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Je ne sourcille pas.

— Très bien, Monsieur le Professeur, ce sera comme vous voudrez…

— Vous demanderez une blouse blanche à Martine, elle en a un stock !

— Il s’agit de votre secrétaire ?

— Oui. Une fille très sympathique, vous l’avez vue, c’est elle qui vous a introduit ici…

« À charge de revanche », pensé-je.

— Très sympathique en effet, Monsieur le Professeur. Puisque vous me parlez de cette jeune fille, abordons la question des suspects. Combien de personnes vous entourent ?

— Cinq, plus ma secrétaire…

Je sors un papier de ma fouille et je cramponne un stylo.

— Nommez-les moi, je vais faire un petit topo pour m’aider à les situer…

— Eh bien ! par ordre d’importance, j’ai les docteurs Minivier et Duraître qui sont mes élèves. J’ai en eux la plus entière confiance…

Je laisse flotter les rubans… La question de confiance, je connais ça mieux qu’un Président du Conseil.

— Ensuite ?

— Trois manipulateurs qui ont des diplômes de pharmaciens flambants neufs…

— Et qui se nomment ?

— Berthier, Berger et Planchoni.

— En somme, vous êtes entouré de jeunes ?

— Oui. J’ai foi en la jeunesse. C’est elle qui doit ouvrir la nouvelle route… J’avais deux fils…

Une ombre de tristesse, comme on dit dans les romans pour jeunes vierges en transes, passe sur sa figure. Mais il renonce à me déballer ses malheurs. D’un haussement d’épaule résigné, il rejette le passé dans son dos.

— Vous connaissez au moins ces trois jeunes gens ?

— Ils m’ont été recommandés par des collègues à moi qui furent leurs maîtres.

— Donc, a priori, tous sont également dignes de confiance !

— Mais oui, hélas…

— La secrétaire ?

— Voilà six ans qu’elle est à mon service. Une gentille enfant. Elle n’a pas accès au coffre où sont enfermés les documents…

Il va pour parler encore mais je l’arrête.

— Attendez, Monsieur le Professeur, procédons par ordre. Quels sont les travaux de chacun de vos assistants ?

— J’ai démultiplié en quelque sorte mon champ de recherches. Je dois vous dire que mon invention est basée sur l’utilisation de l’énergie solaire. Minivier et Planchoni font un travail d’astronomie selon les directives très précises que je leur donne. Duraître et les deux autres manipulateurs se chargent de l’aspect chimique de la question. Moi je suis le lien ; le commun dénominateur…

— La nature de leurs travaux respectifs peut-elle amener les uns ou les autres à reconstituer l’ensemble de vos recherches ?

— Absolument pas. Si un élève des Beaux-Arts possédait la palette de Picasso, il ne peindrait pas des toiles de Picasso pour autant, n’est-ce pas ? Ceci pour vous faire comprendre…

— Oui, j’ai compris. Mon chef m’a dit qu’il existait une fouille très sévère ?…

— Ah oui. Ce n’est pas une règle absolue, cela concerne les chimistes seulement. Je leur confie certains produits extrêmement rares que j’ai découverts et auxquels je tiens comme à mes yeux. Étant d’un naturel méfiant, j’ai institué cette fouille minutieuse. Ils s’y sont pliés apparemment de bonne grâce, bien que ce soit injurieux au fond !

Tu parles ! Je me demande comment il s’y est pris pour opérer sans que les gars aient envie de lui flanquer leurs éprouvettes à travers la terrine.

Je le lui demande, il s’explique.

— Mon cher, la diplomatie est l’art de savoir présenter les choses saumâtres. J’ai pris chacun à part en lui expliquant que je prenais cette précaution à cause des deux autres.

— Bravo.

Il secoue la tête.

— Voilà, c’est tout.

— Ces gens habitent où ?

— Mais ici… Il y a, au fond du parc, deux pavillons préfabriqués afin de loger tout le monde, je n’ai pris que les deux garçons libres à dessein, pour pouvoir les garder sous la main…

— La secrétaire ?

— Elle habite dans le pavillon même !

— Et vous aussi, naturellement ?

— Bien sûr… Je dors au-dessus de mon laboratoire.

— Qui s’occupe de votre ménage ?

Il rit pour de bon cette fois.

— Mon ménage ! J’habite une chambre de célibataire et je prends mes repas avec tout le monde au réfectoire… C’est Martine qui se charge de porter mon linge et de le ramener…

— Je vois. Maintenant, si vous voulez me montrer les lieux…

Il hésite.

— Attendez ce soir. Je vous ferai visiter l’installation en détail, ce sera plus facile. En attendant, installez-vous. Martine va s’occuper de vous.

— Avec plaisir, fais-je.

Et croyez-moi, les potes, je suis sincère !

CHAPITRE IV

Le SECRET de plaire

Me voici pris en charge par la môme Martine. Avec un guide commak, je suis partant pour Paris-by-night et la visite des Châteaux de la Loire !

On réitère la balade dans les couloirs. Je remarque qu’elle est allée se recoiffer pendant que je discutais le bout de gras avec Thibaudin. De plus, elle a mis un col Claudine pardessus son pull-over bleu… Elle est bien sanglée dans sa blouse blanche et on suit sa géographie comme si on y était.

— Où allons-nous ? m’enquiers-je, lorsque nous sommes à distance suffisante du bureau directorial.

— À la réserve…

— Méfiez-vous…

— Pourquoi ?

— Je serais capable de sortir de la mienne…

Elle me fait l’hommage d’un sourire pour ce bon mot[15] ; puis, sérieuse soudain, elle demande :

— Alors, vous êtes garçon de laboratoire ?

— Oui, pourquoi, ça vous surprend ?

Elle me coule un regard ardent qui liquéfierait le Mont-Blanc.

— Un peu… Vous ne faites pas du tout garçon de labo.

— Qu’est-ce que je fais, alors, garçon-laitier ?

Elle secoue la tête. Son regard est de plus en plus goulu. J’ai idée que son séjour dans cette grande baraque perdue, où la science est souveraine, lui a crédité le pétrousquin d’un gros retard d’affection.

Nous parvenons à la réserve, une grande pièce triste au rez-de-chaussée, en deçà de l’escalier. L’endroit est encombré de caisses non ouvertes et comporte deux vastes placards. Martine en ouvre un et je découvre une pile de linge.

— On use beaucoup de blouses ici, dit-elle.

— Ah oui ?

— À la chimie, je ne sais pas trop ce qu’ils manipulent, mais ils en font une consommation effrénée.

Tout en parlant, elle a pris une blouse qu’elle déplie. J’ôte ma veste et enfile le vêtement de « travail ». Il est trop juste pour moi.

— Vous avez des épaules terrifiantes, admire la donzelle.

— Pas mal, merci.

— Ce que vous devez être fort…

— À votre service…

On essaie le modèle au-dessus. Il me va à peu près. Je m’examine dans un méchant miroir piqué et je constate que je ressemble plus à un masseur qu’à un assistant chimiste.

La fille m’observe d’un œil attentif.

— On dirait que c’est la première fois que vous mettez une blouse, dit-elle. Vous semblez tout surpris…

Décidément, il va falloir que je me méfie de sa sagacité ; elle m’a l’air dégourdoche, la poulette. C’est fou ce que les bergères ont le renifleur aiguisé. Vous croyez leur vendre des salades et elles vous attendent patiemment au virage en ayant l’air de vous prendre pour de pauvres cloches.

Je m’abstiens de répondre à sa question.

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15

Car indéniablement c’en est un, n’est-ce pas ?