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« Préférez-vous une réponse franche ? » dit-il.

« Oui. »

« En ce cas, Éowyn du Rohan, je vous dirai que vous êtes belle. Dans les vallées de nos montagnes, il est des fleurs d’une beauté éclatante et des jeunes filles encore plus belles ; mais je n’ai encore vu au Gondor ni fleur ni femme plus ravissante, ni plus triste. Peut-être ne reste-t-il que quelques jours avant que les ténèbres s’étendent sur notre monde, et j’espère les affronter sans défaillir quand elles viendront ; mais mon cœur serait plus léger si je pouvais vous voir, tant que le Soleil brille. Car nous sommes tous deux passés, vous et moi, sous les ailes de l’Ombre, et la même main nous a secourus. »

« Hélas ! pas moi, seigneur, lui dit-elle. L’Ombre m’écrase encore. Ne comptez pas sur moi pour votre guérison ! Je suis une fille guerrière et ma main n’est pas tendre. Mais je vous remercie pour cela au moins, de n’être pas confinée à ma chambre. Je serai libre d’aller à mon gré, par la grâce de l’Intendant de la Cité. » Et elle lui fit une révérence et s’en fut vers la maison. Mais Faramir resta longtemps à marcher seul dans le jardin ; et désormais, ses regards s’attardaient plus souvent sur la maison que sur les remparts de l’est.

Quand il eut regagné sa chambre, il fit appeler le Gardien, et il entendit tout ce que l’autre put lui dire au sujet de la Dame du Rohan.

« Mais je ne doute pas, seigneur, dit le Gardien, que vous serez mieux renseigné par le Demi-Homme qui est avec nous ; car il était de la suite du roi et se trouvait aux côtés de la Dame à la toute fin, dit-on. »

Merry fut donc envoyé auprès de Faramir, et ils passèrent le reste de la journée dans un long entretien, où Faramir apprit bien des choses, plus encore, même, que ce que Merry trouva bon d’exprimer en mots ; et il crut alors comprendre un peu mieux la tristesse et le trouble d’Éowyn du Rohan. Et par cette belle soirée, Faramir et Merry se promenèrent dans le jardin ; mais elle ne vint pas.

Le lendemain matin, tandis que Faramir sortait des Maisons, il la vit toutefois, debout sur les remparts ; et elle était tout de blanc vêtue, et son vêtement luisait au soleil. Il l’appela et elle descendit, et ils marchèrent sur l’herbe ou encore s’assirent ensemble sous un arbre vert, tantôt en silence, tantôt parlant. Et chaque jour qui suivit, ils firent de même. Et le Gardien, regardant de sa fenêtre, se réjouit à cette vue, car c’était un guérisseur, et son souci fut allégé ; et il voyait bien que, si lourdes qu’aient été la peur et l’appréhension qui pesaient alors sur le cœur des hommes, ces deux êtres dont il avait soin tout au moins prospéraient et récupéraient de jour en jour.

Ainsi vint le cinquième jour depuis que la dame Éowyn s’était rendue pour la première fois auprès de Faramir ; et voilà qu’ils se tenaient de nouveau ensemble sur les murs de la Cité et y regardaient au loin. Aucune nouvelle n’était encore venue, et tous les cœurs étaient noirs. Le temps, aussi, s’était assombri. Il faisait froid. Un vent pénétrant, surgi à la nuit, soufflait maintenant du Nord et fraîchissait ; mais les terres alentour étaient grises et mornes.

Ils étaient couverts de vêtements chauds et de lourdes capes, et par-dessus le tout, la dame Éowyn portait une mante d’un bleu profond, de la couleur d’un soir d’été, ornée d’étoiles argentées sur la bordure et à la gorge. Faramir l’avait envoyée chercher, puis l’avait déposée sur les épaules d’Éowyn ; et il trouva qu’elle était belle, belle comme une reine en vérité, tandis qu’elle se tenait là, à ses côtés. La mante avait été confectionnée pour sa mère, Finduilas d’Amroth, morte prématurément, et dont il ne gardait que le souvenir d’une beauté lointaine, et celui de son premier chagrin ; si bien que ce vêtement lui semblait convenir à la beauté et à la tristesse d’Éowyn.

