« Parce que je ne viens guère que lorsque mon aide est requise, répondit Gandalf. Et pour ce qui est des conseils, à vous, je dirai qu’il est beaucoup trop tard pour réparer le mur du Pelennor. Le courage, à présent, sera votre meilleure défense contre la tempête qui approche – le courage, et le peu d’espoir que j’apporte. Car toutes mes nouvelles ne sont pas mauvaises. Mais laissez là vos truelles et affilez vos épées ! »
« Les travaux seront finis avant le soir, dit Ingold. C’est la dernière partie du mur à préparer pour la défense : la moins exposée aux attaques, car elle regarde vers nos amis du Rohan. Savez-vous ce qu’ils font ? Répondront-ils à notre appel, selon vous ? »
« Oui, ils viendront. Mais ils ont livré plusieurs batailles sur vos arrières. Cette route, ni aucune autre, ne conduit plus vers la sécurité, désormais. Soyez vigilants ! N’eût été Gandalf, le Corbeau de Tourmente, c’est une mer d’ennemis que vous auriez vue déferler de l’Anórien, et non des Cavaliers du Rohan. Et ce pourrait être encore le cas. Adieu, et ne dormez point ! »
Gandalf entra alors dans le vaste pays au-delà du Rammas Echor. Tel était le nom que les Hommes du Gondor donnaient au mur extérieur qu’ils avaient construit au prix de durs labeurs, quand l’Ithilien était tombé sous l’ombre de leur Ennemi. Sur dix lieues ou plus, il partait des montagnes pour y revenir ensuite, enfermant dans son enceinte les champs du Pelennor : des terres fertiles et belles sur les longues pentes et les terrasses qui descendaient jusqu’aux plaines basses de l’Anduin. À son point le plus éloigné de la Grande Porte de la Cité, au nord-est, la muraille se trouvait à quatre lieues de distance, et là, juchée sur un talus escarpé, elle dominait les longues plaines en bordure du fleuve, et ses remparts étaient hauts et forts ; car à cet endroit, sur une chaussée bordée de murs, la route partait des gués et des ponts d’Osgiliath et passait par une porte gardée entre des tours fortifiées. Au point le plus rapproché de la Cité, la muraille n’était guère à plus d’une lieue de distance ; et ce point se trouvait au sud-est. Là, l’Anduin, formant un long coude afin de contourner les collines des Emyn Arnen en Ithilien du Sud, s’incurvait fortement vers l’ouest, et le mur extérieur s’élevait sur sa rive même ; et sous lui se trouvaient les quais et les appontements du Harlond, destinés aux embarcations qui remontaient des fiefs du Sud.
Les terres au-dedans de l’enceinte étaient riches, avec de vastes cultures et de nombreux vergers ; et il y avait des fermes, avec fours à houblon et greniers, parcs à moutons et bouveries, et maints petits ruisseaux ondoyants qui coulaient à travers les prés depuis les hautes terres jusqu’à l’Anduin. Pourtant, les bergers et les cultivateurs étaient peu nombreux à y habiter, et la plupart des gens du Gondor vivaient dans les sept cercles de la Cité, ou dans les hautes vallées sur les contreforts des montagnes, au Lossarnach, ou plus loin au sud, dans le beau Lebennin aux cinq rapides rivières. Là, entre les montagnes et la mer, vivait un peuple robuste. On considérait ces hommes comme des gens du Gondor, mais ils étaient de sang mêlé, et il y avait parmi eux des gens de courte taille au teint bistré, dont les ancêtres étaient plus souvent issus des hommes oubliés qui gîtaient parmi les ombres des collines au cours des Années Sombres, avant la venue des rois. Mais au-delà, dans le grand fief du Belfalas, vivait le prince Imrahil dans son château de Dol Amroth au bord de la mer ; et il était de haut lignage, et les siens aussi l’étaient, hommes grands et fiers aux yeux d’un gris de mer.
