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Sur tous les espaces plats, il y avait un grand concours d’hommes. Certains s’étaient massés au bord de la route afin de saluer, à grands cris de joie, le roi et ses cavaliers à leur retour de l’Ouest ; mais derrière eux s’étendaient au loin, en rangs ordonnés, une multitude de tentes et de cases, des rangées de chevaux au piquet, de grandes réserves d’armes, ainsi que des tas de lances hérissés, comme de jeunes arbres plantés en bosquets. Toute cette vaste assemblée se fondait peu à peu dans l’ombre ; pourtant, malgré le froid nocturne qui soufflait des hauteurs, aucune lanterne ne brillait, aucun feu n’était allumé. Des guetteurs allaient et venaient, enveloppés dans de lourdes capes.

Merry se demandait combien de Cavaliers il y avait là. Il ne pouvait le deviner dans l’obscurité grandissante, mais c’était assurément une grande armée, forte de plusieurs milliers d’hommes. Comme il regardait de côté et d’autre, la suite du roi parvint sous le haut escarpement qui enfermait la vallée du côté est ; là, le chemin se mit à grimper brusquement et Merry leva des yeux étonnés. Il se trouvait sur une route comme il n’en avait jamais vu, un grand ouvrage fait de main d’homme, dans les années au-delà de la mémoire des chants. Elle montait en lacets, repliée comme un serpent, forant son chemin dans la paroi qu’elle sillonnait de long en large, raide comme un escalier. Des chevaux pouvaient y monter, et des chariots y être hissés ; mais aucun ennemi ne pouvait venir de ce côté, sinon par les airs, si elle était défendue d’en haut. À chaque tournant, il y avait de grandes pierres levées, sculptées à la ressemblance de géants, lourds et mal bâtis, assis les jambes croisées et les bras repliés sur leur panse rebondie. Certaines d’entre elles, victimes de l’injure des ans, avaient perdu tous leurs traits, hormis les sombres cavités de leurs yeux qui dévisageaient encore les passants d’un air mélancolique. Les Cavaliers les regardèrent à peine. Ils les appelaient les Hommes-pouques, et ils n’y faisaient guère attention : ces êtres ne recelaient plus aucun pouvoir, ni aucune terreur ; mais Merry les observa avec un sentiment d’émerveillement et presque de pitié, tandis que leurs mornes figures se dessinaient, une à une, dans le crépuscule.

Au bout d’un moment, il regarda en arrière et s’aperçut qu’il était déjà à quelques centaines de pieds au-dessus de la vallée, bien qu’il pût encore voir, loin en bas, la ligne sinueuse des Cavaliers franchissant le gué et défilant le long de la route vers leurs cantonnements. Seuls le roi et sa garde montaient jusqu’au Fort.

Enfin, la compagnie du roi se trouva tout à coup devant un précipice ; alors la route du Fort passa dans une coupure entre deux murs rocheux, gravissant une courte pente avant de déboucher sur un vaste plateau. Firienfeld était le nom de ce champ verdoyant d’herbe et de bruyère, juché au-dessus du grand encaissement de la Snawburna, blotti dans le giron des montagnes environnantes : le Starkhorn au sud, au nord la masse découpée de l’Írensaga, et entre eux deux, face aux cavaliers, le mur sinistre et noir du Dwimorberg, la Montagne Hantée surgie de hautes pentes couvertes de sombres pins. Divisant le plateau en deux, une double rangée de pierres levées, mais non travaillées, s’enfonçait dans le crépuscule et disparaissait parmi les arbres. Ceux qui osaient s’aventurer sur cette route parvenaient bientôt aux ténèbres du Dimholt sous le Dwimorberg, au menaçant pilier de pierre, et à l’ombre béante de la porte interdite.

Tel était Dunhart le noir, ouvrage d’un peuple oublié de longtemps. Son nom était perdu, et nulle chanson ni légende n’en préservait le souvenir. La vocation originelle du lieu – ville, temple secret ou tombeau de rois – n’était connue de personne au Rohan. Des hommes avaient œuvré ici durant les Années Sombres, avant même qu’un premier navire touchât les rivages de l’ouest, ou que naquît le Gondor des Dúnedain ; à présent, ils avaient disparu, et seuls demeuraient les vieux Hommes-pouques encore assis aux tournants de la route.

