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– Mon enfant, Dieu vous pardonne car vous avez été abusée par un de ses représentants sur terre, et vous n'aviez pas le choix. En Son nom, je vous redonne aujourd'hui Sa paix. Mais il ne faut pas – vous m'entendez : il ne faut pas – que vous acceptiez de vous rendre au prochain rendez-vous de ce prélat : ce qu'il veut vous faire là est un abominable blasphème envers notre sauveur Jésus-Christ crucifié.

Sonia leva vers lui son visage bouleversé.

– C'est impossible ! Que m'arrivera-t-il si je n'obéis pas ? Je ne peux pas quitter Rome, mon passeport...

– Il ne vous arrivera rien. D'abord parce que Dieu vous protège, votre aveu lui a montré que votre âme est pure. Je suis tenu au secret de la confession, vous le savez. Mais je connais un peu de monde à Rome, et sans trahir ce secret je puis faire en sorte qu'il ne vous arrive rien. Vous êtes tombée, pour votre malheur, entre les mains d'un évêque pervers, qui s'est rendu indigne de l'anneau qu'il porte. Ce cercueil, qui orne sa main criminelle, symbolise la mort spirituelle qui est déjà la sienne. Mais vous êtes aussi entre les mains de Dieu : ayez confiance. N'allez pas le voir au jour que vous m'avez indiqué.

La rencontre inopinée du prêtre fut pour Sonia comme une réponse de Dieu à sa prière. Pour la première fois depuis qu'elle avait dévalé les escaliers de l'appartement de Calfo, elle respirait librement. Ce prêtre inconnu l'avait écoutée avec bonté, il l'avait assurée du pardon de Dieu ! Délivrée du poids qui l'écrasait, elle saisit sa main et la baisa comme le font les fidèles orthodoxes. Elle ne remarqua pas que c'était sa main gauche : la droite était toujours obstinément enfouie dans son surplis.

Tandis qu'elle se dirigeait vers la sortie, le prêtre se releva et regagna la sacristie. Il remit d'abord en place son anneau épiscopal, frappé aux armes de saint Pierre. Puis retira son surplis, laissant apparaître sa large ceinture couleur pourpre. D'un geste précis, il lissa ses cheveux blancs et posa sur leur sommet une calotte de même couleur, la pourpre cardinalice.

Jusqu'ici, la donne dont Catzinger disposait était moins bonne que celle du Napolitain. Sans le savoir, Sonia venait d'y glisser une carte maîtresse. Cette carte, il s'en servirait en la faisant abattre par Antonio, le fidèle entre les fidèles qui avait réussi à tromper la vigilance de la Société Saint-Pie V : l'Andalou qui jamais n'avait transigé ni dévié de sa route, qui était aussi souple qu'une lame de Tolède, et comme elle ne pliait que pour mieux se redresser.

77.

Assis devant la première porte blindée, le policier pontifical les avait laissés passer sans contrôler l'accréditation de Nil : des habitués... Breczinsky les conduisit devant leur table où les attendaient les manuscrits de la veille.

Nil avait prévenu Leeland qu'ils n'iraient au Vatican qu'en début d'après-midi : il avait besoin de réfléchir. La confiance que lui accordait le Polonais l'avait d'abord étonné, puis effrayé. « Cet homme a-t-il parlé parce qu'il est désespérément seul, ou bien parce qu'il me manipule ? » Jamais le professeur tranquille du bord de Loire n'avait affronté pareille situation. Il avait entrepris de suivre la trace du treizième apôtre : comme lui, il se trouvait maintenant au centre de conflits d'intérêts qui le dépassaient.

Breczinsky avait dit qu'il voulait l'aider, mais que pouvait-il faire ? Le Vatican est immense, ses différents musées et ses bibliothèques devaient posséder chacun une ou plusieurs annexes où dormaient des milliers d'objets de prix. Quelque part là-dedans se trouvait peut-être une caisse de cognac Napoléon, contenant des manuscrits esséniens dépareillés – et une feuille, une toute petite feuille de parchemin attachée par un fil de lin. La description donnée par Lev Barjona était restée gravée dans l'esprit de Nil, mais la caisse n'avait-elle pas été vidée, et son contenu réparti au hasard par un employé pressé ?

