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Cependant, les noms de personnes, tant des Hobbits du Comté que de Brie, étaient inhabituels pour l’époque, notamment la coutume qui s’était développée, quelques siècles auparavant, des noms patronymiques hérités de génération en génération. Ces noms de famille avaient pour la plupart une signification claire (dans la langue courante, étant dérivés de surnoms plaisants, de noms de lieux ou – à Brie en particulier – de noms de plantes ou d’arbres). Traduire ces noms ne présentait guère de difficulté ; mais il restait un ou deux noms plus anciens dont la signification s’est perdue, et je me suis contenté d’adapter leur orthographe : Touc pour Tûk et Boffine pour Bophîn, par exemple.

Autant que faire se peut, j’ai suivi pour les prénoms des Hobbits une démarche semblable. Les Hobbits donnaient communément à leurs filles des noms de fleurs ou de pierres précieuses. À leurs garçons, ils donnaient le plus souvent des noms sans signification dans le langage courant ; et certains noms de femme étaient de cette espèce. Citons, à titre d’exemple, Bilbo, Bungo, Polo, Lotho, Tanta, ou encore Nina. On trouve d’inévitables ressemblances avec plusieurs noms encore portés ou connus aujourd’hui : Otho, Odo, Drogo, Dora, Cora, et ainsi de suite. J’ai conservé ces noms, que j’ai simplement adaptés en modifiant la finale ; car dans les noms hobbits, a était une finale masculine, tandis que les finales en o et en e étaient féminines.

Cependant, dans certaines familles anciennes, en particulier celles d’origine peaublême comme les Touc et les Bolgeurre, on avait coutume de donner des prénoms grandiloquents. La plupart étaient vraisemblablement tirés de légendes du passé, autant des Hommes que des Hobbits ; et si bon nombre d’entre eux ne signifiaient plus rien pour les Hobbits, ils ressemblaient néanmoins aux noms des Hommes de la Vallée de l’Anduin, du Val ou de la Marche. Aussi les ai-je rendus par ces vieux noms, principalement d’origine franque et gothique, que l’on trouve encore chez nous ou qui figurent dans nos livres d’histoire. Ainsi, j’ai pu au moins préserver le contraste souvent amusant entre prénoms et noms de famille, dont les Hobbits eux-mêmes étaient bien conscients. Très peu de noms sont issus des langues classiques, car les plus proches équivalents du latin et du grec, dans la tradition du Comté, étaient les langues elfiques, qui figuraient rarement dans la nomenclature hobbite. Les Hobbits ne furent jamais nombreux à connaître les « langues des rois », comme ils les appelaient.

Les noms des Boucerons différaient de ceux du reste du Comté. Les gens de la Marêche et leurs parents ayant traversé le Brandivin se distinguaient de plusieurs manières, comme on l’a raconté. Nul doute que c’est de l’ancienne langue des Fortauds du Sud qu’ils tenaient bon nombre de leurs noms excessivement étranges. J’ai choisi le plus souvent de les conserver tels quels, car s’ils semblent bizarres aujourd’hui, ils l’étaient tout autant à l’époque. Ils avaient une consonance que l’on pourrait vaguement qualifier de « celtique ».

Ainsi, les traces résiduelles de l’ancienne langue des Fortauds et des Hommes de Brie rappelant la survivance d’éléments celtiques en Angleterre, j’ai parfois cherché à reproduire ces derniers dans ma traduction. Brie, Combe, Archètes et le Bois de Chètes s’inspirent donc de ces reliques de la nomenclature anglaise, choisies en fonction du sens : brie signifie « colline » et chètes signifie « bois ». Quant aux prénoms, un seul a été modifié de cette manière. J’ai choisi Meriadoc parce que le diminutif de ce personnage, Kali, signifiait « jovial, gai », mais il s’agissait en réalité d’une abréviation de Kalimac, un nom du Pays-de-Bouc désormais sans signification9.

