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Le sénéchal convoqua le moine, et s'enferma avec lui dans l'église de Germigny. Quand il en ressortit, il avait la mine grave, et fit incontinent conduire le moine sous escorte à sa commanderie de Patay.

Le moine érudit y mourut le lendemain. La dalle fut immédiatement recouverte d'une couche d'enduit, et sa mystérieuse inscription disparut des yeux comme de la mémoire du peuple.

Le rituel d'admission dans l'ordre des Templiers comporta désormais un geste curieux, que les novices accomplissaient religieusement : pendant la messe et avant de recevoir leur grand manteau blanc, chacun devait s'agenouiller devant le grand-maître et baisser d'abord le bas de son dos, puis son ventre.

Sans le savoir, le nouveau frère vénérait ainsi l'épître du treizième apôtre, partout pourchassée par la haine de l'Église qu'elle mettait en péril. Contenue maintenant dans les entrailles du grand-maître, qui ne l'extrayait de son étui précieux que pour obtenir sous la menace encore plus de terres, encore plus d'or.

Le trésor des templiers gisait dans les caves de multiples commanderies. Mais la source de ce trésor, sa source inépuisable, était transmise par chaque grand-maître à son successeur, qui la protégeait du rempart de son propre corps.

Sur le bûcher, Jacques de Molay releva la tête. Ils lui avaient fait subir la torture de l'eau, du feu et des étirements, mais ils n'avaient pas fouillé ses entrailles. D'une simple contraction, il pouvait sentir au plus intime de lui-même la présence de l'étui d'or : l'épître disparaîtrait avec lui, l'unique arme des templiers contre les rois et les prélats d'une Église devenue indigne de Jésus. D'une voix étonnamment forte, il répondit à Guillaume de Nogaret :

– C'est sous la torture que certains de nos frères ont avoué les horreurs dont tu m'accuses. À la face du ciel et de la terre, je jure maintenant que tout ce que tu viens de dire des crimes et de l'impiété des templiers n'est que calomnie. Et nous méritons la mort pour n'avoir pas su résister à la souffrance infligée par les inquisiteurs.

Avec un sourire de triomphe, Nogaret se tourna vers le roi. Debout dans la loggia royale qui surplombait la Seine, Philippe leva la main : à l'instant même le bourreau abaissa son bras, plongeant la torche vive dans les fagots du bûcher.

Les flammèches volaient dans l'air jusqu'aux tours de Notre-Dame. Jacques de Molay eut encore la force de crier :

– Pape Clément, roi Philippe ! Avant un an, je vous cite à comparaître devant le tribunal de Dieu pour y recevoir votre juste châtiment ! Soyez maudits, vous et ceux qui viendront après vous !

Le bûcher s'effondra sur lui-même, dans une explosion d'étincelles. La chaleur était telle qu'elle atteignit les berges de la Seine.

À la fin du jour, le curé de Notre-Dame vint prier sur les restes fumants du bûcher. Les archers avaient déserté le lieu, il se trouva seul et s'agenouilla. Puis sursauta : devant lui, au milieu des cendres chaudes, un objet brillait dans la lumière du soleil couchant. À l'aide d'une branche, il le ramena à lui : c'était une pépite d'or, de l'or fondu par la chaleur du brasier, luisante, en forme de larme.

Tout ce qui restait de l'étui qui avait contenu l'épître du treizième apôtre, tout ce qui restait du dernier grand-maître du Temple : tout ce qui restait du véritable trésor des templiers.

Comme beaucoup, le curé savait que les templiers étaient innocents, que leur mort atroce était en fait un martyre : avec dévotion, il posa les lèvres sur la larme d'or, qui lui parut brûlante encore qu'elle ne fût que tiède. C'était la relique d'un saint, l'égal de tous ceux qui ont donné leur vie pour la mémoire de Jésus. Il la confia à l'envoyé du pape Clément, lequel mourut dans l'année.

