Círdan les conduisit alors aux Havres, où un navire blanc était au mouillage. Sur le quai, à côté d’un grand cheval gris, se tenait une forme tout de blanc vêtue qui les attendait. Elle se retourna et, comme elle venait à leur rencontre, Frodo vit que Gandalf portait désormais ouvertement le Troisième Anneau, Narya le Grand, dont la pierre rutilait comme du feu sur sa main. Alors, ceux qui devaient partir furent heureux, car ils surent que Gandalf prendrait la mer avec eux.
Mais Sam avait le cœur en peine, songeant que, si la séparation serait amère, le long chemin de retour serait plus pénible encore. Or tandis qu’ils se tenaient là, que les Elfes montaient à bord et que l’on s’apprêtait au départ, Merry et Pippin arrivèrent en toute hâte sur leurs montures. Et Pippin riait au milieu de ses larmes.
« Tu as déjà essayé de nous fausser compagnie, Frodo, et ça n’a pas marché, dit-il. Cette fois, tu as presque réussi, mais pas tout à fait. Ce n’est pas Sam qui t’a vendu cette fois, mais Gandalf en personne ! »
« Oui, dit Gandalf, car il sera mieux de rentrer à trois plutôt que seul. Eh bien… ici, chers amis, sur les rivages de la Mer, s’achève enfin notre fraternité en Terre du Milieu. Allez en paix ! Je ne dirai pas : ne pleurez point ; car toutes les larmes ne sont pas un mal. »
Frodo embrassa alors Merry et Pippin, et en tout dernier lieu, Sam, puis il s’embarqua ; et les voiles furent hissées, et le vent se leva, et le navire glissa lentement sur le long estuaire gris ; et la lumière de la fiole de Galadriel que portait Frodo clignota et disparut. Et le navire gagna la Haute Mer et passa doucement dans l’Ouest, jusqu’à ce qu’enfin, par une nuit pluvieuse, Frodo perçût dans l’air une douce fragrance, et le son de chants portés sur l’eau. Puis il lui sembla, comme dans le rêve qu’il avait eu dans la maison de Bombadil, que le rideau de pluie grise se faisait tout de verre argenté ; et il contempla des rivages blancs, et au-delà, une contrée verdoyante et lointaine sous un rapide lever de soleil.
Mais pour Sam, resté debout au Havre, le soir laissa place aux ténèbres ; et, contemplant la mer grise, il vit seulement une ombre flottant sur les eaux, bientôt perdue dans l’Ouest. Il y resta jusque tard dans la nuit, n’écoutant que le soupir et le murmure des vagues sur les rivages de la Terre du Milieu, et ce son lui descendit aux profondeurs de l’âme. À ses côtés se tenaient Merry et Pippin, en silence.
Les trois compagnons se détournèrent enfin, puis, sans jamais plus regarder en arrière, ils chevauchèrent lentement vers la maison ; et ils ne prononcèrent aucune parole avant d’avoir regagné le Comté, mais chacun trouva grand réconfort auprès de ses amis sur le long chemin gris.
Enfin, ils traversèrent les coteaux et prirent la Route de l’Est, puis Merry et Pippin continuèrent vers le Pays-de-Bouc ; et tous deux chantaient déjà chemin faisant. Mais Sam se tourna vers Belleau et bientôt remonta la Colline, tandis que le jour baissait encore. Et, arrivant, il vit une lueur jaune, et du feu à l’intérieur ; car le repas du soir était prêt, et on l’attendait. Et Rose l’accueillit et l’installa dans son fauteuil, et elle mit la petite Elanor sur ses genoux.
Il respira profondément. « Eh bien, je suis de retour », dit-il.
APPENDICES
APPENDICE A Annales des rois et dirigeants
Concernant les sources utilisées pour la plus grande partie du matériau que l’on trouve dans ces Appendices, en particulier ceux de A à D, voir la note à la fin du Prologue. La section A III, Le Peuple de Durin, nous vient probablement de Gimli le Nain, qui demeura ami avec Peregrin et Meriadoc et les revit souvent au Gondor et au Rohan.
