Выбрать главу

Quand tout fut enfin prêt, Frodo dit : « Quand donc viendras-tu habiter avec moi, Sam ? »

Sam eut l’air un peu gêné.

« Tu n’es pas obligé d’emménager tout de suite, si tu ne veux pas, dit Frodo. Mais tu sais que l’Ancêtre reste tout près, et la veuve Rombelle va très bien s’en occuper. »

« C’est pas ça, monsieur Frodo », dit Sam, et son visage s’empourpra.

« Mais enfin, qu’est-ce qu’il y a ? »

« C’est Rosie, Rose Casebonne, dit Sam. On dirait qu’elle a pas du tout aimé que je parte à l’étranger, la pauvre ; mais comme j’avais pas parlé, elle pouvait rien dire. Et j’ai pas parlé, parce que j’avais quelque chose à faire avant. Mais là, j’ai parlé, et elle a dit : “Eh bien, t’as perdu un an, alors pourquoi attendre encore ?” “Perdu ? que j’ai fait. Je dirais pas ça.” N’empêche, je vois ce qu’elle veut dire. Je me sens déchiré en deux, si vous me passez l’expression. »

« Je vois, dit Frodo : tu veux te marier, mais tu veux aussi vivre avec moi à Cul-de-Sac ? Mais mon cher Sam, quoi de plus facile ! Marie-toi au plus vite, puis emménage chez moi avec Rosie. Il y a assez de place à Cul-de-Sac pour toute ta famille, aussi grande que tu le désires. »

Ainsi, tout était entendu. Sam Gamgie épousa Rose Casebonne au printemps de l’an 1420 (reconnu aussi pour ses mariages), et ils s’installèrent à Cul-de-Sac. Et si Sam s’estimait chanceux, Frodo savait qu’il l’était lui-même davantage ; car aucun hobbit, dans tout le Comté, n’avait droit à autant de prévenances que lui. Une fois tous les travaux de restauration planifiés et mis en train, il adopta une existence paisible, où il passa beaucoup de temps à écrire et à relire ses notes. Il quitta ses fonctions de maire adjoint lors de la Foire Libre de la Mi-Été, et ce cher vieux Will Piéblanc passa encore sept autres années à présider aux Banquets.

Merry et Pippin vécurent quelque temps ensemble à Creux-le-Cricq, et il y eut beaucoup d’allées et venues entre le Pays-de-Bouc et Cul-de-Sac. Les deux jeunes Voyageurs firent grand effet dans le Comté, avec leurs chansons, leurs récits et leur parure, sans oublier leurs merveilleuses fêtes. On les qualifiait de « princiers », toujours en bonne part ; car tous les cœurs se réchauffaient à les voir passer à cheval avec leurs si brillantes mailles et leurs boucliers si somptueux, riant et chantant des airs des pays lointains ; et s’ils étaient devenus de grands et magnifiques personnages, ils demeuraient inchangés par ailleurs, s’ils n’étaient pas effectivement plus courtois, plus joviaux et plus enjoués qu’ils ne l’avaient jamais été.

Frodo et Sam reprirent toutefois un habillement ordinaire, sauf qu’en cas de besoin ils portaient tous deux de longues capes grises, finement tissées et fermées à la gorge par de jolies broches ; et M. Frodo portait toujours sur une chaîne un joyau blanc qu’il avait coutume de tripoter entre ses doigts.

Toutes choses allaient bien à présent, et il y avait toujours espoir qu’elles pussent encore s’améliorer ; et Sam fut aussi occupé et comblé que même un hobbit eût pu le souhaiter. Rien ne vint assombrir toute cette année pour lui, hormis une vague inquiétude au sujet de son maître. Frodo délaissa tranquillement toutes les affaires du Comté, et Sam fut peiné de voir le peu d’honneur qui lui était rendu dans son propre pays. Peu de gens savaient ou voulaient savoir ce qu’il avait accompli, et quelles aventures il avait vécues ; leur respect et leur admiration allaient surtout à M. Meriadoc, à M. Peregrin et (sans qu’il s’en doutât) à Sam lui-même. Et à l’automne reparut l’ombre de vieux soucis.

Un soir, Sam entra dans le bureau, et il trouva son maître très étrange. Il était extrêmement pâle, et ses yeux semblaient voir des choses très lointaines.

