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Mais elle dit enfin : « Messires, vous êtes fatigués, et vous irez trouver vos lits et tout le confort qu’il est possible d’offrir dans la hâte. Demain, nous aurons mieux à vous proposer. »

Mais Aragorn dit : « Non, madame, ne vous dérangez pas pour nous ! Si nous pouvons dormir ici et rompre notre jeûne au matin, ce sera assez. Car ma mission est des plus urgentes, et il nous faudra partir aux premières lueurs. »

Elle lui sourit et dit : « Dans ce cas, je vous remercie d’avoir fait un si long détour pour donner des nouvelles à Éowyn et venir lui parler dans son exil. »

« Nul homme ne verrait là une perte de temps, répondit Aragorn ; mais je n’aurais pu venir ici, madame, si la route que je dois prendre ne me conduisait à Dunhart. »

Et elle répondit comme si ces mots la contrariaient : « Eh bien, seigneur, vous faites fausse route ; car le Val de Hart ne donne aucun accès à l’est ou au sud, et vous feriez mieux de retourner par où vous êtes venu. »

« Non, madame, dit-il, je ne fais pas fausse route ; car j’ai marché dans ce pays avant que vous naissiez pour l’embellir. Il est une route hors de cette vallée, et je vais la prendre. Demain, je chevaucherai par les Chemins des Morts. »

Alors elle le regarda comme dévastée, et elle blêmit ; et pendant un long moment, elle ne dit plus rien, et tous restèrent silencieux. « Mais Aragorn, dit-elle enfin, votre mission est-elle donc de chercher la mort ? Car c’est tout ce que vous trouverez sur cette route. Ils ne tolèrent pas le passage des vivants. »

« Ils le toléreront peut-être dans mon cas, dit Aragorn ; quoi qu’il en soit, je vais m’y hasarder. Aucune autre route n’est propice. »

« Mais c’est de la folie, dit-elle. Car voici des hommes de prouesses et de renom que vous devriez conduire non dans les ombres, mais à la guerre, où l’on a besoin d’hommes. Je vous supplie d’attendre mon frère et de partir avec lui ; car tous nos cœurs seront alors en joie, et notre espoir pourra revivre. »

« Ce n’est pas de la folie, madame, répondit-il ; car je prends la route qui a été choisie. Mais ceux qui me suivent le font de leur propre chef ; et s’ils désirent aujourd’hui attendre, et partir avec les Rohirrim, ils sont libres de le faire. Or moi, je prendrai les Chemins des Morts, seul s’il le faut. »

Alors, ils se turent et mangèrent en silence ; mais les yeux de la Dame ne quittaient plus le visage d’Aragorn, et les autres purent voir le profond tourment qui l’agitait. Enfin, ils se levèrent pour prendre congé d’elle et, l’ayant remerciée de sa prévenance, partirent se reposer.

Mais comme Aragorn arrivait à la case où il devait loger avec Legolas et Gimli, déjà passés à l’intérieur, la dame Éowyn vint à lui et l’appela. Se retournant, il l’aperçut, telle une lueur dans la nuit, car elle était vêtue de blanc ; mais ses yeux flamboyaient.

« Aragorn, lui dit-elle, pourquoi vous engager sur cette route mortelle ? »

« Parce qu’il le faut, répondit-il. C’est la seule chose qui me permette d’espérer pouvoir jouer mon rôle dans la guerre contre Sauron. Je ne choisis pas exprès les chemins du péril, Éowyn. Si je devais aller là où mon cœur réside, c’est dans le Nord que j’irais, dans la belle vallée de Fendeval. »

Elle reste un moment interdite, comme pour méditer le sens de ces mots. Puis, soudain, elle posa la main sur son bras. « Vous êtes ferme et résolu, lui dit-elle, ces qualités qui assurent la gloire aux hommes. » Elle marqua une pause. « Seigneur, reprit-elle, si vous devez partir, laissez-moi chevaucher à votre suite. Je n’en puis plus d’être terrée dans les collines ; je veux affronter le danger et tenter la fortune des armes. »

« Votre devoir est auprès des vôtres », répondit-il.

