20.
Calfo fit tournoyer une nouvelle fois le fouet, qui vint s'écraser sur ses omoplates. La discipline métallique, qu'il ne prescrivait à la Société qu'en de rares occasions, est une tresse de cordelettes parsemées de petites sphères d'aluminium. Normalement, le sang doit perler vers le verset 17 du psaume Miserere – qui sert en quelque sorte à cette pénitence de sablier. Au vingt et unième et dernier verset, il est de bon ton que quelques gouttes rouges ricochent sur le mur derrière le flagellant.
Cette mortification rappelait les trente-neuf coups de fouet reçus par Jésus avant sa crucifixion. Administré par un robuste légionnaire, comportant des billes de plomb de la taille d'une olive, le fouet romain labourait les chairs jusqu'à l'os et était souvent mortel.
Alessandro Calfo n'avait pas du tout l'intention de succomber à la flagellation qu'il s'infligeait : c'est un autre qui allait mourir bientôt, à qui cette souffrance offrait mystiquement un témoignage de solidarité fraternelle. Il n'avait même pas l'intention d'entamer la peau délicate de son dos potelé : la fille devait revenir, samedi soir.
« Trois jours avant la “fin de mission” de notre frère devenu sénile. »
Quand il la lui avait adressée, son agent palestinien l'avait prévenu :
– Sonia est roumaine, monseigneur, c'est une fille sûre. Avec elle, vous n'avez pas à craindre les problèmes causés par la précédente... Mais oui, en toute sécurité, bismillah, au nom de Dieu !
Ses années de nonce apostolique en Égypte lui avaient appris la nécessaire négociation entre des urgences contradictoires. Avec une grimace, il se prépara à relancer la discipline vers ses omoplates : car négocier, ce n'est pas céder. Malgré le week-end voluptueux qui s'annonçait avec Sonia, il ne supprimerait pas l'exercice de la discipline, preuve tangible de sa solidarité envers l'un des membres de la Société. Il transigerait entre son amour fraternel et cet autre impératif, l'intégrité de sa peau veloutée : la pénitence durerait seulement le temps d'un De profundis.
Psaume de pénitence, comme le Miserere, et qui conférerait une valeur très satisfaisante à la souffrance qu'il s'infligeait par vertu chrétienne.
Mais le De profundis ne comporte que huit versets, ce qui dure quand même trois fois moins longtemps que l'interminable Miserere.
21.
Nil retira ses lunettes, massa ses yeux qui le brûlaient et passa la main dans ses cheveux gris coupés ras. Toute une nuit passée à éplucher les photocopies du M M M ! Il repoussa son tabouret, se leva et alla retirer la serviette qui obturait sa fenêtre. Les laudes, le premier office du matin, allaient sonner : plus personne maintenant ne s'étonnerait de voir de la lumière dans sa cellule.
À travers les carreaux, il contempla un instant le ciel noir du Val-de-Loire en hiver. Tout était obscur, dehors comme à l'intérieur de lui.
Il retourna devant sa table, et s'assit lourdement. Son corps était mince, de petite taille : il lui sembla pourtant d'un poids démesuré. Devant lui s'étalaient plusieurs piles de notes manuscrites, prises au cours de cette longue nuit, classées soigneusement en tas distincts. Il soupira.
Ses recherches sur l'Évangile selon saint Jean l'avaient amené à découvrir un acteur caché, un Judéen qui apparaissait furtivement dans le texte et jouait un rôle essentiel dans les derniers jours de la vie de Jésus. De lui on ignorait tout, jusqu'à son nom, mais il s'appelait lui-même le « disciple bien-aimé », disait avoir été le tout premier à rencontrer Jésus au bord du Jourdain, avant Pierre. Et s'être trouvé parmi les convives du dernier repas, dans la salle haute – cette salle était certainement située dans sa propre maison. Il racontait qu'il était allongé à côté du Maître, à la place d'honneur. Décrivait la crucifixion, le tombeau vide, avec la manière et les accents de vérité d'un témoin oculaire.
Un homme essentiel à la connaissance de Jésus et des débuts du christianisme, un proche dont le témoignage importait au plus haut point. Curieusement, l'existence de ce témoin capital avait été soigneusement gommée de tous les textes du Nouveau Testament. Ni les autres Évangiles, ni Paul dans ses lettres, ni les Actes des Apôtres ne signalaient son existence.
