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« Voyant venir l’orage, Cirion manda à ses alliés du Nord de lui envoyer de l’aide, mais c’était trop tard ; car en cette même année 2510, les Balchoth, qui avaient construit quantité d’embarcations et de radeaux de grandes dimensions sur les rives orientales de l’Anduin, franchirent le Fleuve en masse et balayèrent la défense. Une armée qui venait du sud se trouva alors coupée des autres et chassée au-delà de la Limeclaire, où elle fut soudainement attaquée par une horde d’Orques des Montagnes et repoussée vers l’Anduin. Puis du Nord vint un secours inespéré, et les cors des Rohirrim retentirent pour la première fois au Gondor. Eorl le Jeune arriva avec ses cavaliers, balayant l’ennemi, et les Balchoth furent pourchassés à mort à travers les champs du Calenardhon. Cirion concéda ces terres à Eorl afin qu’il s’y établisse, et celui-ci prononça le Serment d’Eorl, jurant son amitié aux seigneurs du Gondor en quelque nécessité ou sollicitation. »

Au temps de Beren, le dix-neuvième Intendant, le Gondor se trouva face à un péril encore plus grave. Trois grandes flottes, préparées de longue date, remontèrent d’Umbar et d’autres endroits du Harad, et assaillirent en force les côtes du Gondor ; et l’ennemi débarqua en de nombreux endroits, aussi loin au nord que la bouche de l’Isen. Au même moment, les Rohirrim furent attaqués à l’est et à l’ouest, et, leur pays occupé, ils se réfugièrent dans les vallées des Montagnes Blanches. Cette année-là (2758), le Long Hiver amena un froid extrême et de fortes chutes de neige en provenance du Nord et de l’Est, sur une période de près de cinq mois. Helm du Rohan et ses deux fils périrent au cours de cette guerre ; et la mort et la misère sévirent en Eriador et au Rohan. Mais au Gondor, au sud des montagnes, ce ne fut pas si pénible, et avant la venue du printemps, Beregond fils de Beren avait vaincu les envahisseurs. Il envoya aussitôt des secours au Rohan. C’était le plus grand capitaine que le Gondor eût connu depuis Boromir ; et lorsqu’il succéda à son père (2763), le Gondor commença à reprendre des forces. Mais le Rohan mit plus longtemps à se relever des blessures qu’il avait subies. Voilà pourquoi Beren accueillit Saruman et lui remit les clefs d’Orthanc ; et dès lors (2759), Saruman eut sa résidence à Isengard.

C’est sous le règne de Beregond qu’eut lieu, dans les Montagnes de Brume, la Guerre des Nains et des Orques (2793-2799), dont seule une rumeur parvint au sud jusqu’au jour où les Orques, fuyant Nanduhirion, tentèrent de traverser le Rohan et de s’établir dans les Montagnes Blanches. On combattit de nombreuses années dans les vallées pour mettre fin à cette menace.

À la mort de Belecthor II, vingt et unième Intendant du Gondor, l’Arbre Blanc mourut également à Minas Tirith ; mais on le laissa en place « jusqu’au retour du roi », car il ne s’en trouvait plus aucun semis.

À l’époque de Túrin II, les ennemis du Gondor s’agitèrent de nouveau ; car Sauron avait recouvré sa puissance et le jour de sa résurgence approchait. Tous sauf les plus hardis de ses habitants avaient déserté l’Ithilien, se retirant au-delà de l’Anduin, car le pays était infesté d’orques du Mordor. Ce fut Túrin qui construisit en Ithilien des refuges pour ses soldats, dont Henneth Annûn fut le plus longtemps maintenu. Il fortifia également l’île de Cair Andros30 afin de défendre l’Anórien. Mais pour lui, le plus grave péril était ailleurs : les Haradrim occupaient le Gondor du Sud, et les combats se multipliaient le long du Poros. Lorsqu’une force nombreuse envahit l’Ithilien, le roi Folcwine du Rohan respecta le Serment d’Eorl et s’acquitta de sa dette envers Beregond, envoyant à son tour de nombreux hommes au secours du Gondor. Avec l’aide du Rohan, Túrin remporta la victoire au passage du Poros ; mais les fils de Folcwine tombèrent tous deux au combat. Les Cavaliers les ensevelirent selon la coutume de leur peuple, et on les allongea sous un même monticule, car ils étaient jumeaux. Longtemps se dressa ce tertre, Haudh in Gwanûr, sur la haute berge du fleuve, et les ennemis du Gondor craignaient de le passer.

