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« Mais l’on dit qu’à l’heure de la défaite, le Roi-Sorcier parut alors soudain, manteau et masque noirs sur une monture noire. Tous ceux qui le virent furent saisis d’effroi ; mais sa haine entière se porta sur le Capitaine du Gondor, qu’il chargea avec un terrible cri. Eärnur entendait l’affronter ; mais son cheval ne put souffrir cet assaut, et il vira brusquement et emporta son cavalier avant que celui-ci ne l’ait maîtrisé.

« Alors le Roi-Sorcier éclata de rire, et quiconque l’entendit n’oublia jamais l’horreur de ce cri. Mais Glorfindel s’avança alors sur son cheval blanc, et, au milieu de son rire, le Roi-Sorcier prit la fuite et se perdit dans les ombres. Car la nuit tombait sur le champ de bataille, et il disparut, et nul ne vit où il s’en était allé.

« Eärnur revint à présent, mais Glorfindel, scrutant les ténèbres qui s’amoncelaient, dit : “Ne le poursuivez pas ! Il ne reviendra plus dans ces terres. Sa fin est encore lointaine, et il ne tombera pas par la main d’un homme.” Beaucoup se souvinrent de ces mots ; mais Eärnur était furieux, et ne pensait qu’à se venger de son déshonneur.

« Ainsi finit le sinistre royaume d’Angmar, et ainsi Eärnur, Capitaine du Gondor, s’attira-t-il la haine suprême du Roi-Sorcier ; mais de nombreuses années devaient s’écouler avant que celle-ci n’éclate au grand jour. »

Ce fut donc au temps du roi Eärnil, comme on le vit plus tard, que le Roi-Sorcier s’échappa du Nord et revint au Mordor, où il rassembla les autres Spectres de l’Anneau dont il était le chef. Mais ce ne fut pas avant l’an 2000 qu’ils sortirent par le col de Cirith Ungol et assiégèrent Minas Ithil. Ils prirent cette tour en 2002 et s’emparèrent de son palantír. Ils ne devaient pas en être chassés de tout le Troisième Âge ; et Minas Ithil devint un endroit redouté, désormais connu sous le nom de Minas Morgul. Nombre de ceux qui habitaient encore en Ithilien désertèrent alors ce pays.

« Eärnur était l’égal de son père en valeur, mais non en sagesse. C’était un homme de forte constitution et de tempérament violent ; mais il ne voulait prendre aucune femme, car son seul plaisir était dans le combat ou dans l’exercice des armes. Ses prouesses étaient telles que nul ne pouvait rivaliser avec lui dans ces sports de combat qu’il affectionnait, et l’on eût dit un champion plutôt qu’un capitaine ou un roi ; de fait, il conserva sa vigueur et son habileté jusqu’à un âge plus avancé qu’il n’était alors habituel. »

Quand Eärnur reçut la couronne en 2043, le roi de Minas Morgul le défia en combat singulier, raillant son adversaire de n’avoir pas voulu l’affronter dans la bataille du Nord. Pour cette fois, Mardil l’Intendant contint la colère du roi. Minas Anor, principale cité du royaume depuis l’époque du roi Telemnar, et résidence des rois, fut alors rebaptisée Minas Tirith, en raison de sa veille constante contre le pouvoir maléfique de Morgul.

Eärnur ne détenait la couronne que depuis sept ans lorsque le Seigneur de Morgul réitéra son défi, raillant le roi de ce qu’à la couardise de la jeunesse il avait ajouté la faiblesse de l’âge. Alors Mardil ne put le contenir plus longtemps, et il se rendit devant la porte de Minas Morgul avec une maigre escorte de chevaliers. Aucun d’eux n’en revint jamais. On croyait au Gondor que le roi, piégé par son perfide ennemi, avait péri sous la torture à Minas Morgul ; mais, nul n’ayant été témoin de sa mort, Mardil le Bon Intendant dirigea le Gondor en son nom durant de longues années.

Or, les descendants du roi étaient désormais fort peu nombreux. La Lutte Fratricide en avait emporté beaucoup ; et depuis ce temps-là, les rois s’étaient montrés jaloux et méfiants de ceux qui se réclamaient de ces origines. Et ceux qui s’étaient attirés de tels soupçons, souvent avaient fui à Umbar pour se joindre aux rebelles ; tandis que d’autres avaient renoncé à leur lignage, épousant des femmes qui n’étaient pas de sang númenóréen.

