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Le recteur de la Société Saint-Pie V serait satisfait : la mission commençait bien.

42.

– La réserve est située dans les sous-sols de la Vaticane : j'ai dû demander une accréditation pour toi, l'accès à cette partie du bâtiment est strictement contrôlé – tu comprendras pourquoi quand tu y seras.

Ils longèrent la haute muraille de la Cité du Vatican et pénétrèrent par l'entrée de la via della Porta Angelica où se trouve le principal poste de garde. Les deux suisses en uniforme bleu les laissèrent passer sans les arrêter, et ils traversèrent une succession de cours intérieures, jusqu'à la cour du Belvédère. Entourée de hautes murailles, elle protège la Galerie lapidaire des musées et la bibliothèque du Vatican. Malgré l'heure matinale, on apercevait des silhouettes déambulant derrière les vitres.

Leeland lui fit signe de le suivre et se dirigea vers l'angle opposé. Au pied de l'imposante paroi de la Vaticane, une petite porte métallique munie d'un boîtier. L'Américain tapa un code, et attendit.

– Quelques personnes triées sur le volet possèdent une accréditation permanente, comme moi. Mais toi, tu vas devoir montrer patte blanche.

Un policier pontifical en civil ouvrit la porte, et dévisagea les deux visiteurs d'un air soupçonneux. Quand il reconnut Leeland, il esquissa un sourire.

– Buongiorno, monsignore. Ce moine vous accompagne ? Puis-je voir ses papiers et son accréditation ?

Nil avait revêtu son habit monastique : ici, cela facilite les choses, lui avait expliqué Leeland. Ils entrèrent dans une sorte de sas, et Nil tendit un feuillet aux armes du Vatican. Le policier le prit sans un mot, et s'absenta.

– Les contrôles sont stricts, chuchota l'Américain. La bibliothèque du Vatican est ouverte au public, mais le sous-sol de sa réserve contient des manuscrits anciens accessibles à quelques rares chercheurs. Tu vas rencontrer le père Breczinsky, le gardien du lieu. Étant donné la valeur inestimable des trésors qui s'y trouvent, le pape a nommé à ce poste un Polonais, un homme timide et effacé, mais totalement dévoué au Saint-Père.

Le policier revint, rendit son accréditation à Nil avec un hochement de tête.

– Il faudra montrer ce papier chaque fois que vous viendrez ici. Vous n'êtes pas autorisé à y pénétrer seul, uniquement accompagné par Mgr Leeland, qui a un passe permanent. Suivez-moi.

Un long couloir en pente douce s'enfonçait en oblique sous le bâtiment, et conduisait à une porte blindée. Nil eut l'impression de pénétrer dans une citadelle prête pour un siège. « Ce lieu est enfoui sous les milliers de tonnes de la basilique Saint-Pierre. Le tombeau de l'Apôtre n'est pas loin. » Le policier introduisit une carte magnétique et tapa un code : la porte s'ouvrit avec un chuintement.

– Vous connaissez les lieux, monseigneur : le père Breczinsky vous attend.

L'homme debout à l'entrée d'une seconde porte blindée avait un visage dont sa stricte soutane noire soulignait la pâleur. Des lunettes rondes sur des yeux de myope.

– Bonjour, monsignore : et voici le Français, pour lequel j'ai reçu une accréditation de la Congrégation ?

– Lui-même, cher père. Il va m'aider dans mes travaux : le père Nil est moine à l'abbaye Saint-Martin.

Breczinsky sursauta.

– Seriez-vous par hasard un confrère du père Andrei ?

– Nous avons été confrères pendant trente ans.

Breczinsky ouvrit la bouche comme pour poser une question à Nil, puis se reprit et masqua son trouble par un bref salut de la tête. Il se tourna vers Leeland.

– Monseigneur, la salle est prête : si vous voulez me suivre...

