C’est fou ce que le blason torturait les gars au siècle dernier. Au point qu’ils souhaitaient tous s’appeler Dupont, afin de se cloquer une particule.

Le bâtiment est niché au milieu d’un parc aux pelouses négligées. Le tout est cerné de murs rébarbatifs. C’est, je pense, ce qui a décidé Thibaudin à y installer son centre de recherches.

Je stoppe ma tire le long du mur et d’un pas allègre je franchis la grille.

Je n’ai pas fait quatre enjambées qu’une voix hargneuse me pétrifie.

— Hep, là-bas !

Je fais volte-face, comme on dit au Fiacre, et je découvre une sorte de vieux parapluie à mine rébarbative.

C’est le gardien. Ancien truand, je vous le répète, ça se voit à sa frime rapiécée comme une vieille chambre à air, à son naze écrasé, à ses étiquettes en haillons et plus encore à son regard en virgule.

Je le défrime complaisamment.

— Où allez-vous ? s’informe-t-il en s’avançant vers moi d’une démarche chaloupée.

— J’ai rancard avec le professeur Thibaudin.

Et je produis un laissez-passer en bonne et due forme. Il l’étudie scrupuleusement, comme un général de corps d’armée le fait d’une carte d’État-major avant d’envoyer ses zouaves au casse-pipe. Puis il hoche sa tête sans cou et me fait signe qu’il est d’accord.

Croyez-moi, les meilleurs anges, ce sont les anciens démons. Mordez Vidocq, par exemple. Ancien bagnard, truand patenté… Pédigrée à plusieurs feuillets, mais le jour où il s’est mis à en croquer il est devenu chef de la poule ! Voilà comment on fait les bonnes grandes maisons. Le mal par le mal, c’est la thérapeutique reine.

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8

Comme on dit dans les haras.