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À la fin du Premier Âge, la puissance et la richesse de Khazad-dûm s’accrurent de manière considérable ; car le royaume bénéficia de la connaissance et du savoir-faire de nombreuses gens, quand disparurent, dans la ruine du Thangorodrim, les antiques cités de Nogrod et de Belegost au cœur des Montagnes Bleues. La puissance de la Moria se perpétua à travers les Années Sombres et sous la domination de Sauron, car bien que l’Eregion fût dévasté et les portes de la Moria refermées, les salles de Khazad-dûm était trop profondes et trop fortes, leur peuple si nombreux et d’une telle hardiesse, que Sauron ne pouvait les conquérir de l’extérieur. Ainsi, ses richesses demeurèrent longtemps inviolées, bien que sa population fût alors en déclin.

Il advint qu’au milieu du Troisième Âge, Durin, sixième du nom, y fut de nouveau roi. Le pouvoir de Sauron, serviteur de Morgoth, était alors en recrudescence, encore que l’Ombre dans la Forêt qui faisait face à la Moria ne fût pas, pour lors, comprise pour ce qu’elle était. Toutes choses mauvaises se remuaient. Les Nains creusaient profondément à cette époque, forant sous le Barazinbar en quête de mithril, ce métal sans prix qui devenait chaque année plus difficile à obtenir39. Ainsi, ils réveillèrent une chose terrible40 qui, ayant fui le Thangorodrim, était restée cachée aux fondations de la terre depuis la venue de l’Armée de l’Ouest : un Balrog de Morgoth. Il tua Durin, et, l’année suivante, son fils Náin Ier ; puis la gloire de la Moria s’évanouit, et ses habitants furent décimés ou bien s’enfuirent.

La plupart des survivants cherchèrent refuge dans le Nord, et Thráin Ier, fils de Náin, gagna l’Erebor, la Montagne Solitaire, à la lisière orientale de Grand’Peur, et il entreprit là-bas de nouvelles œuvres et devint Roi sous la Montagne. À Erebor, il découvrit un suprême joyau, la Pierre Arcane, Cœur de la Montagne41. Mais son fils Thorin Ier émigra vers les Montagnes Grises dans le Nord lointain, où convergeait alors une grande partie du peuple de Durin ; car ces montagnes étaient riches et peu explorées. Mais les étendues désertes au-delà étaient peuplées de dragons ; et bien des années plus tard, ils revinrent en force et proliférèrent, et ils firent la guerre aux Nains et pillèrent leurs œuvres. Enfin, Dáin Ier, avec Frór, son deuxième fils, tomba aux portes de sa salle, terrassé par un grand drac-froid.

Bientôt, le Peuple de Durin abandonna massivement les Montagnes Grises. Grór, fils de Dáin, partit pour les Collines de Fer avec bon nombre de suivants ; mais Thrór, l’héritier de Dáin, ainsi que Borin, le frère de son père, rentrèrent à Erebor avec le reste des Nains. Thrór ramena la Pierre Arcane dans la Grand-Salle de Thráin, et lui et ses gens prospérèrent et s’enrichirent, et ils gagnèrent l’amitié des Hommes de la région. Car ils ne fabriquaient pas seulement de beaux et merveilleux objets, mais aussi des armes et des armures de grande valeur ; et il y avait grand commerce de minerai entre eux et leurs parents dans les Collines de Fer. Ainsi les Hommes du Nord, qui vivaient entre la Celduin (la Rivière Courante) et la Carnen (l’Eau Rouge), devinrent de puissants guerriers, et ils chassèrent de l’Est tous les ennemis ; et les Nains vécurent dans l’abondance, et les Salles d’Erebor retentissaient du son des chants et des réjouissances42.

La rumeur de l’opulence d’Erebor se répandit alors à travers les terres et vint à l’oreille des dragons, et c’est ainsi que Smaug le Doré, le plus puissant dragon de son époque, prit enfin les airs ; et sans prévenir, il assaillit le roi Thrór et descendit sur la Montagne en flammes. Tout ce royaume ne tarda pas à disparaître, et la ville voisine, le Val, fut laissée à l’état de ruines et vidée de ses habitants ; mais Smaug entra dans la Grand-Salle et s’allongea sur un grand amas d’or.