« Qu’avez-vous, monsieur Frodo ? » demanda Sam.

« Je suis blessé, répondit-il, blessé ; je ne guérirai jamais réellement. »

Mais alors, il se leva ; la crise sembla passer et, dès le lendemain, il semblait tout à fait lui-même. Ce n’est que par la suite que Sam se rappela la date : le six d’octobre. Deux ans plus tôt, ce jour-là, il faisait noir dans le vallon au pied de Montauvent.

Les jours passèrent, et 1421 arriva. En mars, Frodo fut de nouveau malade, mais il le cacha à grand-peine, car Sam avait d’autres préoccupations. Le premier enfant de Sam et Rosie naquit le 25 mars, date que Sam ne manqua pas de remarquer.

« Pour tout vous dire, monsieur Frodo, dit-il, je suis un peu embêté. Rose et moi, on s’était entendus pour l’appeler Frodo, avec votre permission ; sauf que c’est pas lui, c’est elle. Mais c’est la plus jolie petite fille qu’on puisse souhaiter, vu qu’elle ressemble à Rose plus qu’à moi, heureusement. Alors, on ne sait trop que faire. »

« Eh bien, Sam, dit Frodo, en aurais-tu contre les vieilles coutumes ? Choisis un nom de fleur comme Rose. La moitié des filles du Comté ont reçu un nom de ce genre, et que pourrait-on demander de mieux ? »

« Je suppose que vous avez raison, monsieur Frodo, dit Sam. J’ai entendus de jolis noms durant mes voyages, mais j’imagine qu’ils sont un peu ronflants pour l’usage de tous les jours, si vous me comprenez. L’Ancêtre, il me dit : “Fais ça court, comme ça, t’auras pas à le raccourcir avant de pouvoir t’en servir.” Mais si c’est pour être un nom de fleur, je me fiche qu’il soit court ou long : il faut que ce soit une belle fleur, parce que voyez, je la trouve très belle, et je pense qu’elle le deviendra encore plus. »

Frodo réfléchit un moment. « Eh bien, Sam, que dirais-tu d’elanor, l’étoile-soleil – tu te souviens, la petite fleur dorée dans l’herbe de la Lothlórien ? »

« Vous avez encore raison, monsieur Frodo ! s’écria Sam, ravi. C’est exactement ça. »

La petite Elanor avait près de six mois, et l’an 1421 était dans son automne, quand Frodo fit venir Sam dans le bureau.

« Jeudi, ce sera l’Anniversaire de Bilbo, Sam, dit-il. Alors, il surpassera le Vieux Touc : il aura cent trente et un ans ! »

« C’est bien vrai ! dit Sam. Il est incroyable ! »

« Alors, Sam, dit Frodo, j’aimerais que tu ailles trouver Rose pour voir si elle peut se passer de toi, afin que nous partions ensemble. Tu ne peux pas partir bien loin, ni trop longtemps maintenant, je le sais bien », dit-il avec quelque mélancolie dans la voix.

« Non, pas tellement, monsieur Frodo. »

« Bien sûr que non. Mais qu’importe. Tu peux faire un bout de chemin avec moi. Dis à Rose que tu ne seras pas très longtemps parti, pas plus d’une quinzaine, et que tu rentreras sain et sauf. »

« J’aimerais pouvoir aller avec vous jusqu’à Fendeval, monsieur Frodo, et voir M. Bilbo, dit Sam. Mais en même temps, le seul endroit où j’ai envie d’être, c’est ici. Je suis déchiré à ce point-là. »

« Pauvre Sam ! J’ai bien peur que tu doives en pâtir, dit Frodo. Mais tu en guériras. Tu es fait pour être solide et entier, et tu le seras. »

Au cours des deux jours suivants, Frodo passa en revue tous ses écrits et documents en compagnie de Sam, et il lui remit ses clefs. Il y avait là un grand livre à simple reliure de cuir rouge : ses hautes pages étaient presque remplies, à présent. Les premières étaient couvertes de l’écriture de Bilbo, frêle et serpentine ; mais la plus grande part était de la plume toujours coulante et assurée de Frodo. Tout était divisé en chapitres ; mais le quatre-vingtième était inachevé, et suivi de quelques plages blanches. La page de titre suggérait différentes formules, biffées l’une après l’autre, comme suit :