Выбрать главу

« Mais je ne vous ai pas appelés, dit Aragorn, sauf de mes vœux. Mes pensées se sont souvent tournées vers vous, ce soir plus qu’à tout autre moment ; quoi qu’il en soit, je ne vous ai pas convoqués. Mais allons ! Toutes ces questions doivent attendre. Vous nous trouvez dans une périlleuse chevauchée, et il faut faire vite. Accompagnez-nous, si le roi veut bien le permettre. »

Ces nouvelles ne manquèrent pas de réjouir Théoden. « Cela m’agrée ! dit le roi. S’ils vous ressemblent un tant soit peu, monseigneur Aragorn, trente chevaliers de cette trempe seront une aide qui ne saurait se mesurer en nombre de têtes. »

Alors les Cavaliers se remirent en route, et Aragorn chevaucha quelque temps avec les Dúnedain. Et lorsqu’ils eurent échangé des nouvelles du Nord et du Sud, Elrohir lui dit :

« Je vous transmets les paroles de mon père : Les jours sont comptés. Si tu as grand’hâte, souviens-toi des Chemins des Morts. »

« Mes jours ont toujours paru trop courts pour l’accomplissement de mon désir, répondit Aragorn. Mais ma hâte sera certes grande le jour où je suivrai cette voie. »

« Nous verrons cela bientôt, dit Elrohir. Mais ne parlons plus de ces choses tant que nous serons à découvert ! »

Et Aragorn dit à Halbarad : « Qu’avez-vous là, parent ? » Car il vit qu’au lieu d’une lance, il portait un long bâton, comme la hampe d’un étendard ; mais elle était étroitement enroulée dans un linge noir serré de plusieurs lanières.

« Je vous apporte un présent de la Dame de Fendeval, répondit Halbarad. Elle l’a fabriqué en secret, et longue fut sa confection. Mais elle vous envoie aussi un message : Les jours sont maintenant comptés. Ou notre espoir vient, ou la fin de tout espoir. Je t’envoie donc ce que j’ai préparé pour toi. Bon vent, Pierre elfique ! »

Et Aragorn dit : « Maintenant, je sais ce que vous avez là. Portez-le pour moi encore quelque temps ! » Et il se retourna pour regarder au loin, vers le Nord, sous les grandes étoiles ; puis il se tut et ne parla plus de toute cette nuit-là.

La nuit était vieille et l’Est grisonnait quand ils débouchèrent enfin de la Combe de la Gorge et regagnèrent la Ferté-au-Cor. Ils avaient prévu de s’y arrêter un court moment pour se reposer et prendre conseil.

Merry dormit jusqu’à ce que Legolas et Gimli viennent le réveiller. « La Soleil est haute, dit Legolas. Tous les autres sont debout et affairés. Allons, maître Flemmard, venez contempler ce lieu pendant que vous en avez le loisir ! »

« Une bataille s’est déroulée ici il y a trois nuits, dit Gimli ; et ici même, Legolas et moi nous sommes adonnés à un jeu que je n’ai remporté que par un seul orque. Venez voir où cela s’est passé ! Et il y a des cavernes, Merry, des cavernes enchanteresses ! Irons-nous les visiter, tu crois, Legolas ? »

« Non ! Il n’y a pas le temps, trancha l’Elfe. Ne romps pas l’enchantement par trop de hâte ! J’ai donné ma parole de revenir ici avec toi, le jour où la paix et la liberté seront rétablies. Mais il est maintenant près de midi, et à cette heure-là nous mangeons ; puis nous devrons repartir, ai-je entendu dire. »

Merry se leva en bâillant. Ces quelques heures de sommeil ne lui avaient pas suffi, bien au contraire ; il était fatigué et plutôt maussade. Pippin lui manquait, et il avait le sentiment de n’être qu’un fardeau, alors que tout était mis en œuvre pour la bonne conduite d’une affaire qu’il ne comprenait pas entièrement. « Où est Aragorn ? » demanda-t-il.