Après un périple hasardeux, la larme d'or tomba plus tard aux mains d'un recteur de la Société Saint-Pie V. Qui réussit à en connaître la signification, tous les templiers n'ayant pas péri au début du XIVe siècle : rien n'est plus difficile à supprimer que la mémoire.

Ce témoin indirect de la rébellion du treizième apôtre contre l'Église dominante, il le garda précieusement parmi les trésors de la Société.

67.

Le hall d'entrée était en fait le salon d'une vaste demeure patricienne. À deux pas du centre-ville animé, la via Giulia offrait à Rome le charme de ses arcades couvertes de glycines, et de quelques palais anciens transformés en hôtels à la fois familiaux, luxueux et conviviaux.

– Voudriez-vous prévenir M. Barjona que je souhaiterais le voir ?

Le réceptionniste, vêtu de noir avec distinction, dévisagea le visiteur matinal. Un homme d'un certain âge, cheveux grisonnants, vêtements quelconques : un admirateur, un journaliste étranger ? Il pinça les lèvres.

– Le maestro est rentré très tard dans la nuit, nous ne le dérangeons jamais avant...

Avec naturel, le visiteur sortit de sa poche un billet de vingt dollars et le tendit au réceptionniste.

– Il sera ravi de me voir, et si ce n'était pas le cas je vous dédommagerais d'autant. Dites-lui que son vieil ami du club l'attend : il comprendra.

– Qu'est-ce qui te prend, Ari, de me tirer du lit à cette heure, la veille d'un concert ? Et d'abord, qu'est-ce que tu fais à Rome ? Tu devrais couler paisiblement ta retraite à Jaffa, et me laisser en paix. Je ne suis plus sous tes ordres !

– Certes, mais on ne quitte jamais le Mossad, Lev, et tu es toujours sous ses ordres. Allons, détends-toi ! J'étais de passage en Europe, et j'en profite pour te voir, c'est tout. Comment se présente ta saison romaine ?

– Bien, mais ce soir j'attaque avec le troisième de Rachmaninov, c'est un monument terrifiant et j'ai besoin de me concentrer. Il te reste donc de la famille, en Europe ?

– Un juif a toujours de la famille quelque part. Ta famille, c'est un peu le service dans lequel je t'ai formé quand tu n'étais encore qu'un adolescent. Et à Jérusalem, ils sont inquiets pour toi. Qu'est-ce qui t'a pris de suivre le moine français dans le Rome express, après avoir réservé tout son compartiment ? Qui t'en avait donné l'ordre ? Voulais-tu renouveler l'opération précédente, et en solitaire cette fois-ci ? Est-ce moi qui t'ai appris à faire cavalier seul dans une opération ?

Lev fit une moue, et baissa la tête.

– Je n'avais pas le temps de prévenir Jérusalem, tout a été très vite...

Ari serra les poings et lui coupa la parole :

– Ne mens pas, pas à moi. Tu sais bien que, depuis ton accident, tu n'es plus le même, et que pendant des années tu as trop côtoyé la mort. Il y a des moments où tu te laisses submerger par le besoin du danger, de son parfum qui t'excite comme une drogue. Alors, tu ne penses plus : imagines-tu ce qui se serait passé, si le père Nil avait eu un accident – à son tour ?

– Cela aurait posé un problème majeur aux gens du Vatican. Je les hais de toute mon âme, Ari : ce sont eux qui ont permis aux nazis qui avaient exterminé ma famille de s'enfuir en Argentine.

Ari le regarda avec tendresse.

– Le temps n'est plus à la haine, mais à la justice. Et il est inconcevable, inadmissible, que ce soit toi qui prennes, sans en référer, des décisions politiques à un pareil niveau. Tu as montré que tu n'étais plus capable de te contrôler : nous devons te protéger contre toi-même. Désormais, interdiction absolue de toute opération sur le terrain. Le petit Lev, qui jouait avec sa vie comme si c'était une partition musicale, a grandi. Tu es célèbre maintenant : poursuis la mission que nous t'avons confiée, surveiller Moktar Al-Qoraysh, et concentre-toi sur le moine français. L'action directe, ce n'est plus pour toi.