Or donc, après quelques minutes de chevauchée, la lumière du jour grandit dans le ciel, et Pippin se secoua et releva la tête. À sa gauche s’étendait une mer de brume qui s’élevait en une ombre morne dans l’Est ; mais à sa droite, de grandes montagnes dressaient la tête : elles s’avançaient depuis l’Ouest, mais trouvaient ici une fin abrupte et soudaine, comme si, lors du façonnement des terres, le Fleuve avait percé une grande barrière, creusant une immense vallée pour en faire un lieu de bataille et de conflit dans les âges à venir. Et là, à l’endroit où se terminaient les Montagnes Blanches des Ered Nimrais, il vit, comme Gandalf le lui avait annoncé, la sombre masse du mont Mindolluin, les ombres violettes de ses hauts cols, et sa haute face blanche dévoilée par le jour croissant. Et sur le genou qu’elle projetait était assise la Cité Gardée et ses sept murs de pierre, si forts et si anciens qu’elle semblait non pas bâtie de main d’homme, mais sculptée par des géants dans l’ossature de la terre.
Ses murs d’un gris indécis, sous les regards ébahis de Pippin, passèrent au blanc, faiblement rosis par l’aurore ; et tout à coup le soleil, franchissant l’ombre de l’est, darda un premier rayon sur la façade de la Cité. Alors Pippin ne put réprimer un cri, car la Tour d’Ecthelion, dressée fièrement derrière le plus haut mur, flamboyait contre le ciel, luisant telle une pointe de perle et d’argent, haute et belle, élancée, et son pinacle étincelait comme s’il était fait de cristaux ; et des bannières blanches se déployèrent aux créneaux et flottèrent dans la brise matinale, et à ses oreilles retentit une claire sonnerie, comme de trompettes d’argent.
C’est ainsi que Gandalf et Peregrin se présentèrent à la Grande Porte des Hommes du Gondor au lever du soleil, et ses battants de fer tournèrent sur leurs gonds et cédèrent devant eux.
« Mithrandir ! Mithrandir ! crièrent les hommes. La tempête est donc bien proche ! »
« Elle est sur vous, dit Gandalf. J’ai volé sur ses ailes. Laissez-moi passer ! Je dois voir votre seigneur Denethor tant que dure son intendance. Quoi qu’il advienne, ceci est la fin du Gondor que vous avez connu. Laissez-moi passer ! »
Alors, les hommes reculèrent devant l’autorité de sa voix, et ils cessèrent de le questionner, mais ils regardèrent avec stupéfaction le hobbit assis devant lui et le cheval qui les portait. Car les gens de la Cité usaient peu souvent des chevaux, et l’on en voyait rarement dans leurs rues, hormis ceux qui servaient de montures aux estafettes de leur seigneur. Et ils dirent : « C’est là assurément l’un des grands coursiers du Roi du Rohan ! Peut-être les Rohirrim viendront-ils bientôt nous prêter main-forte. » Mais Scadufax s’engagea fièrement dans le long chemin sinueux qui escaladait la Cité.
Car Minas Tirith était bâtie de telle sorte qu’elle s’étalait sur sept niveaux, tous creusés dans la colline, et chacun d’entre eux était entouré d’un mur, et dans chaque mur s’ouvrait une porte. Mais les portes n’étaient pas sur une même ligne : la Grande Porte du Mur de la Cité se trouvait à l’est du circuit, mais la suivante était à mi-chemin au sud, et la troisième à mi-chemin au nord, et ainsi de suite, jusqu’au sommet ; de sorte que la route pavée qui grimpait vers la citadelle partait d’abord d’un côté, puis de l’autre, au flanc de la colline. Et chaque fois qu’elle parvenait à la hauteur de la Grande Porte, elle passait par un tunnel voûté à travers une gigantesque colonne rocheuse dont l’énorme saillant divisait tous les cercles de la Cité en deux, sauf le tout premier. Car, grâce en partie au façonnement primitif de la colline, en partie au labeur et au grand savoir-faire d’autrefois, se dressait au fond de la grande place située derrière la Porte un imposant bastion de pierre, terminé en pointe, comme la quille d’un navire faisant face à l’est. Il s’élevait très haut, jusqu’au niveau du dernier cercle, où il était surmonté d’un rempart ; si bien que les occupants de la Citadelle pouvaient, tels des marins sur un éminent bâtiment, regarder de son faîte et apercevoir la Porte à sept cents pieds au-dessous. L’entrée de la Citadelle donnait également sur l’est, mais elle était creusée au cœur du rocher : de là, un long passage incliné, éclairé de lanternes, grimpait jusqu’à la septième porte. Ainsi pouvait-on atteindre la Haute Cour et la Place de la Fontaine au pied de la Tour Blanche : haute et élancée, elle faisait cinquante toises de la base au pinacle, où flottait la bannière des Intendants à mille pieds au-dessus de la plaine.