Выбрать главу

Depuis Fendeval dans le Nord, les Compagnons entreprirent une longue marche secrète, jusqu’au jour où, freinés dans leur tentative de franchir le haut col du Caradhras en hiver, ils furent conduits par Gandalf à la porte cachée des vastes Mines de Moria afin de chercher un chemin sous les montagnes. Là Gandalf, confronté à un effroyable esprit des profondeurs, tomba dans un abîme de ténèbres. Mais Aragorn, désormais connu comme l’héritier véritable des anciens Rois de l’Ouest, prit alors la tête de la Compagnie ; et il les mena depuis la Porte Est de la Moria à travers le pays elfique de Lórien jusqu’au Grand Fleuve Anduin, qui les emporta aux chutes du Rauros. Déjà, ils s’étaient avisés que leur voyage était surveillé par des espions, et que la créature appelée Gollum, qui avait jadis été en possession de l’Anneau et qui le convoitait toujours, les suivait à la trace.

La Compagnie dut alors décider si elle se dirigerait vers l’est, vers le Mordor, ou si elle irait avec Boromir au secours de Minas Tirith, la plus grande cité du Gondor, dans la guerre qui s’annonçait ; ou encore, si elle se diviserait. Lorsqu’il apparut que le Porteur de l’Anneau était déterminé à poursuivre sa mission désespérée jusque sur le territoire de l’Ennemi, Boromir tenta de s’emparer de l’Anneau par la force. Ainsi, la première partie se terminait avec la chute de Boromir succombant au charme de l’Anneau, la fuite de Frodo et de son serviteur Samsaget, et la dispersion du reste de la Fraternité, surprise par une attaque de soldats orques, d’aucuns sous la sujétion du Sombre Seigneur du Mordor, d’autres à la solde du traître Saruman, établi à Isengard. Déjà, la Quête du Porteur de l’Anneau semblait vouée à la catastrophe.

Cette deuxième partie, Les Deux Tours, s’occupe maintenant de rapporter ce qu’il advint de chacun des membres de la Fraternité de l’Anneau après l’éclatement de leur union – jusqu’à la venue de la grande Obscurité et au commencement de la Guerre de l’Anneau, laquelle sera racontée dans la troisième et dernière partie.

LIVRE TROISIÈME

1

Le départ de Boromir

Aragorn se hâta vers le haut de la colline. Parfois, il se baissait jusqu’à terre. Les Hobbits ont le pas léger, et leurs empreintes ne sont pas faciles à lire, même pour un Coureur ; mais un ruisseau traversait le sentier non loin du sommet, et dans la terre détrempée, il vit ce qu’il cherchait.

« J’ai bien interprété les signes, se dit-il. Frodo a couru jusqu’en haut. Je me demande ce qu’il y a vu… Mais il est revenu par le même chemin, et il est redescendu. »

Aragorn hésita. Il souhaitait lui-même monter jusqu’au haut siège, espérant y voir quelque chose pour le guider dans ses questionnements ; mais le temps pressait. Soudain, il s’élança en avant et courut jusqu’au sommet, traversant les grandes dalles et gravissant l’escalier. Puis il prit place sur le haut siège et regarda alentour. Mais le soleil semblait obscurci, le monde lointain et flou. Il fit le tour du Nord au Nord et ne vit rien que les collines éloignées – à moins qu’il n’ait discerné, haut dans les airs, encore un oiseau semblable à un aigle qui descendait lentement vers la terre en décrivant de grands cercles.

Alors même qu’il regardait, son oreille fine perçut des sons qui montaient des terres boisées en contrebas, du côté ouest du Fleuve. Il se raidit. C’étaient des cris, et parmi ceux-ci, à sa grande horreur, se distinguaient les voix éraillées d’une troupe d’Orques. Puis soudain, un grand cor à la voix profonde sonna d’un puissant appel : ses retentissants échos frappèrent les collines et résonnèrent dans les creux, s’élevant tel un grand hurlement au-dessus du rugissement des chutes.