Les légendes, les chroniques et le savoir ancien contenus dans ces sources représentent une somme considérable de matière. Seuls des morceaux choisis, le plus souvent très abrégés, seront donnés ici. Ils visent essentiellement à illustrer la Guerre de l’Anneau et ses origines, et à combler certaines lacunes du récit principal. Les légendes anciennes du Premier Âge, auxquelles Bilbo s’est avant tout intéressé, sont évoquées très brièvement, puisqu’elles touchent à l’ascendance d’Elrond ainsi qu’aux rois et aux chefs númenóréens. Les passages directement extraits de plus longs récits ou annales sont donnés entre guillemets, et les ajouts ultérieurs placés entre crochets. Les notes entre guillemets figurent dans les sources d’origine. Les autres sont des ajouts éditoriaux1.
Les dates données ici sont celles du Troisième Âge, sauf si elles sont suivies de l’indication D.A. (Deuxième Âge) ou Q.A. (Quatrième Âge). Traditionnellement, on considère que le Troisième Âge a pris fin quand les Trois Anneaux sont passés au-delà, en septembre 3021 ; mais aux fins des archives du Gondor, le début de 1 Q.A. est fixé au 25 mars 3021. Sur l’équivalence entre les dates du Gondor et le Comput du Comté, voyez I 19 et III 470. Dans les listes, les dates qui suivent les noms des rois et des souverains sont celles de leur mort, lorsqu’une seule est donnée. Le signe † dénote une mort prématurée, au combat ou autrement, bien que l’événement en question ne soit pas toujours recensé dans les présentes annales.
I Les Rois númenóréens
(I) NÚMENOR
Fëanor était le plus grand des Eldar en savoir et en artifice, mais aussi le plus fier et le plus entêté. Il fabriqua les Trois Joyaux, les Silmarilli, et les emplit de la lumière des deux Arbres, Telperion et Laurelin2, lesquels éclairaient le pays des Valar. Les Joyaux furent convoités par Morgoth l’Ennemi, qui les déroba et, après avoir détruit les Arbres, les emporta en Terre du Milieu pour les conserver dans sa grande forteresse du Thangorodrim3. Contre la volonté des Valar, Fëanor quitta le Royaume Bienheureux et s’exila en Terre du Milieu, entraînant une grande partie de son peuple à sa suite ; car dans son orgueil, il se proposait de reprendre les Joyaux à Morgoth par la force. S’ensuivit alors la guerre désespérée des Eldar et des Edain contre le Thangorodrim, dans laquelle ils finirent par être complètement défaits. Les Edain (Atani) sont les trois peuples des Hommes qui, arrivés les premiers dans l’Ouest de la Terre du Milieu et aux rivages de la Grande Mer, se firent les alliés des Eldar contre l’Ennemi.
Il y eut trois unions entre Eldar et Edain : Lúthien et Beren, Idril et Tuor, enfin Arwen et Aragorn. Par cette dernière union, les rameaux longtemps séparés des Semi-Elfes furent réunis, et leur lignée rétablie.
Lúthien Tinúviel était la fille du roi Thingol Cape-grise du Doriath au Premier Âge, mais sa mère était Melian du peuple des Valar. Beren était le fils de Barahir de la Première Maison des Edain. Ensemble, ils arrachèrent un silmaril de la Couronne de Fer de Morgoth4. Lúthien devint mortelle et fut perdue pour la gent elfique. Elle eut Dior comme fils, et lui eut une fille, Elwing, qui conserva le silmaril.
Idril Celebrindal était la fille de Turgon, roi de la cité cachée de Gondolin5. Tuor était le fils de Huor de la Maison de Hador, la Troisième Maison des Edain et la plus renommée dans les guerres contre Morgoth. Eärendil le Marin était leur fils.
Eärendil épousa Elwing et, avec le pouvoir du silmaril, il traversa les Ombres6 et vint dans l’Ouest Absolu, et, parlant en qualité d’ambassadeur tant pour les Elfes que pour les Hommes, il obtint l’aide qui permit de renverser Morgoth. Eärendil n’eut pas la permission de retourner dans les terres mortelles, et son navire portant le silmaril fut lancé au firmament pour y naviguer, comme une étoile et un signe d’espoir pour les habitants de la Terre du Milieu qui vivaient sous le joug du Grand Ennemi ou de ses serviteurs7. Seuls les silmarilli préservaient l’ancienne lumière des Deux Arbres de Valinor, avant que Morgoth n’eût empoisonné ceux-ci ; mais les deux autres joyaux furent perdus à la fin du Troisième Âge. Le récit complet de ces événements, et bien d’autres choses encore au sujet des Elfes et des Hommes, sont racontés dans Le Silmarillion.