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« Faramir est-il rentré ? » demanda-t-il.

« Non, dit Gandalf. Mais il était encore vivant quand je suis parti. Néanmoins, il est déterminé à rester auprès de l’arrière-garde, de crainte que la retraite sur le Pelennor ne tourne à la débandade. Il pourrait réussir à maintenir les rangs assez longtemps, mais j’en doute. Il est devant un trop puissant adversaire. Car il est venu, celui que je redoutais. »

« Pas… le Seigneur Sombre ? » s’écria Pippin, oubliant, dans son épouvante, la place qui était sienne.

Denethor eut un rire amer. « Non, pas encore, maître Peregrin ! S’il vient, ce sera uniquement pour triompher de moi quand tout sera conquis. En attendant, il laisse les autres lui servir d’armes. Tous les grands seigneurs font de même, maître Demi-Homme, s’ils sont sages. Pourquoi, sinon, resterais-je dans ma tour à réfléchir, à observer et à attendre, dépensant même mes fils ? Car je puis encore manier le glaive. »

Il se leva, rejetant sa longue cape noire derrière lui ; et voici ! il apparut alors vêtu de mailles, et ceint d’une épée longue à grande poignée, dans un fourreau noir et argent. « Ainsi je vais et ainsi je dors, voici maintenant de nombreuses années, dit-il, de crainte que la vieillesse me donne un corps mou et timoré. »

« Toujours est-il que sous la direction du Seigneur de Barad-dûr, le plus redoutable de ses capitaines s’est déjà rendu maître de vos murs extérieurs, dit Gandalf. Roi d’Angmar au temps jadis, Sorcier, Spectre de l’Anneau, Seigneur des Nazgûl, fléau de terreur à la main de Sauron, ombre de désespoir. »

« Eh bien, Mithrandir, vous aviez donc un adversaire à votre mesure, dit Denethor. Pour ma part, je sais depuis longtemps qui est le grand capitaine des armées de la Tour Sombre. Est-ce là tout ce que vous êtes revenu me dire ? Ou serait-ce que vous vous êtes retiré parce que vous n’êtes pas de taille ? »

Pippin trembla, craignant que Gandalf n’eût été piqué au vif, mais sa peur était infondée. « C’est bien possible, répondit Gandalf à mi-voix. Mais notre duel est encore à venir. Et si l’on en croit les mots de la tradition, il ne tombera pas par la main d’un homme, et le sort qui l’attend est caché à la vue des Sages. Quoi qu’il en soit, le Capitaine du Désespoir ne s’est pas encore porté en avant. Il s’en tient plutôt à la sagesse que vous évoquiez, restant sur les arrières, et menant ses esclaves dans une terreur folle devant lui.

« Non, si je suis revenu, c’est pour sauver les blessés qui peuvent encore être guéris ; car le Rammas est partout défoncé, et l’armée de Morgul fera bientôt irruption en maints endroits. Et surtout, je suis venu vous dire ceci. Bientôt, on se battra dans les champs. Il faut préparer une sortie. Qu’on envoie des hommes montés. Notre bref espoir réside en eux, car il n’est qu’une chose dont l’ennemi paraît encore assez dépourvu : il a fort peu de cavaliers. »

« Ce qui est aussi notre cas. L’armée du Rohan ne pourrait arriver à un moment plus opportun », dit Denethor.

« D’autres risquent d’arriver avant cela, dit Gandalf. Des fugitifs de Cair Andros nous ont déjà rejoints. L’île est tombée. Une autre armée est sortie par la Porte Noire et a franchi le Fleuve par le nord-est. »

« D’aucuns vous ont accusé, Mithrandir, de prendre plaisir à dispenser les mauvaises nouvelles, dit Denethor, mais pour moi, ces choses n’ont plus rien de nouveau : elles m’étaient connues dès hier au soir. Quant à une éventuelle sortie, j’y avais déjà réfléchi. Descendons. »

Les heures passèrent. Enfin, les guetteurs des murs aperçurent la retraite des compagnies extérieures. De petites bandes de guerriers épuisés, souvent blessés, arrivèrent d’abord en grand désarroi ; certains couraient éperdus comme s’ils étaient poursuivis. À l’est, des flammes dansaient au lointain et semblaient s’étendre par endroits sur la plaine. Des maisons et des granges brûlaient. Puis, à maints endroits, de petites rivières de feu se mirent à affluer, sinuant dans la pénombre, convergeant vers la ligne dessinée par la large route qui menait de la Porte aux ruines d’Osgiliath.

« L’ennemi, murmurait-on. Le mur est renversé. Les voilà qui se déversent à travers les brèches ! Et ils portent des torches, on dirait. Où sont nos hommes ? »

Le soir devait bientôt tomber d’après l’heure, et la lumière était si faible que même les plus clairvoyants, sur les murs de la Citadelle, ne discernaient pas grand-chose au milieu des champs, sinon les incendies qui ne cessaient de se multiplier et les traînées de feu qui se faisaient plus longues et plus rapides. Enfin, à moins d’un mille de la Cité, une masse d’hommes plus ordonnée se présenta à la vue : ils marchaient et ne couraient pas, toujours en rangs serrés.

Les guetteurs retinrent leur souffle. « Faramir doit être du nombre, dirent-ils. Il maîtrise hommes et bêtes. Il va s’en tirer. »

À présent, le gros de la retraite ne devait pas être à plus de deux furlongs. Au fond, dans la pénombre, un petit groupe de cavaliers arriva au galop : c’était tout ce qui restait de l’arrière-garde. Ils se retournèrent une fois de plus, aux abois, faisant face aux traînées de feu qui approchaient. Puis soudain s’éleva une clameur féroce. Des cavaliers ennemis surgirent en trombe. Les traînées de feu devinrent d’impétueux torrents : des Orques, rang sur rang, portant des brandons, et de sauvages Sudrons aux bannières rouges et aux cris barbares, montant à l’assaut, les débordant. Et du ciel charbonneux fondirent les ombres ailées avec un cri perçant, les Nazgûl plongeant sur leurs victimes.

La retraite se changea en déroute. Déjà, les hommes se séparaient, fuyant éperdus, jetant leurs armes, criant de terreur, tombant au sol.

Une trompette retentit alors dans la Citadelle, et Denethor ordonna enfin la sortie. Serrés dans l’ombre de la Porte et à l’extérieur des hauts murs, ils avaient attendu son signal : des hommes montés, tous ceux qui restaient dans la Cité. Ils s’élancèrent à présent, se formèrent, prirent le galop et chargèrent avec un grand cri. Et des remparts, un autre s’éleva en réponse ; car sur les premiers rangs étaient les chevaliers-cygnes de Dol Amroth avec, à leur tête, le Prince et sa bannière bleue.

« Amroth pour le Gondor ! s’écrièrent-ils. Amroth au secours de Faramir ! »

Comme la foudre, ils s’abattirent sur l’ennemi de part et d’autre de la retraite ; mais un cavalier les dépassa tous, vif comme le vent sur l’herbe : Scadufax le portait, son éclat blanc révélé une fois de plus, tandis que de sa main levée, une lumière jaillissait.

Les Nazgûl lâchèrent un cri aigu et s’éloignèrent, car leur Capitaine n’était pas encore venu défier l’éclat blanc de son adversaire. Les armées du Mordor, resserrées autour de leur proie, prises à l’improviste dans leur folle cavalcade, se dispersèrent alors comme des étincelles dans un grand coup de vent. Un élan d’acclamations souleva les compagnies extérieures, qui se retournèrent contre leurs poursuivants. Les traqueurs devinrent les traqués. La retraite devint un assaut. Le champ de bataille fut bientôt jonché d’orques et d’hommes terrassés, et les effluves de leurs torches fumantes, partout jetées au sol, s’élevèrent en de noirs tourbillons. La cavalerie poursuivit son avancée.