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CHAPITRE V

Après les SECRETS d’alcôve…

Quand elle a repris ses esprits et moi mon bénard, nous échangeons quelques baisers et reprenons la conversation.

La petite séance de heurg-heurg-zim-boum[21] nous a fatigués et ravis. Franchement, je suis content de nous. Pour un peu, je me pincerais l’oreille pour me le dire. Je ne sais pas si vous êtes comme moi, vous qui n’avez peut-être qu’un point de suspension dans votre slip-kangourou, mais chaque fois que je viens de rendre mes devoirs à une personne du sexe diamétralement opposé au mien, je me sens meilleur. C’est un peu comme si j’avais justifié mon existence vis-à-vis du Créateur…

Je tends la main vers la bouteille de cassis.

— Tu permets, Tendresse ?

Elle me colle un mimi hydraté sur la poitrine. Ça me file une petite secousse agréable qui se répercute dans ma moelle.

— Tu es ici chez toi, fait-elle…

Du coup, je bois à même le goulot.

Ensuite, je vais me vider un verre d’eau fraîche dans le tube pour chasser le sirop…

— Dis, Martine, tu ne trouves pas que c’est sensas, nous deux ?

— Formidable, admet-elle, je n’ai jamais connu un tel bonheur, mon loup !

Le « mon loup » me fait renauder in-petto ; j’aime pas les petits noms d’amour, ça fait mièvre. Quand une gonzesse me balance des « petits choux », des « grands fous » et autres « lapin joli », j’ai automatiquement envie de lui mettre une baffe dans la poire ; que voulez-vous, c’est physique. Je supporte pas la mièvrerie. L’amour, d’abord, ça se dit pas, ça se fait.

— Pff, murmuré-je, tu ne trouves pas que la nuit est lourde ? Si on la pesait, on se rendrait compte qu’elle a pris du poids depuis tout à l’heure. J’ai bien envie d’aller faire un tour…

— Alors tu auras droit aux questions du gardien de nuit. Il ne peut pas supporter qu’on prenne l’air après le couvre-feu !

— Espère un peu, je lui dirai deux mots…

Je vais sortir lorsqu’une question me vient à l’esprit.

— À qui sont les voitures de l’entrée ?

— Mais, aux collaborateurs du Vieux, et il y a aussi la sienne.

— Ils ne vont jamais faire un viron la nuit, hors de la propriété ?

— Non. Ils ne s’en vont que pour le week-end, comme moi…

— Et où habitent-ils ?

— Paris, je crois, ou les environs…

Ne voulant plus pousser l’interrogatoire après les merveilleux instants que nous venons de savourer, je la quitte sur un ultime mimi qui couperait la respiration à un spécialiste de la pêche sous-marine.

Le gardien de nuit n’est pas une sentinelle bidon. J’ai beau faire molo, ma présence le fait se dresser sur son lit de camp.

Il me braque dans le portrait le faisceau d’une formidable torche électrique.

— Qui va là ? demande-t-il, suivant la plus pure tradition.

— Baissez votre calbombe, mon vieux, je rétorque, vous allez me causer un décollement de la rétine…

Il n’obéit pas pour autant. Il se lève et va actionner le commutateur. Son regard méfiant me jauge sans aménité.

— Où allez-vous ?

— Faire un tour dans le parc. J’ai une piaule de deux mètres carrés, faut que j’ouvre la porte pour enfiler ma veste, c’est vous dire… Moi qui ai tellement besoin d’oxygène pour subsister.

Mon baratin ne l’émeut pas. Ce gnafron-là a une figue sèche à la place du cerveau.

Il ricane à tout hasard parce qu’il a vu que ça se faisait dans les productions d’Hollywood.

— Vous savez, ici, c’est un lieu de recherches, pas un terrain de promenade.

— Voulez-vous dire que moi, l’assistant du Professeur Thibaudin, je n’ai pas le droit de me balader dans le parc ?

