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« Oui ? Sauf que Boromir, disiez-vous ? s’enquit Faramir. Qu’alliez-vous dire ? Il portait son péril avec lui ? »

« Oui, m’sieur, vous m’excuserez, aussi brave qu’était votre frère, si je peux me permettre. Mais vous l’avez vu venir depuis le début. Parce que moi, du moment où on a quitté Fendeval, j’ai observé Boromir et je l’ai écouté – histoire de veiller sur mon maître, vous comprendrez, sans vouloir nuire à votre frère d’aucune façon – et je suis d’avis qu’une fois en Lórien, il a fini par comprendre ce que j’avais déjà deviné : ce qu’il voulait. Du moment qu’il l’a vu pour la première fois, il a voulu avoir l’Anneau de l’Ennemi ! »

« Sam ! » s’écria Frodo, atterré. Il s’était un moment absorbé dans ses propres réflexions ; et il en ressortait brusquement, mais trop tard.

« Sapristi ! fit Sam, blêmissant, puis virant à l’écarlate. V’là que je recommence ! Chaque fois que t’ouvres ton grand clapet, tu te fourres les pieds dedans, qu’il me disait l’Ancêtre, et il avait pas tort. Misère, oh misère !

« Alors là un instant, m’sieur ! dit-il à Faramir, et il se tourna pour lui faire face, rassemblant tout son courage. Allez pas profiter de mon maître parce que son serviteur est pas mieux qu’un idiot. Vous nous bercez de belles paroles depuis tout à l’heure, vous m’avez fait baisser ma garde, à parler d’Elfes et tout ça. Mais beau est qui bien fait, comme on dit. C’est l’occasion de montrer votre qualité. »

« Il semblerait, oui, dit Faramir, lentement et très doucement, avec un étrange sourire. Voilà donc la réponse à toutes les énigmes ! L’Anneau Unique que l’on croyait disparu du monde. Et Boromir a tenté de le prendre de force ? Et vous vous êtes enfuis ? Et vous avez couru tout ce temps – jusque dans mes bras ! Et je vous tiens ici en pays sauvage : deux demi-hommes, une armée entière à ma disposition, et l’Anneau des Anneaux. Joli coup de fortune ! L’occasion rêvée pour Faramir, Capitaine du Gondor, de montrer sa qualité ! Ha ! » Il se leva, grand et sévère, et ses yeux gris étincelaient.

Frodo et Sam sautèrent de leurs tabourets et se tinrent côte à côte, dos au mur, cherchant la poignée de leur épée à tâtons. Il y eut un silence. Tous les hommes de la caverne s’arrêtèrent de parler pour les regarder avec étonnement. Mais Faramir se rassit sur sa chaise et se mit à rire doucement ; puis soudain, il prit de nouveau un air grave.

« Hélas pour Boromir ! Ce fut une trop dure épreuve ! dit-il. Combien vous grossissez mon chagrin, étranges vagabonds d’un pays lointain, porteurs du péril des Hommes ! Mais vous êtes plus mauvais juges des Hommes que je ne le suis des Demi-Hommes. Nous sommes des gens de vérité, nous autres hommes du Gondor. Nous nous vantons rarement, et ensuite nous agissons, dussions-nous y laisser la vie. Je ne le prendrais pas quand même je le trouverais sur la grand-route, vous disais-je. Même si j’étais homme à désirer cet objet, et même sans avoir su clairement ce dont il s’agissait quand j’ai prononcé ces paroles, je les considérerais comme un serment, et je serais tenu par elles.

« Mais je ne suis pas cet homme. Ou je suis assez sage pour savoir qu’il est des périls que l’on doit fuir. Rasseyez-vous en paix ! Et soyez tranquille, Samsaget. Si vous paraissez avoir trébuché, dites-vous que le sort en avait décidé ainsi. Votre cœur est non seulement fidèle, mais il est clairvoyant, et il a vu plus clair que vos yeux. Car aussi étrange que cela puisse paraître, il n’y avait aucun danger à me révéler cela. Votre maître bien-aimé pourrait même en bénéficier. Cela tournera à son avantage, si j’y puis quelque chose. Alors soyez tranquille. Mais gardez-vous ne serait-ce que de mentionner à nouveau cet objet. Une fois suffit. »

Les hobbits regagnèrent leurs sièges et s’assirent sans dire un mot. Les Hommes retournèrent à leurs boissons et à leur conversation, voyant que leur capitaine s’était payé une quelconque plaisanterie aux dépens de ses petits hôtes, et qu’elle était terminée.