En silence, il les précéda dans une enfilade de salles voûtées, communiquant entre elles par une large ouverture cintrée. Les murs étaient couverts de rayonnages vitrés, l'éclairage uniforme, et un ronronnement signalait le dispositif hygrométrique nécessaire à la conservation des manuscrits anciens. Nil balayait du regard les étagères devant lesquelles ils passaient : Antiquité, Moyen Âge, Renaissance, Risorgimento... Les étiquettes laissaient deviner les témoins les plus précieux de l'Histoire occidentale, qu'il eut l'impression de parcourir tout entière en quelques dizaines de mètres.

Amusé par son étonnement, Leeland chuchota :

– Dans la section musique, la seule dont j'ai l'usage, je te montrerai des partitions autographes de Vivaldi, des pages du Messie de Haendel, et les huit premières mesures du Lacrymosa de Mozart : les dernières notes écrites de sa main, alors qu'il était mourant. Elles sont ici...

La section musique se trouvait dans la dernière salle. Au centre, sous l'éclairage réglable, une table nue recouverte d'une plaque de verre sur laquelle on aurait cherché en vain un seul grain de poussière.

– Vous connaissez les lieux, monsignore, je vous laisse. Euh... – Il sembla faire effort sur lui-même – père Nil, voulez-vous venir dans mon bureau ? Il faut que je vous trouve une paire de gants à votre taille, vous en avez besoin pour manipuler les manuscrits.

Leeland eut l'air surpris, mais laissa Nil suivre le bibliothécaire dans un bureau qui donnait directement sur leur salle. Breczinsky ferma soigneusement la porte derrière eux, prit une boîte sur une étagère, puis se retourna vers Nil, l'air gêné.

– Mon père... puis-je vous demander quelle était exactement la nature de vos relations avec le père Andrei ?

– Nous étions très proches l'un de l'autre – pourquoi ?

– Eh bien je... j'étais en correspondance avec lui, il me demandait parfois mon avis sur les inscriptions médiévales qu'il étudiait.

– Alors... C'est vous ?

Nil se souvint : « J'ai envoyé la photo de la dalle de Germigny à un employé de la Vaticane. Il m'a répondu qu'il l'avait reçue, sans commentaire. »

– Andrei m'avait parlé de son correspondant à la Bibliothèque vaticane, j'ignorais que c'était vous et ne pensais pas avoir l'occasion de vous rencontrer !

La tête baissée, Breczinsky manipulait machinalement les gants contenus dans la boîte.

– Il me demandait des précisions techniques, comme le font d'autres chercheurs : à distance, nous avions établi une relation de confiance. Puis un jour j'ai trouvé, en rangeant le fonds copte, un tout petit fragment de manuscrit qui semblait provenir de Nag Hamadi et n'avait jamais été traduit. Je le lui ai envoyé : il semblait très troublé par cette pièce, qu'il m'a renvoyée sans sa traduction. Je lui ai écrit à ce sujet, alors il m'a faxé la photo d'une inscription carolingienne trouvée à Germigny en me demandant ce que j'en pensais.

– Je sais, nous avons pris la photo ensemble. Andrei me tenait au courant de ses travaux. Presque entièrement.

– Presque ?

– Oui, il ne me disait pas tout, et ne s'en cachait pas – ce qui m'a toujours surpris.

– Ensuite, il est venu ici : c'était la première fois que nous nous voyions, une rencontre... très forte. Puis il a disparu, je ne l'ai plus jamais revu. Et j'ai appris sa mort dans le journal La Croix – un accident, ou un suicide...

Breczinsky semblait très mal à l'aise, ses yeux fuyaient ceux de Nil. Il lui tendit enfin une paire de gants.

– Vous ne pouvez pas rester avec moi trop longtemps, il faut que vous retourniez dans la salle. Je... nous parlerons, père Nil. Plus tard, je trouverai un moyen. Méfiez-vous de tous ici, même de Mgr Leeland.