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Sam rampa hors des fougères, mais personne ne fit attention à lui, et il se posta au bout des rangées d’hommes, où il pouvait voir et entendre tout ce qui se passait. Il observa et écouta avec attention, prêt à voler au secours de son maître si besoin était. Il pouvait voir les traits de Faramir, qui avait retiré son masque : son visage était sévère et autoritaire, et une intelligence fine se lisait derrière son regard scrutateur. Le doute habitait ses yeux gris, lesquels étaient fixés sur Frodo.

Sam ne tarda pas à comprendre que le Capitaine n’était pas satisfait du récit fourni par son maître, et ce, en plusieurs points : quel était son rôle au sein de la Compagnie partie de Fendeval, pourquoi il avait quitté Boromir, et où il se rendait à présent. La question du Fléau d’Isildur revenait particulièrement souvent. Visiblement, Faramir devinait que Frodo lui cachait quelque affaire de la plus haute importance.

« Mais c’est à la venue du Demi-Homme que devait apparaître le Fléau d’Isildur ; c’est du moins ce qu’il faut comprendre des vers, insista-t-il. Or, si vous êtes le Demi-Homme dont il est question, il est logique de penser que vous avez apporté cette chose, quelle qu’elle soit, au Conseil dont vous parlez, et que Boromir l’a vue. Le niez-vous ? »

Frodo ne répondit pas. « Bon ! dit Faramir. Je vous demande donc de me dire de quoi il retourne ; car ce qui concerne Boromir me concerne aussi. Une flèche d’orque a tué Isildur, si l’on en croit les vieux contes. Mais les flèches d’orques ne manquent pas, et la vue d’un tel objet n’eût sans doute pas été reconnue comme un signe du Destin par Boromir du Gondor. Cette chose était-elle sous votre garde ? Elle est cachée, dites-vous ; mais n’est-ce pas là votre choix ? »

« Non, ce ne l’est pas, répondit Frodo. Elle ne m’appartient pas. Elle n’appartient à aucun mortel, grand ou petit ; mais s’il en est un qui puisse la revendiquer, il s’agit d’Aragorn fils d’Arathorn, que j’ai déjà nommé, et qui a dirigé notre Compagnie de la Moria au Rauros. »

« Pourquoi lui, et pas Boromir, prince de cette Cité qu’ont fondée les fils d’Elendil ? »

« Parce que Aragorn est issu en ligne directe, de père en fils, d’Isildur fils d’Elendil lui-même. Et l’épée qu’il porte fut autrefois celle d’Elendil. »

Un murmure de stupéfaction parcourut le grand anneau d’hommes. Certains s’écrièrent : « L’épée d’Elendil ! L’épée d’Elendil arrive à Minas Tirith ! Heureuse nouvelle ! » Mais le visage de Faramir demeura impassible.

« Peut-être, dit-il. Mais une telle revendication demande à être établie, et des preuves claires devront être fournies, si cet Aragorn devait se présenter à Minas Tirith. Il n’y était pas, ni aucun de vos compagnons, quand je suis parti il y a six jours. »

« Cette revendication convenait pourtant à Boromir, dit Frodo. D’ailleurs, s’il était ici, il répondrait à toutes vos questions. Et comme il se trouvait déjà au Rauros il y a de cela bien des jours, avec l’intention de se rendre directement dans votre cité, vous pourriez avoir bientôt des réponses, si vous y retournez. Mon rôle au sein de la Compagnie lui était connu, comme à tous les autres, car il m’a été dévolu par Elrond d’Imladris lui-même, devant tout le Conseil. C’est cette mission qui m’a amené dans ce pays, mais il ne m’appartient pas d’en parler à quiconque en dehors des nôtres. Toutefois, ceux qui prétendent s’opposer à l’Ennemi feraient bien de ne pas l’entraver. »

Ses mots étaient orgueilleux, quel que fût son sentiment, et Sam approuvait ; mais Faramir n’en fut pas apaisé.