De nombreux parents de Thrór échappèrent aux flammes et à la mise à sac ; et, dernier de tous, par une porte secrète conduisant hors des salles, vint Thrór lui-même avec son fils Thráin II. Ils partirent au sud avec leur famille43, sans asile, dans de longues errances. Quelques-uns de leurs parents et de leurs plus fidèles suivants étaient également avec eux.

Des années plus tard, Thrór, désormais vieux, appauvri et au désespoir, remit à son fils Thráin le seul véritable trésor qui lui restait, le dernier des Sept Anneaux, puis il partit avec un seul vieux compagnon, du nom de Nár. Au sujet de l’Anneau, il dit à Thráin, le jour de leur séparation :

« Ceci pourrait être pour toi l’assise d’une nouvelle fortune, bien que la chose soit peu probable. Mais il faut de l’or pour engendrer de l’or. »

« Vous ne songez tout de même pas à retourner à Erebor ? » dit Thráin.

« Pas à mon âge, dit Thrór. Notre vengeance contre Smaug, je te la lègue à toi et à tes fils. Mais je ne supporte plus la pauvreté et le mépris des Hommes. Je m’en vais voir ce que je puis trouver. » Il ne dit pas où.

Peut-être le vieil âge l’avait-il rendu un peu fou, l’âge, l’infortune, et sa trop longue rumination des splendeurs de la Moria du temps de ses ancêtres ; ou peut-être était-ce l’Anneau qui, dès lors que s’éveillait son maître, exerçait sa nocive influence, l’amenant à la folie et à la destruction. Quittant la Dunlande où il s’était établi, il s’en fut vers le nord avec Nár, et ils franchirent tous deux le Col de Cornerouge et descendirent à Azanulbizar.

En arrivant à la Moria, Thrór trouva la Porte béante. Nár le supplia de prendre garde, mais Thrór ne fit pas attention à lui et entra la tête haute, tel un héritier retrouvant son domaine. Toutefois, il ne reparut pas. Nár demeura sur place pendant bien des jours, mais il resta caché. Un jour, il entendit un cri féroce et le hurlement d’un cor, puis quelqu’un jeta au-dehors un cadavre qui vint rouler au milieu des marches. Craignant que ce ne fût Thrór, Nár s’avança discrètement, mais une voix jaillit de l’intérieur :

« Viens-t’en petit barbu ! On te voit. Mais tu n’as rien à craindre aujourd’hui. Tu dois nous servir de messager. »

Nár s’approcha alors, et il vit que le corps était bien celui de Thrór ; mais la tête était tranchée et gisait face contre terre. S’agenouillant auprès, il entendit des rires d’Orques parmi les ombres, et la voix poursuivit :

« Quand des gueux ne peuvent attendre à la porte, mais entrent en catimini pour essayer de nous voler, voilà ce qu’on leur fait. S’il y en a encore parmi vous qui viennent traîner leur sale barbe par ici, ils connaîtront le même sort. Va en informer tes gens ! Mais si sa famille désire savoir qui est le roi de nos jours en ces lieux, regarde son visage : le nom est écrit dessus. C’est moi qui l’ai écrit ! C’est moi qui l’ai tué. C’est moi le maître ! »

Nár retourna alors la tête, et il vit marqué au fer rouge sur le front, en runes naines pour qu’il puisse le lire, le nom AZOG. Ce nom devait rester marqué dans son cœur, comme dans celui de tous les Nains. Nár se baissa pour ramasser la tête, mais la voix d’Azog44 dit :

« Lâche ça ! Va-t’en ! Voici tes honoraires, barbe-gueuse ! » Une petite bourse vint le heurter. Elle renfermait quelques pièces de peu de valeur.

En pleurs, Nár s’enfuit le long de l’Argentine ; mais il se retourna une fois et vit que des Orques étaient sortis pour tailler le cadavre en pièces, qu’ils jetaient aux corneilles noires.

Tel fut le récit que Nár rapporta à Thráin ; et Thráin, quand il eut fini de pleurer et de s’arracher la barbe, se réfugia dans le silence. Sept jours durant, il resta assis sans mot dire. Puis il se leva et s’écria : « Ceci est intolérable ! » Ainsi commença la Guerre des Nains et des Orques, longue et meurtrière, livrée en grande partie dans les profondeurs de la terre.