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Or donc, Thráin et Thorin, avec ce qui restait de leurs suivants (parmi lesquels se trouvaient Balin et Glóin), retournèrent en Dunlande ; mais ils repartirent peu après, errant de par l’Eriador, avant de poursuivre leur exil dans une nouvelle demeure à l’est des Ered Luin, au-delà du Loune. Et s’ils forgeaient surtout le fer à cette époque, ils prospérèrent comme ils purent, et leur population s’accrut lentement47. Mais comme l’avait dit Thrór, il fallait à l’Anneau de l’or pour engendrer de l’or ; et de ce métal, comme de tout autre métal précieux, ils étaient largement, sinon entièrement dépourvus.

Il convient de parler ici de cet Anneau en bref. Les Nains du Peuple de Durin croyaient qu’il s’agissait du premier des Sept à avoir été forgés ; et ils disent qu’il fut offert au Roi de Khazad-dûm, Durin III, par les forgerons elfes eux-mêmes, et non par Sauron, bien qu’il fût sans doute imprégné de son pouvoir maléfique, car il prit part à la façon de tous les Sept. Mais ceux qui le détenaient ne le montraient jamais et n’en parlaient pas, et la plupart ne s’en séparaient qu’à l’article de la mort, si bien qu’on ne savait jamais vraiment qui en était le dépositaire. Certains croyaient qu’il était resté à Khazad-dûm, dans les tombeaux secrets des rois, à supposer qu’ils n’eussent pas été découverts et pillés ; mais chez les proches de l’Héritier de Durin, on croyait (à tort) que Thrór le portait le jour où il eut l’imprudence de retourner là-bas ; et on ignorait ce qu’il était devenu. Il ne fut pas retrouvé sur le corps d’Azog48.

Il se peut bien toutefois, comme les Nains le pensent aujourd’hui, que Sauron, par le biais de ses artifices, ait découvert qui était en possession de cet Anneau, le dernier qui demeurât libre ; et que la singulière infortune des héritiers de Durin ait été due en grande partie à sa malveillance. Car les Nains s’étaient révélés indomptables par ce moyen. Le seul pouvoir que les Anneaux exerçaient sur eux consistait à attiser en leur cœur la convoitise de l’or et d’objets précieux, de sorte que, à défaut de ceux-ci, toutes les autres bonnes choses paraissaient sans valeur, et ils ressentaient une vive colère et un désir de vengeance contre tous ceux qui les spoliaient. Mais ils sont, depuis leur commencement, car c’est ainsi qu’ils ont été faits, d’une trempe farouchement résistante à toute domination. On pouvait les tuer ou les mutiler, mais on ne pouvait les réduire à des ombres soumises à une autre volonté ; et aucun Anneau, pour cette même raison, n’avait d’effet sur leur longévité, en l’augmentant ou en l’écourtant. Sauron n’en haïssait que davantage leurs détenteurs et cherchait d’autant plus à les déposséder.

Peut-être le pouvoir maléfique de l’Anneau est-il donc en partie responsable de l’agitation et du mécontentement que l’on observa chez Thráin au bout de quelques années. La convoitise de l’or hantait sans cesse ses pensées. Enfin, n’y tenant plus, il tourna ses pensées vers Erebor et résolut d’y retourner. Il ne dit rien à Thorin du trouble qui l’agitait ; mais avec Balin, Dwalin et quelques autres, il se leva, fit ses adieux et s’en alla.

On sait peu de chose de ce qu’il advint de lui ensuite. Il apparaît aujourd’hui que, aussitôt parti de chez lui avec ses quelques compagnons, il fut pourchassé par les émissaires de Sauron. Poursuivi par des loups, assailli par des Orques, traqué du haut des airs par des oiseaux funestes, il s’efforça d’aller au nord, mais ses malheurs ne firent qu’empirer. Il vint une nuit sombre où lui et ses compagnons se trouvaient à errer dans le pays au-delà de l’Anduin, lorsqu’une pluie noire les poussa à chercher refuge sous les frondaisons de Grand’Peur. Au matin, Thráin avait disparu du campement, et ses compagnons l’appelèrent en vain. Ils le cherchèrent pendant bien des jours, après quoi ils perdirent espoir et rentrèrent finalement auprès de Thorin. Ce fut seulement bien plus tard que l’on apprit que Thráin avait été capturé vivant, emmené et jeté dans les culs-de-basse-fosse de Dol Guldur. Là-bas, il fut torturé, dépouillé de l’Anneau, et livré enfin à la mort.