« Bien ! dit-il. Vous me demandez de me mêler de mes affaires, de m’en retourner chez moi, et de vous laisser tranquille. Boromir me dira tout quand il reviendra. Quand il reviendra, dites-vous ! Étiez-vous son ami ? »

Le souvenir de son agression par Boromir lui revint nettement à l’esprit, et Frodo eut une seconde d’hésitation. Le regard insistant de Faramir se durcit. « Boromir était l’un des plus vaillants de notre Compagnie, finit par dire Frodo. Oui, j’étais son ami, pour ma part. »

Faramir eut un sourire amer. « Seriez-vous donc peiné d’apprendre que Boromir est mort ? »

« J’en serais certainement très attristé », dit Frodo. Puis, lisant dans les yeux de Faramir, il perdit contenance. « Mort ? dit-il. Voulez-vous dire qu’il est mort, et que vous le saviez ? Vous essayiez de m’embobeliner avec des mots, de me faire marcher ? Ou cherchez-vous maintenant à me piéger avec un mensonge ? »

« Je ne piégerais pas même un orque avec un mensonge », dit Faramir.

« Comment est-il donc mort, et vous, comment le savez-vous ? Puisque vous dites qu’aucun de mes compagnons n’avait atteint la cité quand vous êtes partis. »

« Pour ce qui est des circonstances de sa mort, j’espérais que son compagnon et ami fût en mesure de me le dire. »

« Mais il était vivant et fort quand nous nous sommes séparés. Et autant que je sache, il vit encore. Évidemment, le monde est semé de dangers. »

« Assurément, dit Faramir ; et la traîtrise n’est pas le moindre. »

Sam s’impatientait de plus en plus, irrité par la tournure de la conversation. Ces derniers mots étaient pour lui au-delà du tolérable, et faisant irruption au centre de l’anneau, il accourut auprès de son maître.

« Vous m’excuserez, monsieur Frodo, dit-il, mais en voilà assez. Il a pas le droit de vous parler comme ça. Après tout ce que vous avez enduré, autant pour son bien à lui et à tous ces grands Hommes, que pour n’importe qui d’autre.

« Dites donc, Capitaine ! » Il se planta droit devant Faramir, les mains sur les hanches, l’air de s’adresser à un jeune hobbit qui, interrogé sur ses visites au verger, lui aurait répondu avec ce qu’il appelait « du front ». Il y eut quelques murmures, mais aussi des sourires sur le visage des hommes présents : la vue de leur Capitaine assis au sol, nez à nez avec un jeune hobbit posté devant lui, les jambes bien écartées, hérissé de colère, était pour eux un spectacle inédit. « Dites donc ! fit-il. À quoi vous voulez en venir ? Arrivons au fait avant que tous les Orques du Mordor nous tombent dessus ! Si vous croyez que mon maître a assassiné ce Boromir avant de prendre ses jambes à son cou, vous êtes privé de bon sens ; mais dites-le, qu’on en finisse ! Et puis laissez-nous savoir ce que vous entendez faire de nous. Mais dommage que des gens qui parlent de combattre l’Ennemi puissent pas laisser les autres faire leur part comme ils le peuvent sans s’en mêler. Il serait rudement content s’il vous voyait, là. Il croirait s’être fait un nouvel ami, que oui. »

« Patience ! dit Faramir, sans colère toutefois. Ne parlez pas devant votre maître, qui est plus intelligent que vous. Et je n’ai besoin de personne pour m’instruire de notre danger. Je prends néanmoins quelques instants pour mieux juger d’une affaire difficile. Si j’étais aussi pressé que vous, je vous aurais peut-être tué il y a longtemps. Car j’ai ordre d’abattre tous ceux que je trouve dans ce pays sans la permission du Seigneur du Gondor. Mais je ne tue ni homme ni bête sans raison, et je ne le fais pas volontiers quand j’y suis obligé. Pas plus que je ne m’égare en paroles inutiles. Alors soyez rassuré. Asseyez-vous auprès de votre maître, et restez tranquille ! »

Sam se rassit lourdement, rouge de confusion. Faramir se tourna de nouveau vers Frodo. « Vous me demandiez comment je puis savoir que le fils de Denethor est mort. Les rumeurs de mort ont bien des ailes. Aux proches parents, la nuit est porteuse de nouvelles, dit-on. Boromir était mon frère. »

Une ombre de chagrin passa sur son visage. « Vous souvenez-vous de quelque objet notable que le seigneur Boromir portait sur lui ? »

Frodo réfléchit un moment, craignant un nouveau piège et se demandant comment allait finir cette discussion. Il avait à peine sauvé l’Anneau de la poigne orgueilleuse de Boromir ; il n’aurait su dire ce qu’il pouvait à présent contre autant d’hommes aux bras puissants et à la mine guerrière. Malgré tout, il sentait que Faramir, quoique très semblable à son frère par les traits du visage, était un homme de moins d’amour-propre, à la fois plus austère et plus sage. « Je me souviens que Boromir portait un cor », finit-il par dire.