C’est pourquoi l’on ne put trouver un seul prétendant au trône dont le sang ait été pur, ou dont le privilège aurait fait l’unanimité ; et tous étaient hantés par le souvenir de la Lutte Fratricide, et savaient que le Gondor périrait, si de telles dissensions devaient survenir une nouvelle fois. Ainsi, les années s’allongèrent, l’Intendant continua de régner sur le Gondor, et la couronne d’Elendil demeura dans le giron du roi Eärnil, dans les Maisons des Morts où Eärnur l’avait laissée.

Les Intendants

La Maison des Intendants était connue sous le nom de Maison de Húrin, car ses membres étaient issus de l’Intendant du roi Minardil (1621-1634), Húrin des Emyn Arnen, un homme d’ascendance númenóréenne. Après lui, les rois choisirent toujours leurs intendants parmi ses descendants ; et après Peneldur, l’Intendance devint héréditaire au même titre que la royauté, passant du père au fils ou au plus proche parent.

Chaque nouvel Intendant endossait d’ailleurs sa charge en jurant « de tenir la verge de l’autorité au nom du roi, jusqu’à son retour ». Mais ce devint bientôt des paroles rituelles, guère observées dans les faits, car les Intendants exerçaient tous les pouvoirs des rois. Bien des gens du Gondor croyaient cependant qu’un roi reviendrait bel et bien dans les temps à venir ; et d’aucuns se souvenaient de l’ancienne lignée du Nord, laquelle survivait parmi les ombres, disait-on. Mais les Intendants régnants se refusaient à pareilles idées.

Néanmoins, les Intendants n’occupèrent jamais le trône ancien, ne portant aucune couronne ni aucun sceptre. Ils avaient, pour seul insigne de leur charge, une verge blanche qu’ils tenaient à la main ; et leur bannière était blanche et dénuée de tout emblème ; mais sur la bannière fleurissait autrefois un arbre blanc en champ de sable, couronné de sept étoiles.

Après Mardil Voronwë, considéré comme le premier de sa lignée, le Gondor connut vingt-quatre Intendants régnants, et ce, jusqu’au temps de Denethor II, le vingt-sixième et dernier. Leurs règnes furent tranquilles au début, car c’était l’époque de la Paix Vigilante, qui vit Sauron reculer devant le pouvoir du Conseil Blanc et les Spectres de l’Anneau se terrer dans le Val de Morgul. Mais dès l’époque de Denethor Ier, il n’y eut plus jamais de véritable paix ; et même lorsque le Gondor n’était pas ouvertement ou sérieusement en guerre, ses frontières demeuraient constamment menacées.

Vers la fin du règne de Denethor Ier, la race des uruks, des orques noirs d’une force exceptionnelle, surgit du Mordor pour la première fois : en 2475, ils balayèrent l’Ithilien et prirent Osgiliath. Boromir fils de Denethor (de qui Boromir des Neuf Marcheurs tenait son nom) les écrasa et reconquit l’Ithilien ; mais la ruine d’Osgiliath était désormais complète, et son grand pont de pierre était rompu. Dès lors, la cité fut désertée. Boromir était un grand capitaine, et même le Roi-Sorcier le craignait. Il était beau et noble de visage, et sa vigueur n’avait d’égale que sa volonté, mais une blessure de Morgul lui fut infligée dans cette guerre qui écourta grandement ses jours. Amenuisé par la souffrance, il mourut douze ans après son père.

Alors débuta le long règne de Cirion. C’était un homme vigilant et circonspect, mais l’emprise du Gondor était considérablement réduite, et il ne pouvait guère qu’assurer la défense de ses frontières, pendant que ses ennemis (ou le pouvoir qui les dirigeait) préparaient contre lui des coups qu’il ne pouvait contrecarrer. Les Corsaires harcelaient ses côtes, mais son plus grave péril se trouvait au nord. Dans les vastes terres du Rhovanion, entre Grand’Peur et la Rivière Courante, vivait désormais un peuple farouche, entièrement sous la domination de l’ombre de Dol Guldur. Ils faisaient souvent incursion à travers la forêt, si bien que la vallée de l’Anduin fut bientôt pratiquement déserte au sud de la Rivière aux Flambes. Ces Balchoth se voyaient constamment grossis par d’autres gens de même espèce qui affluaient de l’Est, tandis que le Calenardhon était dépeuplé. Cirion eut fort à faire pour tenir le front de l’Anduin.