Merry observa les rangs de pierres levées : elles étaient usées et noircies ; tantôt fléchies, tantôt tombées, tantôt fendues voire brisées : on eût dit de vieilles dents avides. Il se demanda ce qu’elles pouvaient être, et il espérait que le roi n’allait pas les suivre dans l’obscurité au-delà. Puis il vit que des tentes et des cases étaient massées de chaque côté de la voie ; mais elles n’étaient pas installées près des arbres : elles semblaient plutôt blotties loin d’eux, vers le bord du précipice. La plupart se trouvaient à droite, où le Firienfeld était plus large ; sur la gauche était établi un plus petit campement, au milieu duquel se dressait un haut pavillon. Un cavalier parut alors de ce côté ; il vint à leur rencontre, et ils se détournèrent de la route.

Quand il le vit de plus près, Merry s’aperçut que le cavalier était une femme aux longs cheveux tressés qui luisaient dans le crépuscule ; mais elle portait un casque, des habits de guerrier jusqu’à la taille, et elle était ceinte d’une épée.

« Salut, Seigneur de la Marche ! cria-t-elle. Mon cœur se réjouit de vous voir de retour. »

« Et toi, Éowyn, dit Théoden, tout va bien pour toi ? »

« Tout est au mieux », répondit-elle ; mais Merry eut l’impression que sa voix la trahissait, et il aurait cru qu’elle venait de pleurer, si la chose n’avait pas été impensable pour une femme aussi sévère de traits. « Tout est au mieux. Ce fut une route pénible pour nos gens, soudain arrachés à leurs foyers. Il y eut de dures paroles, car il y a longtemps que la guerre ne nous avait chassés des vertes prairies ; mais point de mauvaises actions. Tout est en ordre, à présent, comme vous le voyez. Et votre logement est prêt ; car j’ai appris toutes les nouvelles vous concernant, y compris l’heure de votre venue. »

« Aragorn est donc passé ici, dit Éomer. Est-il encore là ? »

« Non, il est parti », dit Éowyn, se détournant, et regardant vers les montagnes qui enténébraient l’Est et le Sud.

« Où est-il allé ? » demanda Éomer.

« Je l’ignore, répondit-elle. Il est venu le soir et s’en est allé hier matin, avant que le Soleil ne fût à la cime des montagnes. Il est parti. »

« Tu es chagrinée, ma fille. Que s’est-il passé ? Dis-moi, a-t-il évoqué cette route ? » Il désigna les longues rangées de pierres marchant dans la nuit, vers le Dwimorberg. « Les Chemins des Morts ? »

« Oui, sire, dit Éowyn. Et il est passé dans l’ombre dont nul n’est jamais revenu. Je n’ai pu l’en dissuader. Il est parti. »

« Nos chemins sont donc séparés, dit Éomer. Il est perdu. Nous devrons chevaucher sans lui, et notre espoir s’amenuise. »

Sans un autre mot, ils passèrent lentement à travers la lande rase et les herbages de montagne, jusqu’au pavillon du roi. Là, Merry constata que l’on avait tout préparé et que lui-même n’était pas oublié. Une petite tente avait été dressée pour lui près du logement du roi ; et il y resta assis, seul, pendant que les hommes allaient et venaient pour voir le roi et tenir conseil avec lui. La nuit s’épaissit, et les cimes à demi entrevues des montagnes de l’ouest se couronnèrent d’étoiles, mais l’Est était sombre et vide. Les rangs de pierres disparurent lentement à la vue, mais au-delà planait encore, plus noire que les ténèbres, l’ombre à la fois vaste et ramassée du Dwimorberg.

« Les Chemins des Morts, murmura-t-il pour lui-même. Les Chemins des Morts ? Qu’est-ce que tout cela signifie ? Ils m’ont tous abandonné, maintenant. Ils sont tous partis pour un destin funeste : Gandalf et Pippin à la guerre dans l’Est, Sam et Frodo au Mordor, et l’Arpenteur, et Legolas et Gimli, sur les Chemins des Morts. Mais mon tour viendra assez vite, je suppose. Je me demande de quoi ils parlent tous, et ce que le roi entend faire. Car je n’ai pas le choix : je vais où il va, à présent. »