Trente et un rois se succédèrent au Gondor après Anárion, tombé devant la Barad-dûr. Sur plus d’un millénaire, bien que la guerre n’ait jamais cessé d’assaillir leurs bornes, les Dúnedain du Sud acquirent puissance et richesse sur terre et sur mer, jusqu’au règne d’Atanatar II, surnommé Alcarin, le Glorieux. Mais même alors, on entrevoyait déjà les signes du déclin ; car les nobles du Sud se mariaient tardivement, et ils avaient peu d’enfants. Le premier roi sans postérité fut Falastur, et le second Narmacil I, fils d’Atanatar Alcarin.
Ce fut Ostoher, le septième roi, qui rebâtit Minas Anor, où les rois eurent dès lors coutume de passer l’été, la préférant à Osgiliath. En son temps, le Gondor essuya la première attaque des hommes sauvages de l’Est. Mais Tarostar, son fils, les vainquit et les expulsa, et il prit le nom de Rómendacil, « Vainqueur de l’Est ». Il tomba par ailleurs au combat contre de nouvelles hordes d’Orientais. Turambar son fils le vengea et conquit de grands territoires à l’est.
Ce fut avec Tarannon, le douzième roi, que commença la lignée des Rois-Navigateurs, qui constituèrent des forces navales afin d’accroître l’empire du Gondor le long des côtes, à l’ouest et au sud des Bouches de l’Anduin. Pour commémorer ses victoires en tant que Capitaine des Armées, Tarannon ceignit la couronne sous le nom de Falastur, « Seigneur des Côtes ».
Eärnil I, son neveu, qui lui succéda, réhabilita l’ancien port de Pelargir et se fit construire une grande escadre. Il assiégea Umbar par mer et par terre et s’en empara, et ce devint un port important et une grande place forte au sein du Gondor27. Mais Eärnil ne survit pas longtemps à son triomphe. Il périt avec maints navires et maints hommes dans une terrible tempête au large d’Umbar. Ciryandil son fils poursuivit la construction de navires ; mais les Hommes du Harad, sous la conduite des seigneurs qui avaient été chassés d’Umbar, marchèrent en grande force sur cette place, et Ciryandil tomba sous leur glaive au Haradwaith.
Umbar fut investi de nombreuses années durant, mais la puissance navale du Gondor tint le Harad en échec. Ciryaher fils de Ciryandil attendit son heure, puis, ayant enfin rassemblé une force suffisante, il descendit du nord par terre et par mer et, franchissant le fleuve Harnen, ses armées écrasèrent complètement les Hommes du Harad, et leurs rois furent forcés de reconnaître la souveraineté du Gondor (1050). Ciryaher prit alors le nom de Hyarmendacil, « Vainqueur du Sud ».
Nul n’osa plus défier la puissance de Hyarmendacil tant que dura son règne. Celui-ci dura cent trente-quatre ans, le plus long de toute la Lignée d’Anárion, hormis un seul. En son temps, la puissance du Gondor atteignit son zénith. Le royaume s’étendait alors, au nord, jusqu’au champ de la Celebrant et aux lisières sud de Grand’Peur, jusqu’au Grisfleur à l’ouest, à l’est jusqu’à la Mer intérieure du Rhûn, et au sud jusqu’au fleuve Harnen, et de là le long de la côte jusqu’à la péninsule du port d’Umbar. Les Hommes des Vaux de l’Anduin reconnaissaient son autorité ; et les rois du Harad rendaient hommage au Gondor, eux dont les fils vivaient en otages à la cour du Roi. Le Mordor était désolé, mais sous la surveillance de grandes places fortes gardant les cols.
Ainsi prit fin la lignée des Rois-Navigateurs. Atanatar Alcarin fils de Hyarmendacil vécut dans un grand faste, et les gens disaient : Les pierres précieuses au Gondor sont des cailloux qui servent aux jeux des enfants. Mais Atanatar aimait l’aisance et ne fit rien pour sauvegarder la puissance dont il avait hérité, et ses deux fils étaient de même tempérament. Le déclin du Gondor était déjà amorcé avant sa mort, et ses ennemis ne purent manquer de l’observer. La surveillance du Mordor fut négligée. Mais ce ne fut pas avant le règne de Valacar que s’abattit sur le Gondor une première grande calamité : la guerre civile qui prit le nom de Lutte Fratricide, à la source de grandes pertes et dommages considérables qui ne furent jamais pleinement réparés.