« Eh bien, Frodo, nous nous comprenons enfin, à présent, dit Faramir. Si vous avez accepté cette chose contre votre gré, parce que d’autres vous l’ont demandé, vous avez ma pitié et mon plus grand respect. Et je m’émerveille de vous voir le tenir celé, sans vous en servir. Vous êtes un peuple et un monde nouveaux pour moi. Tous vos semblables sont-ils pareils à vous ? Votre pays doit être un royaume de paix et de contentement, où l’on tient les jardiniers en haute estime. »

« Tout ne va pas pour le mieux dans mon pays, dit Frodo, mais les jardiniers y sont à l’honneur. »

« Mais les gens doivent se fatiguer, même dans leurs jardins, comme le font toutes choses sous le Soleil de ce monde. Et vous êtes loin de chez vous et las de votre voyage. Assez pour ce soir. Dormez, tous les deux – en paix, si vous le pouvez. Ne craignez rien ! Je ne désire pas le voir, ni le toucher, ou en savoir plus que je n’en sais déjà (ce qui est bien assez), de crainte de m’exposer au danger et de réussir moins bien l’épreuve que Frodo fils de Drogo. Allez vous reposer – mais dites-moi seulement d’abord, si vous le voulez bien, où vous désirez aller et ce que vous comptez faire. Car je dois monter la garde, attendre, et réfléchir. Le temps passe. Au matin, nous devrons prendre chacun le chemin qui nous est dévolu. »

À mesure que le choc de la peur s’estompait, Frodo s’était senti trembler. À présent, une grande lassitude descendit sur lui comme un nuage. Toute feinte, toute résistance lui était désormais impossible.

« Je cherchais une façon d’entrer au Mordor, dit-il faiblement. Je cherchais à me rendre au Gorgoroth. Je dois trouver la Montagne du Feu et jeter l’objet dans le gouffre du Destin. Gandalf l’a dit. Je ne pense pas y arriver jamais. »

Faramir le dévisagea avec un grave étonnement. Puis il le saisit soudain alors qu’il vacillait, et, le soulevant avec délicatesse, il le porta jusqu’au lit, l’y allongea et le couvrit chaudement. Frodo sombra aussitôt dans un profond sommeil.

Un autre lit fut installé près du sien à l’intention de son serviteur. Sam hésita un moment, puis, s’inclinant très bas : « Bonne nuit, Capitaine, monseigneur, dit-il. Vous avez saisi l’occasion, m’sieur. »

« Croyez-vous ? » dit Faramir.

« Oui m’sieur, et vous avez montré votre qualité : la plus haute. »

Faramir sourit. « Vous êtes un serviteur hardi, maître Samsaget. Mais n’en faites pas trop ; car l’éloge venant de ceux qui sont dignes d’éloges est la plus haute des récompenses. Pourtant, il n’y avait pas matière à louange. Je ne sentais pas la moindre attirance, pas le moindre désir qui m’eût poussé à agir autrement. »

« Eh bien, m’sieur, dit Sam, vous disiez que mon maître avait un air elfique ; et c’était juste et vrai. Mais je vais vous dire une chose : vous aussi, vous avez un air, m’sieur, et il me fait penser à… enfin, à Gandalf, aux magiciens. »

« Peut-être, dit Faramir. Peut-être discernez-vous, de très loin, l’air de Númenor. Bonne nuit ! »

6L’étang interdit

Frodo ouvrit les yeux et trouva Faramir penché sur lui. De vieilles craintes le saisirent pendant une seconde, et il se redressa avec un mouvement de recul.

« Il n’y a rien à craindre », dit Faramir.

« Est-ce déjà le matin ? » demanda Frodo avec un bâillement.