« Dans une chambre haute de la Ferté, dit Legolas. Il n’a pas dormi, je crois, ni pris aucun repos. Il est monté là-haut il y a quelques heures, disant qu’il devait réfléchir, et seul son parent Halbarad l’a accompagné ; mais un souci pèse sur lui, ou quelque sombre doute. »

« Ce sont d’étranges personnages, ces nouveaux venus, dit Gimli. Des hommes vaillants et dignes – les Cavaliers du Rohan semblent presque des gamins à côté d’eux ; car ils sont sévères de traits, burinés comme d’antiques rochers pour la plupart, à l’instar d’Aragorn ; et ils sont silencieux. »

« Mais comme Aragorn, ils sont courtois lorsqu’ils brisent le silence, dit Legolas. Et as-tu remarqué les frères Elladan et Elrohir ? Leur vêtement est moins sombre que celui des autres, et ils ont la beauté héroïque que l’on prête aux seigneurs des Elfes – ce qui n’a rien d’étonnant chez les fils d’Elrond de Fendeval. »

« Pourquoi sont-ils venus ? L’avez-vous entendu dire ? » demanda Merry. S’étant habillé, il jeta sa cape grise sur ses épaules ; alors, tous trois sortirent et se dirigèrent vers la porte détruite de la Ferté.

« Ils ont répondu à l’appel qui leur était lancé, comme vous avez pu l’entendre, dit Gimli. Un message est venu à Fendeval, dit-on : Aragorn a besoin des siens. Que les Dúnedain aillent jusqu’à lui au Rohan ! Quant à la provenance de ce message, ils ne savent plus quoi penser. Je dirais qu’il venait de Gandalf. »

« Non, de Galadriel, dit Legolas. N’a-t-elle pas évoqué, par le truchement de Gandalf, la chevauchée de la Compagnie Grise venue du Nord ? »

« Oui, très juste, dit Gimli. La Dame du Bois ! Elle a lu les désirs de maints cœurs. Dis-moi, pourquoi n’avons-nous souhaité la venue de quelques-uns des nôtres, Legolas ? »

L’Elfe, debout devant la porte, tourna ses yeux clairs loin au nord et à l’est, et son beau visage se troubla. « Je ne crois pas qu’il en viendrait aucun, répondit-il. Ils n’ont nul besoin d’aller à la guerre ; la guerre est déjà en marche sur leurs propres terres. »

Les trois compagnons marchèrent quelque temps ensemble, évoquant tel ou tel moment de la bataille ; et, descendant des portes en ruine, ils passèrent les tertres des morts au combat, dressés dans l’herbe en bordure de la route, jusqu’au Fossé de Helm donnant vue sur l’intérieur de la Combe. Le Mont de la Mort s’y trouvait déjà, haute éminence noire et pierreuse, et toutes les traces et les empreintes du grand piétinement des Huorns se voyaient clairement dans l’herbe. Les Dunlandais, ainsi que maints hommes en garnison à la Ferté, étaient à l’œuvre aux abords du Fossé ou dans les champs et au-delà, autour des murs ravagés ; pourtant, tout semblait étrangement calme : une vallée éprouvée, contrainte au repos après la tempête. Bientôt, ils firent demi-tour et se rendirent au repas de midi dans la grand-salle de la Ferté.

Le roi s’y trouvait déjà et, à leur entrée, il fit immédiatement appeler Merry et installer un siège pour lui à ses côtés. « Ce n’est pas ce que j’aurais voulu, dit Théoden ; car cet endroit n’est guère comparable à ma belle demeure à Edoras. Et votre ami est parti, qui aurait dû être des nôtres. Mais ce pourrait être long avant que nous nous asseyions, vous et moi, à la table d’honneur de Meduseld ; il n’y aura pas le temps de festoyer quand bientôt j’y retournerai. Mais allons ! Mangez et buvez, à présent, et conversons pendant que nous en avons l’occasion. Ensuite, vous chevaucherez à mes côtés. »

« Le permettrez-vous ? répondit Merry, étonné et ravi. Ce serait formidable ! » Jamais il n’avait éprouvé autant de gratitude pour une parole bienveillante. « Je crains d’être toujours dans vos jambes, balbutia-t-il ; mais j’aimerais bien pouvoir me rendre utile, vous savez. »

« Je n’en doute point, dit le roi. Je vous ai fait apprêter un bon poney de montagne. Il vous portera aussi vite qu’un cheval par les chemins que nous prendrons. Car je quitterai la Ferté par les chemins de montagne, non par la plaine, pour arriver ainsi à Edoras en passant par Dunhart, où m’attend la dame Éowyn. Vous serez mon écuyer, si le cœur vous en dit. Garde-t-on ici, Éomer, quelque attirail de guerre qui pourrait servir à mon page ? »