« Le cor de Boromir ! s’écria-t-il. Il est aux abois ! » Aragorn descendit l’escalier quatre à quatre et se précipita en avant, bondissant dans le sentier. « Hélas ! Le mauvais sort s’acharne sur moi aujourd’hui, et tout ce que j’entreprends tourne mal. Où est Sam ? »

Tandis qu’il courait, les cris augmentaient, mais la sonnerie du cor se faisait à la fois plus faible et plus désespérée. Une grande clameur s’éleva chez les Orques, stridente et féroce, et le cor cessa soudain d’appeler. Aragorn dévala la dernière pente, mais avant qu’il ne soit arrivé au pied de la colline, les sons moururent peu à peu ; et comme il tournait à gauche et courait pour les rattraper, ils s’éloignèrent, jusqu’à ce qu’enfin il ne les entendît plus. Tirant sa brillante épée, il fonça à travers les arbres, criant : Elendil ! Elendil !

À peut-être un mille de Parth Galen, dans une petite clairière non loin du lac, il trouva Boromir. Ce dernier était assis, le dos appuyé contre un grand arbre, comme en train de se reposer. Mais Aragorn vit qu’il était atteint de nombreuses flèches aux pennes noires ; son épée, encore à sa main, était brisée près de la poignée ; son cor fendu en deux reposait à son côté. De nombreux Orques gisaient morts, entassés tout autour de lui et à ses pieds.

Aragorn s’agenouilla auprès de lui. Boromir ouvrit les yeux et fit un effort pour parler. Les mots vinrent enfin, lentement. « J’ai essayé de prendre l’Anneau à Frodo, dit-il. Je suis désolé. J’ai payé. » Son regard s’égara sur ses ennemis tombés : au moins une vingtaine étaient étendus là. « Ils sont partis – les Demi-Hommes : les Orques les ont pris. Je crois qu’ils ne sont pas morts. Ligotés par les Orques. » Il s’arrêta, et ses yeux se refermèrent avec lassitude. Au bout d’un moment, il parla de nouveau.

« Adieu, Aragorn ! Allez à Minas Tirith et sauvez mon peuple ! J’ai échoué. »

« Non ! dit Aragorn, prenant sa main et embrassant son front. Vous avez vaincu. Peu ont connu pareille victoire. Soyez en paix ! Minas Tirith ne tombera pas ! »

Boromir sourit.

« De quel côté sont-ils partis ? Frodo était-il avec eux ? » demanda Aragorn. Mais Boromir ne dit plus rien.

« Hélas ! dit Aragorn. Ainsi finit l’héritier de Denethor, Seigneur de la Tour de Garde ! Quelle fin cruelle… Voilà toute la Compagnie en ruine. C’est moi qui ai échoué. Vaine fut la confiance que Gandalf avait placée en moi. Que vais-je faire, à présent ? Boromir m’a prié d’aller à Minas Tirith, et mon cœur le désire ; mais où sont l’Anneau et le Porteur ? Comment pourrai-je les trouver, et sauver la Quête du désastre ? »

Il demeura quelque temps à genoux, courbé par les pleurs, la main de Boromir encore serrée dans la sienne. Ce fut ainsi que Legolas et Gimli le trouvèrent. Descendus sans bruit des pentes ouest de la colline, ils se faufilaient à travers les arbres comme à la chasse. Gimli avait sa hache à la main, et Legolas son long poignard : il avait épuisé toutes ses flèches. Débouchant dans la clairière, ils s’arrêtèrent, stupéfaits ; puis ils restèrent un moment tête baissée, affligés, car ils virent immédiatement ce qui s’était passé.

« Hélas ! dit Legolas, s’avançant auprès d’Aragorn. Nous avons pourchassé et tué bien des Orques dans les bois, mais nous aurions été plus utiles ici. Nous avons accouru au son du cor – trop tard, semble-t-il. J’ai peur que vous ayez reçu une blessure mortelle. »

« Boromir est mort, dit Aragorn. Je suis indemne, car je n’étais pas ici avec lui. Il est tombé en défendant les hobbits, pendant que je me trouvais sur la colline. »