Vers le milieu de l'après-midi, il retira ses gants.

– Ne me pose pas de questions : je dois revoir Breczinsky.

Leeland acquiesça en silence, et fit à Nil un sourire d'encouragement avant de se pencher à nouveau sur le manuscrit médiéval qu'ils étaient en train d'examiner.

Le cœur battant, le Français frappa à la porte du bibliothécaire.

Breczinsky avait le visage fiévreux, derrière ses lunettes rondes ses yeux étaient soulignés de cernes. Il fit signe à Nil de s'asseoir.

– Mon père, toute la nuit j'ai prié pour que Dieu m'éclaire, et j'ai pris ma décision. Ce que j'ai fait pour Andrei, je le ferai pour vous : sachez seulement que j'enfreins à nouveau les consignes les plus sacrées qui m'ont été transmises quand j'ai pris ce poste. Je m'y résous parce que vous m'avez assuré que vous ne travaillez pas contre le pape, et qu'au contraire votre intention est de lui communiquer tout ce que vous découvrirez. M'en faites-vous le serment, devant Dieu ?

– Je ne suis qu'un moine, père Breczinsky, mais j'ai toujours cherché à l'être jusqu'au bout. Si ce que je découvre représente un danger pour l'Église, le pape seul en sera averti.

– Bien... Je vous crois, comme j'ai cru Andrei. La gestion des trésors contenus ici n'est que l'une de mes charges, la seule visible et la moins importante. Dans le prolongement de la réserve, il y a un local que vous ne verrez figurer sur aucun plan de cet ensemble de bâtiments, dont vous ne trouverez nulle part mention puisqu'il n'existe pas officiellement. Il a été voulu par saint Pie V en 1570, au moment où l'on mettait la dernière main à la construction de la basilique Saint-Pierre.

– Les archives secrètes du Vatican ?

Breczinsky sourit.

– Les archives secrètes sont parfaitement officielles, elles se trouvent deux étages au-dessus de nos têtes, leur contenu est mis à la disposition des chercheurs selon des règles publiques. Non, ce local n'est connu que de quelques rares personnes, et puisqu'il n'existe pas, il n'a pas de nom. C'est, si vous voulez, le fonds secret du Vatican, la plupart des États de la planète possèdent quelque chose de similaire. Il n'a pas de bibliothécaire attitré – puisqu'il n'existe pas, je vous le répète – et son contenu ne possède ni cotes ni catalogue. C'est une espèce d'enfer où l'on plonge dans l'oubli des documents sensibles, parce qu'on ne veut pas qu'ils viennent un jour à la connaissance des historiens ou des journalistes. J'en suis seul responsable devant le Saint-Père. Au fil des siècles, on y a entassé quantité de choses disparates, sur l'initiative d'un pape ou d'un cardinal-préfet de dicastère. Quand quelqu'un décide d'envoyer un document au fonds secret, il n'en sort plus, même après la mort du décisionnaire. Il ne sera jamais ni archivé ni exhumé.

– Père Breczinsky... pourquoi me révélez-vous l'existence de ce fonds secret ?

– Parce que c'est l'un des deux endroits du Vatican où ce que vous cherchez peut se trouver. L'autre, ce sont les archives secrètes qui sont rendues publiques année après année, cinquante ans après les faits qu'elles concernent. Sauf décision contraire, mais elle est généralement motivée officiellement. Vous me dites qu'une caisse contenant des manuscrits de la mer Morte est parvenue au Vatican en 1948, à l'occasion de la première guerre israélo-arabe : si elle avait été classée aux archives secrètes, elle en aurait déjà été sortie. Et si un élément de ce lot avait été jugé trop sensible pour être livré à la connaissance du public, je l'aurais su nécessairement : cela arrive parfois, je reçois alors un dossier ou un colis qu'il faut mettre à l'abri des curiosités malsaines dans le fonds secret. Moi seul suis habilité à le faire : or, depuis cinq ans, je n'ai rien reçu de nouveau, ni des archives secrètes ni d'ailleurs.