Minalcar fils de Calmacil était un homme d’une grande vigueur et, en 1240, Narmacil, voulant s’affranchir de toute responsabilité, le nomma Régent du royaume. Il assuma dès lors le gouvernement du Gondor au nom des rois, jusqu’au jour où il succéda à son père. Son souci premier tenait aux Hommes du Nord.
Ceux-ci s’étaient beaucoup multipliés à la faveur de la paix que la puissance du Gondor avait amenée. Ils étaient en grâce auprès des rois, car leur ascendance les plaçait au plus près des Dúnedain parmi les Hommes moindres (remontant aux mêmes peuples dont étaient issus les Edain de jadis) ; et les rois leur concédèrent de vastes territoires par-delà l’Anduin au sud de Vertbois-le-Grand, afin qu’ils leur servent de défense contre les hommes de l’Est. Car les attaques des Orientais, par le passé, étaient venues surtout de la plaine entre la Mer Intérieure et les Montagnes de Cendre.
Sous le règne de Narmacil I, ces attaques reprirent, quoique peu appuyées au début ; mais il vint aux oreilles du régent que les Hommes du Nord n’étaient pas toujours demeurés fidèles au Gondor ; ainsi d’aucuns s’alliaient parfois aux Orientais, ou par soif de butin, ou pour servir leurs intérêts dans leurs querelles de princes. Ainsi, en 1248, Minalcar se porta à la tête d’une grande force et vainquit une grande armée d’Orientais entre le Rhovanion et la Mer Intérieure, détruisant tous leurs campements et leurs villages à l’est de la Mer. Il prit alors le nom de Rómendacil.
À son retour, Rómendacil fortifia la rive occidentale de l’Anduin jusqu’au confluent avec la Limeclaire et interdit à tout étranger de descendre le Fleuve au-delà des Emyn Muil. Ce fut lui qui érigea les piliers des Argonath à l’entrée du Nen Hithoel. Mais comme il lui fallait des hommes, et qu’il désirait consolider le lien entre le Gondor et les Hommes du Nord, il prit bon nombre d’entre eux à son service, dont certains à qui il conféra de hauts grades au sein de ses armées.
Rómendacil montra une faveur toute particulière à Vidugavia, qui l’avait aidé à la guerre. Lui se proclama Roi du Rhovanion, et c’était en vérité le plus puissant des princes du Nord, bien que son royaume se limitât au territoire entre Vertbois et la rivière Celduin28. En 1250, Rómendacil envoya son fils Valacar auprès de Vidugavia en qualité d’ambassadeur, afin qu’il se familiarise avec la langue, les manières et les politiques des Hommes du Nord. Mais Valacar outrepassa les desseins de son père. Il finit par s’attacher aux terres du Nord et à leur peuple, et il épousa Vidumavi, fille de Vidugavia. Ce mariage devait être l’élément déclencheur de la Lutte Fratricide.
« Car les nobles du Gondor regardaient avec suspicion les Hommes du Nord qui allaient et venaient parmi eux ; et c’était une chose inouïe que l’héritier de la couronne, ou l’un quelconque des fils du roi, dût épouser une femme de race étrangère et de moindre ascendance. Il y avait déjà des soulèvements dans les provinces du Sud quand le roi Valacar se fit vieux. Sa reine avait été une belle et noble dame mais n’avait pas vécu longtemps, comme le voulait le sort des Hommes moindres ; et les Dúnedain craignaient que sa descendance ne soit affligée de la même tare et n’ait pas la majesté des Rois des Hommes. Ils refusaient également de reconnaître son fils comme leur seigneur, car, bien qu’ayant pris le nom d’Eldacar, il était né en pays étranger sous le nom de Vinitharya, qu’il tenait du peuple de sa mère.
« Ainsi, lorsque Eldacar succéda à son père, la guerre éclata au Gondor. Mais Eldacar ne se laissa pas facilement dépouiller de son héritage. Au lignage du Gondor s’ajoutait chez lui l’esprit intrépide des Hommes du Nord. Il était beau et courageux, et ne semblait pas devoir vieillir plus rapidement que son père. Quand les insurgés sous la conduite des descendants des rois se soulevèrent contre lui, il leur résista jusqu’au bout de ses forces. Enfin, il fut assiégé à Osgiliath, et il la tint longtemps, jusqu’à ce que la faim et les forces supérieures des rebelles l’en chassent, livrant la cité aux flammes. Au cours de ce siège et dans l’incendie qui s’ensuivit, la Tour du Dôme d’Osgiliath fut détruite, et le palantír perdu au fond des eaux.