« Trop souvent m’a-t-on parlé de devoir, s’écria-t-elle. Pourtant, ne suis-je pas de la Maison d’Eorl, une fille guerrière et non une garde-malade ? J’ai assez veillé sur les pas vacillants d’un vieillard. Puisqu’ils ne vacillent plus, semble-t-il, ne puis-je maintenant vivre ma vie comme je l’entends ? »

« Rares sont ceux qui y parviennent en tout honneur, répondit-il. Mais quant à vous, madame, n’avez-vous pas accepté de gouverner le peuple jusqu’au retour du seigneur ? Si vous n’aviez pas été choisie, quelque maréchal ou capitaine l’aurait été à votre place, et il ne pourrait simplement abandonner sa charge, qu’elle lui pèse ou non. »

« Serai-je toujours choisie ? dit-elle avec amertume. Serai-je toujours laissée derrière quand les Cavaliers partiront, pour garder la maison pendant qu’ils se couvrent de gloire, et veiller à ce que le repas et le lit soient prêts à leur retour ? »

« Un jour viendra bientôt, peut-être, où nul ne rentrera, dit-il. Alors, il y aura besoin de courage sans gloire, car nul ne se souviendra des exploits accomplis dans l’ultime défense de vos foyers. Mais ces exploits n’auront pas été moins vaillants pour être restés sans éloges. »

Et elle répondit : « Tout cela revient à dire : vous êtes une femme, et votre place est à la maison. Mais quand les hommes seront morts au combat, dans l’honneur, vous pourrez brûler avec elle, car les hommes n’auront plus besoin d’un toit. Mais je suis de la Maison d’Eorl, et non une femme servante. Je puis monter à cheval, je sais manier l’épée ; et je ne crains ni la souffrance, ni la mort. »

« Que craignez-vous donc, madame ? » demanda-t-il.

« Une cage, dit-elle. Vivre derrière des barreaux, jusqu’à ce que l’habitude et la vieillesse s’en accommodent, et que l’espoir d’accomplir de hauts faits soit au-delà de tout souvenir et de toute envie. »

« Vous me conseilliez pourtant de ne pas tenter la route que j’ai choisie, parce qu’elle est périlleuse. »

« Un conseil n’est jamais rien que cela, lui dit-elle. Or, je ne vous conseille pas de fuir le danger, mais d’aller où votre épée s’attirera gloire et triomphe. Je ne veux pas voir une chose que j’estime haute et excellente gaspillée sans raison. »

« Moi non plus, madame, dit-il. C’est pourquoi je vous dis : restez ! Car vous n’avez rien à faire dans le Sud. »

« Ceux qui vont avec toi non plus, fit-elle soudain. Ils y vont, simplement, parce qu’ils ne veulent se séparer de toi – parce qu’ils t’aiment. » Puis elle se détourna et disparut dans la nuit.

Les premières lueurs avaient gagné le ciel, mais le soleil n’avait pas encore franchi les hautes crêtes de l’Est, quand Aragorn s’apprêta au départ. Toute sa compagnie était en selle, et il s’apprêtait à monter, quand la dame Éowyn arriva pour leur faire ses adieux. Elle était vêtue comme un Cavalier et portait une épée à la ceinture. Elle tenait une coupe, et, la portant à ses lèvres, elle but une gorgée, leur souhaitant bonne route ; puis elle tendit la coupe à Aragorn, qui but à son tour, et il dit : « Adieu, Dame du Rohan ! Je bois au bonheur de votre Maison, et au vôtre, et à celui de tout votre peuple. Dites à votre frère : au-delà des ombres, peut-être, nous nous retrouverons ! »

Alors Gimli et Legolas, restés tout près, crurent la voir pleurer ; et chez une femme aussi fière et forte, ces pleurs semblaient d’autant plus affligeants. Mais elle dit : « Aragorn, iras-tu donc ? »

« Oui, j’irai », répondit-il.

« Acceptes-tu, dans ce cas, que je chevauche avec cette compagnie, comme je l’ai demandé ? »