— Ce que je veux dire, c’est qu’on m’a mis ici pour voir si tout était normal. Et je ne trouve pas normal qu’un employé se promène à des heures induses.

— Alors, écrivez à vos supérieurs un rapport circonstancié, mon petit, et cessez de me courir sur le grand zygomatique parce qu’alors je commence à voir rouge, n’étant pas daltonien, et je vous fais bouffer votre cravate sans boire.

Sur ce, sans plus m’occuper de lui, je tire le verrou de la porte d’entrée et je calte dans la touffeur de la nuit où flottent les parfums d’asphodèle.

Je mets le cap sur les bâtiments préfabriqués. Je voudrais me rendre compte de visu si tout est O.K. de ce côté. Ces cinq messieurs sont l’X majuscule de l’affaire. Pas de doute, je vous parie un coq au vin de messe que l’espion, (j’appelle un chat un chat comme disait Casanova) se trouve parmi ces cinq personnages…

Tout en remontant le sentier herbu qui va du pavillon à ces annexes, je prends les mesures de la situation. Celui qui a chouravé la formule s’est servi d’un pigeon pour l’adresser à qui de droit. Pourquoi utiliser un mode de transport aussi périmé ? Hein ? Eh bien, je vais vous le dire, bande de constipés des cellules… C’est parce qu’il était pressé, parce qu’il ne voulait pas sertir de l’enceinte de la propriété. Conclusion, il y a eu et il y a peut-être encore des pigeons voyageurs dans les environs…

Où ces bestiaux peuvent-ils être planqués ? Un pigeon ne passe pas inaperçu : il fait du ramdam avec ses roucoulanches… Donc, le colombier improvisé est éloigné des bâtiments…

Je fais le tour du parc, prêtant l’oreille pour étudier les multiples bruissements de la noye ; mais je ne perçois pas plus de roucoulades que de symphonie de Beethoven dans les couloirs du métro. En fait de volaille, je ne perçois qu’un rossignol qui s’égosille sous les frais ombrages…

J’arpente le parc une fois encore, m’arrêtant au pied de chaque arbre, mais c’est négatif… Maussade, je regagne ma chambre. En passant, le gardien, dont la rage fait peine à voir, me fustige d’un ton peu amène :

— Tout de même !

Je lui souris tendrement.

— Vous devriez vous méfier, mon vieux, je parie que vous prenez une encolure de chemise de deux numéros trop faible. Vous êtes tout rouge. Un de ces jours, vous claquerez étouffé et on mettra ça sur le compte de l’apoplexie.

Il crache un : « Faites pas trop le malin » qui donnerait des maux de tête à un éléphant. Je n’en ai cure[22].

Sur un salut plein de grâce et de désinvolture, je prends congé du bull-dog.

Ma chambrette d’amour paraît encore plus petite à la lumière électrique ; il y règne une chaleur étouffante[23].

Je me dépoile entièrement, j’ouvre en grand le vasistas[24] et je fume la suprême cigarette de la journée, le buste émergeant du toit.

À cette hauteur, il fait doux. Un vent léger comme une main de masseur caresse les frondaisons du parc. Le ciel est, comme dirait un écrivain sans imagination mais épris de poésie, « clouté d’étoiles », pourtant on ne voit pas la lune. Elle est partie sans laisser d’adresse, ou peut-être est-elle allée acheter des croissants dans son premier quartier ?

J’achève ma sèche à regret, mais je décide de ne pas m’en octroyer une autre. Allez, au dodo !

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21

En français dans le texte.

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22

Expression qui vient de Vichy.

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23

À notre époque où le monde achève de se déroitiser, le chaud, le froid, une grande animation sont les rares éléments qui puissent encore régner. Ceux qui seraient contristés par cet état de chose n’ont qu’à téléphoner pour tous renseignements à DANTON 17–89.

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24

Mot allemand signifiant « qué zaco ».