Ainsi, Thorin Lécudechesne devint l’Héritier de Durin, mais un héritier sans espoir d’héritage. Quand disparut Thráin, il avait quatre-vingt-quinze ans, et c’était un Nain illustre et de fière allure ; mais il paraissait satisfait de demeurer en Eriador. Là, il travailla dur et s’enrichit tant qu’il le put par le commerce ; et son peuple s’accrut dans l’affluence des Gens de Durin qui avaient entendu parler de son établissement dans l’ouest et qui vinrent à lui dans leurs errances. Et voilà qu’ils avaient de belles demeures dans les montagnes, et abondance de biens, et leurs jours ne leur semblaient pas si sombres, bien qu’ils n’aient cessé d’évoquer dans leurs chants la Montagne Solitaire au loin.

Les années s’accumulèrent. Et dans le cœur de Thorin, les braises s’attisaient lorsqu’il ruminait l’injure faite à sa maison et le devoir de vengeance dont il avait hérité à l’encontre du Dragon. Et tandis que résonnait la forge sous les coups de son puissant marteau, il rêvait d’armes, d’armées, d’alliances ; mais les armées étaient dispersées, les alliances rompues, et peu nombreuses les haches de son peuple ; et une grande colère sans espoir le consumait comme il frappait le fer rougi sur l’enclume.

Puis survint par le plus grand des hasards cette fameuse rencontre entre Gandalf et Thorin, rencontre qui devait bouleverser les destinées de la Maison de Durin et conduire également à d’autres fins, plus grandes encore. Un jour49 Thorin, rentrant dans l’Ouest au terme d’un de ses voyages, décida de passer la nuit à Brie. Gandalf aussi y séjournait : il se rendait dans le Comté, qu’il n’avait pas visité depuis une vingtaine d’années. Il était las et comptait s’y reposer quelque temps.

Parmi ses nombreux soucis, il s’inquiétait du danger qui planait sur le Nord ; car il savait déjà alors que Sauron préparait la guerre, et que son intention, dès qu’il s’en sentirait les moyens, était d’attaquer Fendeval. Mais pour résister à toute attaque venue de l’Est dans le but de reprendre le pays d’Angmar et les passages du nord des montagnes, il n’y avait plus que les Nains des Collines de Fer. Et au pied de celles-ci s’étendait la désolation du Dragon. Ce Dragon, Sauron pourrait en faire un terrible usage. Comment donc mettre fin à la menace de Smaug ?

Gandalf était précisément assis à méditer ces questions lorsque Thorin se tint devant lui et dit : « Maître Gandalf, je ne vous connais que de vue, mais aujourd’hui, j’aimerais vivement m’entretenir avec vous. Car mes pensées se sont souvent tournées vers vous ces derniers temps, comme si l’on m’enjoignait de vous rechercher. En vérité, je l’aurais fait, si j’avais su où vous trouver. »

Gandalf le regarda avec étonnement. « Voilà qui est étrange, Thorin Lécudechesne, dit-il. Car j’ai pensé à vous également ; et si je me rends à présent dans le Comté, il ne m’a pas échappé que c’est aussi la route qui conduit à vos grandes salles. »

« Libre à vous de les appeler ainsi, dit Thorin. Ce ne sont que de pauvres demeures d’exil. Mais vous y seriez le bienvenu, si vous y veniez. Car on dit que vous êtes sage et que vous savez mieux que quiconque ce qui se passe dans le monde ; et j’ai de nombreux soucis que vos conseils pourraient alléger. »

« Je viendrai, dit Gandalf, car je devine que nous avons au moins un souci en commun. Le Dragon d’Erebor me préoccupe, et je ne pense pas que le petit-fils de Thrór l’aura oublié. »

Ce qu’il advint de cette rencontre est raconté ailleurs : comment Gandalf accoucha d’un étrange stratagème pour venir en aide à Thorin, et comment Thorin et ses compagnons quittèrent le Comté pour entreprendre la quête de la Montagne Solitaire aux répercussions aussi importantes qu’imprévues. Seules les choses qui touchent au Peuple de Durin seront évoquées ici.