« Eh bien, attachez-moi sur le dos de l’une d’elles, ou laissez-moi m’accrocher à un étrier, ou je ne sais trop, dit Merry. C’est une longue route à courir ; mais je courrai si je ne peux monter, dussé-je user mes pieds jusqu’à la cheville et arriver des semaines trop tard. »
Théoden sourit. « Au lieu de cela, je vous prendrais avec moi sur Snawmana, dit-il. Mais vous m’accompagnerez au moins jusqu’à Edoras pour contempler Meduseld ; car c’est là que je m’en vais. Stybba pourra vous porter jusque-là : la grande course ne commencera pas avant que nous atteignions les plaines. »
Éowyn se leva alors. « Allons, Meriadoc ! dit-elle. Je vais vous montrer l’attirail que j’ai préparé pour vous. » Ils sortirent ensemble. « La seule demande qu’Aragorn m’ait faite, dit Éowyn tandis qu’ils passaient parmi les tentes, c’est que vous soyez armé pour la guerre. J’ai fait ce que j’ai pu pour l’exaucer. Car mon cœur me dit que ces choses vous seront utiles avant la fin. »
Elle conduisit alors Merry à une case au milieu des logements de la garde du roi ; là, un armurier vint la trouver et lui apporta un petit casque, un bouclier rond et d’autres effets.
« Nous n’avons pas de mailles qui vous conviennent, dit Éowyn, ni le temps de confectionner un tel haubert ; mais voici un justaucorps de cuir résistant, ainsi qu’une ceinture et un couteau. Vous avez déjà une épée. »
Merry s’inclina, et la dame lui montra le bouclier, semblable à celui qu’on avait offert à Gimli : il portait l’emblème du cheval blanc. « Prenez toutes ces choses, dit-elle, et portez-les à bonne fortune ! Et maintenant, adieu, maître Meriadoc ! Mais il se pourrait que nous nous revoyions, vous et moi. »
Ainsi, dans une obscurité grandissante, le Roi de la Marche était sur le point de conduire tous ses Cavaliers sur la route de l’Est. Les cœurs étaient lourds, et ils étaient nombreux à trembler sous la menace de l’ombre. Mais c’étaient des gens de courage, fidèles à leur seigneur, et les pleurs et les murmures étaient peu nombreux, même dans le camp du Fort où demeuraient les exilés d’Edoras, femmes, enfants et vieillards. Un destin funeste planait sur leurs vies, mais ils l’affrontaient en silence.
Deux rapides heures étaient passées, et voici que le roi prenait place sur son cheval blanc, clair dans le demi-jour. Il paraissait grand et fier, malgré les cheveux de neige qui flottaient sous son haut casque ; et bon nombre s’émerveillèrent de le voir, droit et sans peur, et ils reprirent courage.
Là, sur le grand espace plat au bord de la rivière tumultueuse, étaient réunis en diverses compagnies près de cinq mille cinq cents Cavaliers armés de pied en cap, ainsi que plusieurs centaines d’hommes sur des chevaux supplémentaires légèrement chargés. Une unique trompette sonna. Le roi leva une main et, en silence, l’ost de la Marche se mit en branle. Allaient en tête une douzaine d’hommes de la maison du roi, Cavaliers de renom. Venait ensuite le roi avec Éomer à sa droite. Il avait fait ses adieux à Éowyn sur les hauteurs du Fort, et ce souvenir le poignait ; mais ses pensées étaient maintenant tournées vers la route qui l’attendait. Merry chevauchait après lui sur le dos de Stybba avec les estafettes du Gondor, et derrière eux venaient encore douze cavaliers de la maison du roi. Ils passèrent les longues rangées d’hommes qui attendaient, sombres et impassibles. Mais quand ils furent presque au bout de la file, l’un d’eux leva la tête et fixa sur le hobbit un regard pénétrant. Un tout jeune homme, pensa Merry en lui retournant son regard, moins grand et plus svelte que la plupart. Il perçut l’étincelle de ses yeux gris et clairs ; puis il frissonna, car soudain il comprit que c’était le visage d’un désespéré, partant en quête de la mort.