Je ne me suis servi, dans mes transpositions, d’aucun nom d’origine hébraïque ou de semblable provenance. Il n’est rien dans les noms hobbits qui corresponde à cette composante de nos noms. Les diminutifs tels que Sam, Tom, Tim, Mat, sont des abréviations courantes de noms hobbits tout à fait originaux comme Tomba, Tolma, Matta et autres. Mais Sam et son père Ham se nommaient en réalité Ban et Ran. C’étaient là les diminutifs de Banazîr et Ranugad qui, à l’origine, étaient des surnoms, lesquels signifiaient respectivement « mi-dégourdi, benêt » et « casanier » ; mais, ces mots n’étant plus d’usage courant, ils étaient restés comme prénoms traditionnels dans certaines familles. J’ai donc tenté de conserver ces qualités en proposant Samsaget [aSamwise] et Hamfast, formes modernisées de l’ancien anglais samwís et hámfæst, de sens très voisin.

Parvenu aussi loin dans mes efforts pour moderniser la langue et les noms des Hobbits et leur donner un air de familiarité, j’ai été entraîné dans une nouvelle démarche. Les langues des Hommes apparentées à l’occidentalien devaient, à mon sens, être rendues par des formes apparentées à l’anglais. J’ai donc transposé la langue du Rohan pour la rapprocher de l’ancien anglais, étant donné sa parenté (relativement lointaine) avec le parler commun, son rapport (très proche) avec l’ancienne langue des Hobbits du Nord, et son caractère archaïque par comparaison à l’occidentalien. Dans le Livre Rouge, il est maintes fois rapporté que les Hobbits, au contact de la langue du Rohan, reconnaissaient de nombreux mots, et voyaient là une langue assez proche de la leur ; ainsi, il paraissait absurde de laisser sous une forme tout à fait étrangère les noms et les mots des Rohirrim préservés dans les chroniques.

J’ai choisi de moderniser la forme et la graphie des toponymes du Rohan dans un certain nombre de cas, comme pour Dunhart ; mais ce choix n’est pas systématique, car j’ai suivi l’exemple des Hobbits. Ils modifiaient les noms qu’ils entendaient de la même manière, lorsque ces noms étaient composés d’éléments qu’ils reconnaissaient, ou ressemblaient à des toponymes du Comté ; mais il en est d’autres auxquels ils ne touchaient pas, et j’ai fait la même chose, comme pour Edoras « les clos ». Pour les mêmes raisons, quelques noms de personnes ont été modernisés, dont celui de Langue de Serpent10.

Cette assimilation permet aussi de représenter les vocables régionaux spécifiques aux Hobbits, originaires des parlers du Nord. Je leur ai donné des formes qu’auraient pu prendre, s’ils avaient survécu jusqu’à nos jours, des mots désuets de la langue anglaise. Ainsi, mathom est à l’ancien anglais máthm ce que le véritable mot hobbit kast est au kastu de la langue du Rohan. De même, smial (ou smile, prononcé à l’anglaise) « terrier » est un descendant plausible de l’ancien mot smygel, ce qui représente bien la relation qui existait entre le mot hobbit trân et celui du Rohan trahan. Sméagol et Déagol sont des équivalents inventés selon le même principe pour les noms Trahald « chose qui fouit, se faufile » et Nahald « secret » des langues du Nord.

La langue du Val, plus septentrionale encore, n’apparaît au cours du récit que dans les noms des Nains originaires de cette région et donc locuteurs de la langue des Hommes qui y vivaient, d’où leurs noms « extérieurs » choisis dans cette langue. Notons que dans la version anglaise du présent livre, comme dans Le Hobbit, c’est la forme dwarves qui est utilisée (pour « nains »), bien que les dictionnaires nous disent que le pluriel de dwarf est dwarfs. Ce serait plutôt dwarrows (ou dwerrows), si le singulier et le pluriel avaient chacun suivi leur propre voie au cours des années, comme c’est le cas de man et men (« homme[s] »), ou goose et geese (« oie[s] »). Mais l’on ne parle plus aussi souvent des nains que l’on parle des hommes, ou même des oies, et les Hommes n’ont pas eu la mémoire assez fidèle pour que l’usage consacre un pluriel spécial à une race désormais abandonnée au conte populaire (où subsiste néanmoins une parcelle de vérité), et enfin aux histoires sans queue ni tête où ils font figure de simples bouffons. Mais au Troisième Âge s’entrevoit encore une part de leur caractère et de leur pouvoir d’antan, encore que déjà un peu pâlis : les descendants des Naugrim, en qui brûle encore la flamme ancienne d’Aulë le Forgeron et couvent les braises d’une longue rancune contre les Elfes ; et en les mains desquels survit un don pour le travail de la pierre que nul n’a jamais égalé.