Pourquoi cet acharnement à vouloir supprimer un témoin de cette importance ? Seul un motif extrêmement grave pouvait avoir motivé son effacement radical de la mémoire du christianisme. Et pourquoi les esséniens n'étaient-ils jamais mentionnés dans les débuts de l'Église ? Tout cela devait se tenir : Nil en était convaincu, et Andrei l'encourageait à suivre le fil mystérieux reliant entre eux des événements qui avaient marqué à jamais l'Histoire de l'Occident.
– Celui que vous avez découvert par l'étude des Évangiles, je crois l'avoir rencontré moi aussi dans le domaine qui est le mien, les manuscrits du IIIe au VIIe siècle.
Assis face à lui dans son bureau, Nil avait fait un bond.
– Voulez-vous dire que vous avez retrouvé la trace du « disciple bien-aimé » dans des textes postérieurs aux Évangiles ?
Andrei avait plissé les yeux dans son visage rond.
– Oh, des indices qui n'auraient pas attiré mon attention si vous-même ne m'aviez tenu au courant de vos propres découvertes ! Des traces presque infinitésimales, jusqu'à ce que le Vatican m'envoie ce manuscrit copte découvert à Nag Hamadi – il fit un geste vers son classeur.
Il regarda pensivement son compagnon.
– Nous poursuivons nos recherches chacun de notre côté. Des dizaines d'exégètes et d'historiens en font autant, sans être le moins du monde inquiétés. À une condition cependant : que leurs travaux restent cloisonnés, que personne ne tente de relier entre elles ces informations. Pourquoi croyez-vous que l'accès à nos bibliothèques est limité ? Tant que chacun se cantonne à sa propre spécialité, il ne risque ni censure ni sanctions : et toutes les Églises peuvent affirmer fièrement que, chez elles, la liberté de penser est totale.
– Toutes les Églises ?
– En plus de l'Église catholique, il y a la vaste constellation des protestants – et parmi eux, les fondamentalistes qui montent actuellement en puissance, surtout aux États-Unis. Puis il y a les juifs, et l'islam...
– Les juifs, à la rigueur – bien que je ne voie pas comment l'exégèse d'un texte du Nouveau Testament pourrait les concerner, eux qui ne reconnaissent que l'Ancien. Mais les musulmans ?
– Nil, Nil... Vous vivez au Ier siècle et en Palestine, mais moi je navigue jusqu'au VIIe siècle ! Muhammad a mis la dernière main au Coran en 632. Vous devez absolument étudier ce texte, sans tarder. Et vous découvrirez qu'il est étroitement lié aux aléas et à la destinée de l'homme dont vous cherchez la trace – s'il a bien existé !
Il y eut un silence. Nil réfléchissait, ne sachant par où reprendre l'entretien.
– S'il a existé... Doutez-vous de l'existence de cet homme aux côtés de Jésus ?
– J'en douterais si je n'avais suivi pas à pas votre propre recherche. Sans le savoir, vous m'avez poussé à scruter, dans la littérature de l'Antiquité, des passages jusque-là restés inaperçus. Sans vous en rendre compte, vous m'avez permis de comprendre la signification d'un obscur manuscrit copte, sur lequel je dois fournir mon diagnostic à Rome – cela fait six mois que j'ai reçu sa photocopie, et je ne sais toujours pas comment tourner mon rapport, tant je suis embarrassé. Rome m'a déjà rappelé à l'ordre une fois, je crains qu'ils me convoquent si je tarde encore.
Andrei avait été convoqué à Rome.
Et n'était jamais plus revenu dans ce paisible bureau.
La cloche tinta dans la nuit de novembre : Nil descendit et reprit sa place habituelle dans le chœur monastique. À quelques mètres sur sa droite, une stalle restait obstinément vide : Andrei... Mais son esprit ne parvenait pas à se fixer sur les lents mélismes de la mélodie grégorienne, il était tout entier dans les manuscrits qu'il venait de passer sa nuit à déchiffrer. Depuis quelque temps, ce qui avait été sa foi pendant toute une vie était taillé en pièces, morceau après morceau.