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Comme ils arrivaient sous la lanterne de la voûte d’entrée, Pippin se pressa en avant et, apercevant le pâle visage de Faramir, il retint son souffle. C’était celui d’un homme qui, après une grande peur ou un profond tourment, a retrouvé son calme et la maîtrise de soi. Grave et fier, il s’arrêta un moment pour s’adresser au garde ; et Pippin, l’observant, put voir à quel point il ressemblait à Boromir – que Pippin avait aimé d’emblée, admirant sa grandeur, sa manière à la fois seigneuriale et bienveillante. Mais voici que, pour Faramir, il conçut tout à coup un sentiment étrange qu’il n’avait jamais éprouvé avant. Il y avait chez lui un air de haute noblesse, comme celui qu’Aragorn montrait parfois – moins haute, peut-être, mais en même temps plus proche et moins ineffable : un Roi des Hommes né à une époque ultérieure, mais touché par la sagesse et la tristesse du Peuple Aîné. Il comprit pourquoi Beregond avait prononcé son nom avec amour. C’était un capitaine que les hommes suivraient sans conteste, que lui-même serait prêt à suivre, même dans l’ombre des ailes noires.

« Faramir ! cria-t-il avec les autres. Faramir ! » Et Faramir, percevant son étrange petite voix parmi la clameur des hommes, se retourna et baissa sur lui des yeux pleins d’étonnement.

« D’où sortez-vous ? demanda-t-il. Un demi-homme, vêtu dans la livrée de la Tour ! Mais d’où… ? »

Alors Gandalf s’avança pour lui parler. « Il est venu avec moi du pays des Demi-Hommes, dit-il. Il est venu avec moi. Mais ne nous attardons pas ici. Il y a fort à dire et à faire, et vous êtes fatigué. Il va nous accompagner. En fait, il n’a pas le choix, car à moins qu’il n’oublie ses nouveaux devoirs plus facilement que moi, il doit retrouver son maître dans l’heure. Allons, Pippin, suivez-nous ! »

Ainsi, ils gagnèrent enfin la chambre privée du Seigneur de la Cité, où de profonds fauteuils étaient disposés autour d’un brasero de charbon de bois. Du vin fut servi ; et Pippin, presque invisible derrière le fauteuil de Denethor, sentait à peine sa fatigue, tant son oreille était attentive à tout ce qui se disait.

Quand Faramir eut pris du pain blanc et bu une gorgée de vin, il s’assit dans un fauteuil bas à main gauche de son père. De l’autre côté, un peu en retrait, Gandalf occupait un fauteuil de bois sculpté ; et au début, il semblait dormir. Car Faramir ne parla tout d’abord que de la mission qui lui avait été confiée dix jours auparavant, donnant des nouvelles de l’Ithilien et des mouvements de l’Ennemi et de ses alliés ; et il raconta l’échauffourée qui avait eu lieu sur la route et où les hommes du Harad et leur grande bête avaient été anéantis. C’étaient les propos d’un capitaine rapportant à son maître, comme souvent par le passé, les détails d’une guerre frontalière devenue inutile et insignifiante, sans gloire aucune.

Puis Faramir se tourna tout à coup vers Pippin. « Mais nous en venons maintenant à d’étranges affaires, dit-il. Car ce n’est pas le premier demi-homme que je vois sortir des légendes septentrionales et s’aventurer dans les Terres du Sud. »

À ces mots, Gandalf se redressa, agrippant les bras de son fauteuil ; mais il ne dit mot et, d’un regard, contint l’exclamation qui venait aux lèvres de Pippin. Denethor, les observant, eut un hochement de tête, comme pour signifier qu’il avait lu bien des choses sans qu’aucune parole ne fût prononcée. Lentement, devant un auditoire silencieux et pétrifié, Faramir raconta son histoire. La plupart du temps, son regard était fixé sur Gandalf, mais ses yeux s’égaraient parfois sur la personne du hobbit, comme pour rafraîchir le souvenir que d’autres lui avaient laissé.

Comme il racontait l’histoire de sa rencontre avec Frodo et son serviteur et des événements de Henneth Annûn, Pippin se rendit compte que les mains de Gandalf tremblaient, crispées sur le bois sculpté. Elles paraissaient blanches et fort vieilles à présent ; et en les regardant, soudain, avec un frisson d’épouvante, Pippin sut que Gandalf, Gandalf lui-même était secoué, même apeuré. L’air de la pièce était lourd et suffocant. Quand Faramir en vint à sa séparation d’avec les voyageurs et à leur décision d’aller à Cirith Ungol, sa voix se réduisit à un murmure, et il soupira, secouant la tête. Puis Gandalf sauta sur pied.

« Cirith Ungol ? Le Val de Morgul ? fit-il. Quel jour, Faramir, quel jour ? À quand remonte cette séparation ? Quand devaient-ils atteindre cette vallée maudite ? »

« Je les ai quittés il y a deux jours dans la matinée, dit Faramir. Quinze lieues séparent cet endroit de la vallée de la Morgulduin, en allant droit au sud ; et cela les aurait amenés à cinq lieues à l’ouest de la Tour maudite. En faisant au plus vite, ils n’ont pu l’atteindre avant aujourd’hui, et peut-être n’y sont-ils pas encore. Je vois bien ce que vous craignez. Mais la venue de l’obscurité n’est pas le fait de leur entreprise. Elle est venue hier au soir, et tout l’Ithilien était dans l’ombre la nuit dernière. Pour moi, il est clair que l’Ennemi avait prévu de nous assaillir de longue date, et qu’il avait choisi son heure avant même que les voyageurs aient quitté ma protection. »

Gandalf se mit à arpenter la pièce. « Avant-hier au matin, soit près de trois jours de voyage ! À quelle distance se trouve l’endroit où vous vous êtes quittés ? »

« À quelque vingt-cinq lieues à vol d’oiseau, répondit Faramir. Mais je ne pouvais pas venir plus vite. Hier soir, j’étais à Cair Andros, la longue île qui nous sert de défense en amont sur le Fleuve ; nous y gardons des chevaux sur la rive occidentale. Quand je vis monter l’obscurité, je sus qu’il fallait faire vite, alors je chevauchai avec trois autres pour qui je disposais de montures. J’envoyai le reste de ma compagnie au sud, afin de renforcer la garnison aux gués d’Osgiliath. J’espère n’avoir pas mal fait ? » Il se tourna vers son père.

« Mal fait ? » s’écria Denethor ; et soudain, ses yeux étincelèrent. « Pourquoi cette question ? Ces hommes étaient sous ton commandement. Ou veux-tu que je juge de chacun de tes actes ? Tu t’abaisses beaucoup en ma présence ; mais il y a longtemps que tu ne t’es détourné de ton chemin pour suivre mon conseil. Vois, tu as parlé avec adresse, comme toujours ; mais moi, ne t’ai-je pas vu tâter Mithrandir du regard, pour voir si tu parlais bien ou trop ? Il y a longtemps qu’il a ton cœur dans sa manche.

« Mon fils, ton père est âgé, mais non point gâteux. Je puis voir et entendre comme je l’ai toujours fait ; et peu de choses échappent désormais à ma vue, de ce que tu n’as dit qu’à moitié ou n’as pas voulu dire. Je connais la réponse à bien des énigmes. Hélas, hélas pour Boromir ! »

« Si ce que j’ai fait vous déplaît, à vous mon père, dit posément Faramir, j’aurais voulu connaître votre avis avant que le poids d’un jugement aussi lourd ne tombe sur mes épaules. »

« Cela eût-il changé quelque chose ? répondit Denethor. Je gage que tu aurais agi exactement de la même manière. Tu ne désires jamais qu’être vu comme un noble et généreux seigneur, doux et bienveillant, comme un roi d’autrefois. Cela peut bien convenir à un homme de haute lignée, s’il règne en maître et en paix. Mais à l’heure des grands désespoirs, trop de douceur peut signifier la mort. »

« Eh bien, soit », dit Faramir.

« Soit ! s’écria Denethor. Mais pas seulement la vôtre, seigneur Faramir ; la mort aussi de votre père, et celle de tous vos gens, qu’il est de votre devoir de protéger, maintenant que Boromir n’est plus. »

« Souhaitez-vous donc, reprit Faramir, que nos destins aient été échangés ? »

« Certes, c’est là mon souhait, répondit Denethor. Car Boromir était loyal envers moi, et non l’élève d’un magicien. Il se serait souvenu du malheur de son père et n’aurait pas bêtement refusé ce que la fortune lui offrait. Il m’aurait rapporté un fabuleux présent. »