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Or chantez, gens de la Tour d’Anor,

car le Royaume de Sauron est fini pour toujours,

   et la Tour Sombre est jetée bas.

Chantez et célébrez, gens de la Tour de Garde,

car votre guet n’a pas été vain,

et la Porte Noire est brisée,

et votre Roi est passé outre,

   et il est victorieux.

Chantez et réjouissez-vous, enfants de l’Ouest,

car votre Roi rentrera au pays,

et il demeurera parmi vous

   tous les jours de votre vie.

Et l’Arbre qui s’est desséché sera renouvelé,

et il le plantera en haut lieu,

   et la Cité sera bénie.

   Chantez, ô braves gens !

Et les gens chantèrent dans toutes les rues de la Cité.

Les jours qui suivirent furent dorés, et Printemps et Été se joignirent et célébrèrent de conserve dans les champs du Gondor. Et de rapides cavaliers partis de Cair Andros apportèrent des nouvelles de tout ce qui avait été accompli, et la Cité se prépara à la venue du Roi. Merry fut convoqué, et il chevaucha avec les voitures qui devaient apporter des ravitaillements à Osgiliath, et de là, par navire, à Cair Andros ; mais Faramir n’y alla point, car, à présent guéri, il endossa son autorité de même que la charge de l’Intendance, encore que ce fût seulement pour une brève période et qu’il eût pour devoir de paver la voie à son remplaçant.

Et Éowyn n’y alla point, bien que son frère lui eût mandé de venir au champ de Cormallen. Et Faramir s’en étonna ; mais il la voyait rarement, accaparé par toutes ses affaires, et elle, toujours aux Maisons de Guérison, se promenait seule dans le jardin, et son visage se fit de nouveau pâle, et il semblait que, dans toute la Cité, elle fût la seule à pâtir et à se chagriner. Et le Gardien des Maisons s’inquiéta de la voir ainsi, et il parla à Faramir.

Alors Faramir vint la trouver, et ils se tinrent de nouveau ensemble sur les murs, et Faramir lui dit : « Éowyn, pourquoi restez-vous ici, plutôt que de vous rendre aux réjouissances de Cormallen, par-delà Cair Andros, où vous attend votre frère ? »

Et elle demanda : « Ne le savez-vous pas ? »

Mais il répondit : « Il peut y avoir deux raisons, mais je ne saurais dire laquelle est la vraie. »

Et elle dit : « Je n’ai pas envie de jouer aux énigmes. Parlez plus clairement ! »

« Eh bien, puisque vous insistez, madame, reprit-il : vous n’y allez pas, parce que seul votre frère vous a appelé ; et de voir maintenant le seigneur Aragorn, héritier d’Elendil, dans son triomphe ne vous apporterait plus aucune joie. Ou bien parce que je n’y vais pas, et que vous souhaitez demeurer près de moi. Et peut-être pour ces deux raisons, entre lesquelles vous n’arrivez pas à décider. Est-ce que vous ne m’aimez pas, Éowyn, ou ne le voulez-vous pas ? »

« J’ai voulu être aimée par un autre, répondit-elle. Mais je ne désire la pitié d’aucun homme. »

« Je le sais bien, dit-il. Vous vouliez recevoir l’amour du seigneur Aragorn. Parce qu’il était noble et puissant, que vous souhaitiez gloire et renom, et vous élever au-dessus des turpitudes de ce bas monde. Et comme un grand capitaine au regard d’un jeune soldat, il vous paraissait admirable. Ce qu’il est – un seigneur parmi les hommes, le plus grand de notre époque. