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« Non, non, dit Elfhelm, l’ennemi est sur la route, pas dans les collines. Ce sont les Wasas que vous entendez, les Hommes Sauvages des Bois : c’est ainsi qu’ils se parlent de loin. Ils hantent encore la Forêt de Drúadan, dit-on. Vestiges d’une autre époque, ils vivent par petits groupes et en secret, farouches comme des bêtes. Ils ne vont point à la guerre, ni pour le Gondor ni pour la Marche ; mais voilà qu’ils sont troublés par l’obscurité et par la venue des orques : ils craignent un retour des Années Sombres, ce qui semble assez près d’arriver. Encore heureux qu’ils ne soient pas après nous ; car ils usent de flèches empoisonnées, dit-on, et leur connaissance de la forêt est sans égale. Mais ils ont offert leurs services au roi Théoden. L’un de leurs chefs de tribu doit justement être conduit devant lui. Voyez là-bas ces lumières qui s’éloignent. C’est tout ce que j’ai entendu dire. Et maintenant, je dois répondre aux ordres de mon seigneur. Faites vos bagages, monsieur le Sac ! » Il s’évanouit dans les ombres.

Merry n’aimait guère ces histoires de sauvages et de flèches empoisonnées, mais il sentait en dehors de cela une grande peur qui pesait sur lui. Il n’en pouvait plus d’attendre. Il mourait d’envie de savoir ce qui allait se passer. Il se leva et se faufila bientôt à la poursuite de la dernière lanterne, avant qu’elle disparût parmi les arbres.

Il ne tarda pas à arriver à une trouée où une petite tente avait été dressée pour le roi, sous un grand arbre. Une grosse lanterne couverte par le haut était suspendue à une branche et jetait en dessous un pâle cercle de lumière. Théoden et Éomer étaient assis là, et devant eux, sur le sol, était accroupie une forme étrange et trapue, un homme, racorni comme une vieille pierre, les poils de sa pauvre barbe tombant comme de la mousse sèche d’un menton bulbeux. Il était court de jambes et fort en bras, épais et ramassé, avec pour seul vêtement une ceinture d’herbe passée à la taille. Merry avait le sentiment de l’avoir déjà vu quelque part ; et il se rappela soudain Dunhart et ses Hommes-pouques. Voilà qu’une de ces vieilles statues avait repris vie ; ou peut-être avait-il sous les yeux, par-delà les années sans nombre, un descendant direct de ceux que les sculpteurs d’autrefois avaient pris pour modèles.

Merry s’approcha furtivement, arrivant au milieu d’un silence ; puis l’Homme Sauvage prit la parole, en réponse à une question, semblait-il. Sa voix était profonde et gutturale, mais à la surprise de Merry, il usait du parler commun, quoique de manière hésitante, et des mots barbares ponctuaient son discours.

« Non, père des Hommes à Cheval, fit-il, nous pas combattre. Chasser seulement. Tuer gorgûn dans les bois, haïr les orques. Vous aussi détester gorgûn. Nous, aider comme on peut. Hommes Sauvages avoir longues oreilles et longs yeux ; connaître tous les chemins. Hommes Sauvages vivre ici avant Maisons de Pierre ; avant les Grands Hommes être venus de l’Eau. »

« Mais c’est de combattants que nous avons besoin, dit Éomer. Comment vous et vos semblables allez-vous nous aider ? »

« Apporter nouvelles, répondit l’Homme Sauvage. Nous regarder du haut des collines. Nous grimper haute montagne et regarder en bas. Cité de Pierre enfermée. Feu brûle là-bas dehors ; dedans aussi, maintenant. Vous aller là-bas ? Alors vous faire vite. Mais gorgûn et hommes loin de ce côté – il agita un court bras plissé en direction de l’est –, assis sur route des chevaux. Très nombreux, plus que Hommes à Cheval. »

« Comment le savez-vous ? » dit Éomer.

La figure aplatie et les yeux sombres du vieillard ne trahirent aucune expression ; mais sa voix se chargea de mécontentement. « Hommes Sauvages sont sauvages, libres, mais pas des enfants, répondit-il. Moi être grand chef, Ghân-buri-Ghân. Moi compter bien des choses : étoiles dans le ciel, feuilles sur les arbres, hommes dans le noir. Vous avoir vingt vingtaines comptées cinq et dix fois. Eux avoir plus. Grande bataille, et qui gagner ? Et beaucoup d’autres plus loin, autour des murs des Maisons de Pierre. »

« Hélas ! il ne dit que trop vrai, dit Théoden. Et nos éclaireurs rapportent qu’ils ont ouvert des tranchées et dressé des pieux en travers de la route. Impossible de les balayer d’un soudain assaut. »

« Nous sommes pourtant dans la plus grande hâte, dit Éomer. Mundburg est en flammes ! »

« Laissez finir Ghân-buri-Ghân ! dit l’Homme Sauvage. Lui connaître plus d’une route. Lui guider vous par route sans fossés, sans gorgûn, seulement Hommes Sauvages et bêtes. Beaucoup de chemins avoir été faits quand gens des Maisons de Pierre étaient plus forts. Eux découper collines comme chasseurs découper chair des bêtes. Hommes Sauvages penser qu’ils mangent pierres comme nourriture. Eux traverser Drúadan jusqu’au Rimmon avec grands chariots. Eux plus venir, maintenant. Route oubliée, mais pas par Hommes Sauvages. Par-dessus la colline et derrière la colline, route encore cachée sous l’herbe et les arbres, là derrière le Rimmon, et jusqu’au Dîn, avant de rejoindre route des Hommes à Cheval. Hommes Sauvages vous montrer cette route. Puis vous tuer gorgûn et chasser mauvaise nuit avec fer brillant, et Hommes Sauvages retourner dormir dans les bois sauvages. »

Éomer et le roi s’entretinrent alors dans leur propre langue. Enfin, Théoden se tourna vers l’Homme Sauvage. « Nous acceptons votre offre, dit-il. Car si nous laissons derrière nous une armée invaincue, quelle importance ? Si la Cité de Pierre tombe, il n’y aura pour nous aucun retour. Si elle est sauvée, l’armée orque sera alors coupée des autres. Si vous êtes loyal, Ghân-buri-Ghân, nous aurons pour vous une riche récompense, et vous aurez pour toujours l’amitié de la Marche. »

« Hommes morts pas être amis des hommes vivants, et pas donner de cadeaux, dit l’Homme Sauvage. Mais si vous vivre après Obscurité, vous laisser Hommes Sauvages tranquilles dans les bois sans plus les chasser comme des bêtes. Ghân-buri-Ghân pas vous conduire dans un piège. Lui aller avec père des Hommes à Cheval, et si lui vous conduire mal, vous le tuer. »

« Soit ! » dit Théoden.

« Combien de temps nous faudra-t-il pour contourner l’ennemi et revenir à la route ? demanda Éomer. Il faudra avancer au pas, si vous nous guidez ; et je ne doute pas que la voie soit étroite. »

« Hommes Sauvages vont vite à pied, dit Ghân. Voie assez large pour quatre chevaux, là-bas dans Vallée des Fardiers – il agita la main vers le sud –, mais étroite au début et à la fin. Homme Sauvage pouvoir marcher d’ici au Dîn entre lever du soleil et midi. »

« Il faut donc prévoir au moins sept heures pour les premiers rangs, dit Éomer, et plutôt une dizaine d’heures pour le reste. Des imprévus pourraient nous ralentir, et si l’ost s’étire tout le long du chemin, il faudra du temps pour le remettre en ordre quand nous sortirons des collines. Quelle heure est-il maintenant ? »

« Qui sait ? dit Théoden. Tout est nuit, à présent. »

« Tout être sombre, mais tout pas être nuit, dit Ghân. Quand Soleil monte, nous la sentir, même quand elle cachée. Déjà, elle grimper les montagnes de l’Est. Jour en train de s’ouvrir dans les champs du ciel. »

« Dans ce cas, il faut partir aussitôt que possible, dit Éomer. Même là, nous ne pouvons espérer venir en aide au Gondor aujourd’hui. »

Merry ne voulut pas rester pour en entendre davantage ; il s’éloigna à pas de loup, afin d’être prêt quand viendrait l’ordre du départ. Ce serait la dernière marche avant la bataille. Il n’avait pas le sentiment que beaucoup y survivraient. Mais il songea à Pippin et aux flammes à Minas Tirith, et il ravala sa propre crainte.

Tout se passa au mieux cette journée-là, et ils ne virent ni n’entendirent rien qui leur laissât croire que l’ennemi les attendait en embuscade. Les Hommes Sauvages avaient déployé un écran de chasseurs attentifs, en sorte qu’aucun espion ou orque errant ne s’avise de leurs mouvements dans les collines. Le ciel se fit plus sombre que jamais à mesure qu’ils approchaient de la cité assiégée, et les Cavaliers se succédèrent en de longues files, comme des ombres noires d’hommes et de chevaux. Chaque compagnie avait pour guide un homme sauvage des bois ; mais le vieux Ghân marchait auprès du roi. Le départ avait été plus lent que prévu, car les Cavaliers, contraints de descendre pour conduire leur cheval, avaient mis du temps à franchir les crêtes densément boisées derrière leur campement pour gagner les pentes cachées de la Vallée des Fardiers. De fait, l’après-midi était fort avancé quand la tête du cortège arriva à de vastes fourrés gris s’étendant au-delà des flancs est de l’Amon Dîn, masquant une large brèche dans la rangée de collines qui, du Nardol au Dîn, couraient à l’est et à l’ouest. Désormais oubliée, la route charretière avait longtemps suivi cette brèche pour rejoindre la route principale de la Cité à travers l’Anórien ; mais depuis maintes générations d’hommes, les arbres se l’étaient appropriée, et elle avait disparu, défoncée et ensevelie sous les feuilles des années innombrables. Les fourrés offraient toutefois aux Cavaliers une dernière chance de dissimulation avant le combat ouvert ; car au-delà s’étendaient la route et les plaines de l’Anduin, tandis qu’à l’est et au sud ne se trouvaient que des pentes nues et rocailleuses, où les collines tourmentées se rassemblaient et s’amoncelaient, bastion après bastion, pour former la grande masse du Mindolluin et de ses épaulements.