Turgon succéda à Túrin, mais l’on se souvient surtout de lui que Sauron resurgit deux ans avant sa mort et se déclara ouvertement ; et il entra de nouveau au Mordor, préparé de longue date en prévision de son retour. Alors, la Barad-dûr fut érigée une seconde fois, le Mont Destin s’embrasa, et les derniers habitants de l’Ithilien s’enfuirent au loin. À la mort de Turgon, Saruman s’empara d’Isengard et le fortifia.

« Ecthelion II, fils de Turgon, était un homme de sagesse. Usant du pouvoir qui lui restait, il entreprit de fortifier son royaume contre l’assaut du Mordor. Il exhorta tous les hommes de valeur, d’ici, de là ou de là-bas, à s’engager à son service, et donna haut rang et privilèges à ceux qui firent honneur à sa confiance. Il bénéficia, dans la plupart de ses entreprises, de l’aide et des conseils d’un grand capitaine qu’il aimait plus que tout autre. Les hommes du Gondor l’appelaient Thorongil, l’Aigle de l’Étoile, car il était vif et d’un regard perçant, et il portait une étoile d’argent sur son manteau ; mais nul ne connaissait son véritable nom, ni son pays d’origine. Lorsqu’il se présenta devant Ecthelion, il arrivait du Rohan, où il s’était mis au service de Thengel, Roi des Rohirrim ; mais il n’était pas de ce peuple. C’était un grand meneur d’hommes, sur terre comme en mer, mais il repartit dans les ombres d’où il était venu, avant que le règne d’Ecthelion fût achevé.

« Thorongil insistait souvent auprès d’Ecthelion, disant que la force des rebelles d’Umbar représentait un grave péril pour le Gondor, et un danger mortel pour les fiefs du sud si Sauron décidait d’entrer en guerre ouverte. Enfin, il obtint la permission de l’Intendant et réunit une modeste flotte, puis, arrivant de nuit, il prit Umbar à l’improviste et incendia une bonne part des navires des Corsaires. Combattant sur les quais, il terrassa lui-même le Capitaine du Havre et se retira alors avec sa flotte, n’essuyant que des pertes minimes. Mais, de retour à Pelargir, au grand désespoir et à la surprise de tous, il ne voulut pas rentrer à Minas Tirith, où de grands honneurs l’attendaient.

« Il fit parvenir un message d’adieu à Ecthelion, disant : “D’autres devoirs m’appellent à présent, seigneur, et un long temps et de nombreux périls viendront à passer avant que je retourne au Gondor, si mon destin est tel.” Et bien que nul ne pût deviner quels étaient ces devoirs, ni quelle injonction il avait reçue, l’on sut par où il partit. Car il s’embarqua et franchit l’Anduin, et là, il dit adieu à ses compagnons et poursuivit sa route en solitaire ; et lorsqu’on le vit pour la dernière fois, son visage était tourné vers les Montagnes de l’Ombre.

« Le départ de Thorongil sema le désarroi dans la Cité, et tous y virent une bien grande perte, sauf peut-être Denethor, le fils d’Ecthelion, désormais mûr pour l’Intendance, à laquelle il accéda quatre ans plus tard à la mort de son père.

« Denethor II était un homme fier, vaillant, de haute stature et de plus royale apparence qu’aucun autre des fils du Gondor, et ce, depuis maintes générations ; de plus, il était sage et clairvoyant, et versé dans la tradition ancienne. En fait, sa ressemblance avec Thorongil était celle d’un proche parent, pourtant il venait toujours en second après l’étranger, dans le cœur des hommes et dans l’estime de son père. À l’époque, on était nombreux à penser que Thorongil était parti avant que son rival ne devînt son maître ; bien que Thorongil ne l’eût jamais disputé à Denethor, et qu’il n’eût d’autres prétentions que de servir son père. Et leurs conseils à l’Intendant ne différèrent jamais qu’en un point : Thorongil disait souvent à Ecthelion de ne point s’en remettre à Saruman le Blanc à Isengard, mais de favoriser plutôt Gandalf le Gris. Toutefois, il n’y avait guère de sympathie entre Denethor et Gandalf, et après le règne d’Ecthelion, le Pèlerin Gris trouva moins bon accueil à Minas Tirith. Ainsi, des années après, quand tout fut éclairci, il s’en trouva beaucoup pour penser que Denethor, doué d’un esprit subtil et d’une vue plus longue et plus profonde que celle de ses contemporains, avait découvert la véritable identité de cet étranger du nom de Thorongil, et soupçonnait que Mithrandir et lui conspiraient pour le supplanter.