Mais elle frissonnait à présent sous la mante étoilée, et elle regardait vers le nord par-delà les terres grises du proche horizon, dans l’œil du vent froid, où le ciel était dur et clair.

« Que cherchez-vous, Éowyn ? » demanda Faramir.

« La Porte Noire n’est-elle pas là-bas ? dit-elle. Et ne doit-il pas y être, à présent ? Il y a sept jours qu’il est parti. »

« Sept jours, dit Faramir. Mais ne pensez aucun mal de moi, si je vous dis qu’ils m’ont apporté une joie et une douleur que je ne pensais jamais connaître. La joie de vous voir ; mais la douleur, car à présent, la peur et le doute de cette triste époque me sont d’autant plus noirs. Éowyn, je ne veux pas voir ce monde prendre fin, ni perdre si vite ce que j’ai trouvé. »

« Perdre ce que vous avez trouvé, seigneur ? » répondit-elle ; mais elle le regarda avec gravité, et ses yeux étaient bons. « Je ne sais ce que vous avez trouvé en ces circonstances que vous pourriez perdre. Mais allons, mon ami, n’en parlons pas ! Ne parlons pas du tout ! Je suis au bord d’un terrible précipice, et il n’y a que des ténèbres dans le gouffre à mes pieds, mais j’ignore si une lumière est derrière moi. Car je ne puis encore me tourner. J’attends quelque coup du destin. »

« Oui, nous attendons le coup du destin », répéta Faramir. Ils ne dirent plus rien ; et il leur sembla alors, comme ils se tenaient sur le rempart, que le vent tombait, que la lumière mourait, que le Soleil s’était voilé, et que tous les sons de la Cité et des terres alentour s’étaient tus : nul vent, nulle voix, ni chant d’oiseau ni bruissement de feuille, ni leur propre souffle ne s’entendaient plus ; même les battements de leur cœur étaient suspendus. Le temps s’arrêta.

Et comme ils se tenaient ainsi, leurs mains se rencontrèrent et se joignirent, bien qu’ils n’en eussent pas conscience. Et ils restèrent à attendre ils ne savaient quoi. Puis, très vite, il leur sembla qu’au-dessus des lointaines montagnes se levait une autre grande montagne d’obscurité, comme une immense vague prête à engloutir le monde, et qu’elle était striée d’éclairs ; puis une secousse parcourut la terre, et ils sentirent les murs de la Cité trembler sous leurs pieds. Un son semblable à un soupir monta de toutes les terres alentour ; et leur cœur se remit à battre tout à coup.

« Cela me rappelle Númenor », dit Faramir, et il fut surpris de s’entendre parler.

« Númenor ? » dit Éowyn.

« Oui, répondit Faramir, les terres de l’Occidentale qui se sont abîmées, et cette grande vague noire partout sur les prairies et les collines, ne cessant d’avancer, mer de ténèbres inéluctables. J’en rêve souvent. »

« Ainsi, vous croyez que les Ténèbres approchent ? dit Éowyn. Les Ténèbres Inéluctables ? » Et soudain, elle se serra contre lui.

« Non, dit Faramir, scrutant son visage. Ce n’était qu’une image de l’esprit. J’ignore ce qui se passe. La raison, qui ne doit rien au songe, me dit qu’un grand mal est survenu et que nous sommes à la fin des jours. Mais mon cœur dit non ; et tous mes membres se font légers, et un espoir et une joie me viennent que la raison ne saurait contester. Éowyn, Éowyn, Dame Blanche du Rohan, en cette heure je ne crois pas qu’aucunes ténèbres puissent demeurer ! » Et il se pencha pour lui baiser le front.

Et ils se tinrent ainsi sur les murs de la Cité du Gondor, et un grand vent se leva et souffla, et leurs chevelures soulevées, de jais et d’or, se mêlèrent dans la brise. Et l’Ombre s’en fut, et le Soleil fut dévoilé, et la lumière jaillit ; et les eaux de l’Anduin se muèrent en un reflet d’argent, et dans chaque maison de la Cité, les hommes chantèrent la joie qui sourdait en leur cœur sans qu’ils pussent en deviner la source.

Et avant que le Soleil eût beaucoup décliné du Zénith, arriva de l’Est un grand Aigle, et il portait des nouvelles inespérées au nom des Seigneurs de l’Est, criant :