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C’est pour dénoter cela que je me suis hasardé à employer la forme dwarves, afin de les distancer un peu, je l’espère, des histoires parfois grotesques que l’on entend de nos jours. Dwarrows eût été préférable ; mais je ne m’en suis servi que dans l’appellation Creusée des Nains [aDwarrowdelf ], qui représente le nom de la Moria dans le parler commun : Phurunargian. Ce nom signifiait en effet « excavation des Nains », mais il s’agissait déjà d’un mot de forme ancienne. Moria, par ailleurs, est d’origine elfique, et c’est un nom peu élogieux ; car si les Eldar, ont parfois été contraints, au cours de leurs terribles guerres contre le Pouvoir Sombre et ses serviteurs, de bâtir des forteresses souterraines, ils ne choisissaient pas volontiers d’y vivre. Ils aimaient la terre verdoyante et les lumières des cieux ; et Moria, dans leur langue, signifie Gouffre Noir. Mais le nom donné par les Nains eux-mêmes, et qui tout au moins ne fut jamais gardé secret, était Khazad-dûm, le Palais des Khazâd ; car tel est le nom qu’ils se donnent eux-mêmes en tant que peuple, et ce, depuis qu’Aulë le leur a donné au moment de leur création, dans les profondeurs du temps.

Elfes traduit à la fois Quendi, « les parlants », nom haut-elfique de toute leur espèce, et Eldar, le nom des Trois Peuples qui cherchèrent à gagner le Royaume Immortel et qui y parvinrent au commencement des Jours (tous sauf les Sindar). Ce mot ancien, en réalité le seul qui pouvait convenir, avait déjà servi à désigner le souvenir qui restait de ce peuple dans la mémoire des Hommes, ou ce que leur imagination avait inventé de plus approchant. Mais ce mot s’est dégradé, et pour beaucoup il n’évoque plus que des esprits mignons ou ridicules, aussi éloignés des Quendi d’autrefois que le papillon du vif faucon – non qu’aucun des Quendi ait jamais eu des ailes au sens corporel, chose tout aussi étrangère à leur nature qu’elle ne l’est à celle des Hommes. C’était une belle et noble race, les aînés des Enfants du monde ; et parmi eux, les Eldar étaient comme des rois, qui maintenant sont partis : les Gens du Grand Voyage, le Peuple des Étoiles. Ils étaient grands, au teint clair et aux yeux gris, mais leur chevelure était sombre, sauf dans la maison dorée de Finarfin11 ; et leur voix était plus richement mélodieuse qu’aucune voix mortelle entendue de nos jours. Ils étaient vaillants, mais l’histoire de ceux qui revinrent s’exiler en Terre du Milieu fut tragique ; et bien qu’il ait croisé le destin des Pères au temps jadis, leur destin n’est pas celui des Hommes. Leur suprématie est passée depuis bien longtemps, et ils vivent désormais au-delà des cercles du monde, et ne reviennent pas.

NOTE PORTANT SUR TROIS NOMS : HOBBIT, GAMGIE ET BRANDIVIN

Hobbit est un mot inventé. En occidentalien, les rares fois où l’on faisait allusion à ces gens, le mot était banakil « demi-homme ». Mais au temps du récit, les gens du Comté et de Brie se servaient du mot kuduk, qui ne se disait nulle part ailleurs. Or, selon ce que rapporte Meriadoc, le Roi du Rohan employait le terme kûd-dûkan « habitant de trous ». Étant donné que les Hobbits, comme on l’a vu, parlaient par le passé une langue fort apparentée à celle des Rohirrim, il semble probable que kuduk ait été une déformation de kûd-dûkan. Pour les raisons précédemment mentionnées, j’ai choisi de rendre ce dernier terme par holbytla ; et hobbit pourrait très bien passer pour une déformation de holbytla, si ce nom avait existé autrefois dans notre langue.

Gamgie. Selon la tradition familiale exposée dans le Livre Rouge, le nom de famille Galbasi ou, par réduction, Galpsi, était issu du village de Galabas, nom généralement compris comme un composé de galab- « gibier » et de l’élément archaïque bas-, plus ou moins équivalent à l’anglais wick, wich. Gamwich (prononcé Gammidge), semblait donc un bon équivalent. Mais en réduisant Gammidgy à Gamgie [aGamgee] pour représenter Galpsi, je ne faisais aucunement allusion aux relations qu’entretenait Samsaget avec la famille Casebonne [aCotton], encore que l’esprit hobbit n’eût pas dédaigné semblable plaisanterie, au contraire, si le calembour s’était présenté dans leur langue12.

[aCotton], en fait, représente Hlothran, un nom de village plutôt répandu dans le Comté, composé de hloth, « trou ou habitation de deux pièces », et ran(u), qui désigne un petit groupe de ces habitations juché à flanc de colline. Comme nom de famille, il s’agit peut-être d’une déformation de hlothram(a) « habitant d’une maison de campagne ». Hlothram, rendu par Casenier, était le nom du grand-père du fermier Casebonne.

Brandivin. Les noms hobbits de ce cours d’eau étaient des déformations de l’elfique Baranduin (accent tonique sur le and ), dérivé de baran « brun doré » et duin « (grande) rivière ». Brandivin pour Baranduin semble de nos jours une déformation assez plausible. En réalité, l’ancien nom hobbit était Branda-nîn, « eau frontalière », dont une traduction plus fidèle eût été Bournemarche ; mais par suite d’une plaisanterie qui finit par passer dans l’usage, là encore par allusion à sa couleur, le nom du fleuve était devenu, à l’époque qui nous concerne, Bralda-hîm « bière capiteuse ».

Il faut toutefois remarquer que, lorsque les Vieilbouc (Zaragamba) prirent le nom de Brandibouc (Brandagamba), le premier élément signifiait « pays frontalier » : Marchebouc eût donc été plus exact. Seul un hobbit des plus hardis aurait osé affubler le Maître du Pays-de-Bouc du nom de Braldagamba en sa présence.