Ils descendirent la route grise, suivant la Snawburna qui bruissait sur ses pierres, et traversant les hameaux de Sous-le-Hart et de Hautebourne, où de nombreuses femmes regardaient d’un air triste derrière des portes sombres ; et ainsi commença, sans cor ni harpe, ni musique de voix d’hommes, la grande chevauchée dans l’Est que les chants du Rohan devaient célébrer par la suite durant de longues générations.
De l’ombre de Dunhart descendit au matin
suivi de ses féaux le fils du roi Thengel :
il vint à Edoras, à ces antiques halles
des maîtres de la Marche environnées de brume,
sur leurs montants dorés, un manteau de ténèbres.
Alors fit ses adieux à tout son peuple franc,
et à l’âtre et au trône, et aux lieux consacrés
qui longtemps l’avaient vu régner dans la lumière.
Au loin s’en fut le roi, derrière lui la peur
et le destin devant. Sa féauté maintint ;
tous les serments jurés jusqu’au dernier les tint.
Cinq jours et cinq nuitées sur les chemins de l’Est
tous les Eorlingas Théoden entraîna,
le Folde traversant, Fenmark et Firienholt,
en Terre de Soleil mena six mille lances
au matin de Mundburg sous le Mindolluin,
murs des rois d’outre-mer au royaume du Sud
entourés d’ennemis, tout encerclés de flammes.
Le destin les poussait. Les ténèbres les prirent,
cheval et cavalier ; la rumeur des sabots
sombra dans le silence : ainsi chantent les chantres.
De fait, la pénombre était encore plus grande quand le roi vint à Edoras, bien qu’il fût seulement midi. Il ne s’y arrêta qu’un court moment, mais grossit son armée d’une soixantaine de Cavaliers qui n’avaient pu se rallier à temps. Ayant déjeuné et s’apprêtant à repartir, il dit adieu à son écuyer avec des mots bienveillants. Mais Merry ne voulut pas se séparer de lui, et il le supplia une dernière fois.
« Ce voyage n’est pas fait pour Stybba, comme je vous l’ai dit, insista Théoden. Nous nous battrons dans les champs du Gondor, et que feriez-vous dans pareille bataille, maître Meriadoc, tout écuyer que vous soyez, plus grand de cœur que de stature ? »
« Qui sait ? dit Merry. Mais, sire, pourquoi m’avoir pris comme écuyer, sinon pour rester à vos côtés ? Et je ne veux pas que les chansons disent seulement de moi que j’étais toujours laissé derrière ! »
« Je vous ai pris sous mon aile pour votre protection, répondit Théoden ; et aussi pour que vous vous pliiez à ma volonté. Aucun de mes Cavaliers ne peut vous prendre comme fardeau. Si la bataille avait lieu à mes portes, peut-être auriez-vous votre place dans les chants des ménestrels ; mais il y a cent lieues et deux, d’ici à Mundburg où Denethor est maître. Je n’en dirai pas plus. »
Merry salua et s’en fut la mort dans l’âme, mais il resta à observer les rangs des Cavaliers. Déjà, les compagnies s’apprêtaient au départ : des hommes ajustaient des sangles, vérifiaient leurs selles, caressaient leurs chevaux ; d’autres levaient des regards inquiets vers le ciel bas. Un Cavalier s’approcha en catimini et parla doucement à l’oreille du hobbit.
« Où la volonté ne manque pas, une voie s’ouvre, dit-on dans ce pays, chuchota-t-il ; moi aussi, je le constate. » Merry leva la tête et vit que c’était le jeune Cavalier qu’il avait remarqué au matin. « Où va le Seigneur de la Marche, vous désirez aussi aller : je le vois sur votre visage. »
« Vous voyez juste », dit Merry.
« Vous viendrez donc avec moi, poursuivit le Cavalier. Je vous ferai asseoir devant moi, sous mon manteau, jusqu’à ce que les prairies nous entourent et que l’obscurité nous enveloppe. Une telle bonne volonté ne se refuse pas. Ne parlez plus aux hommes, et venez ! »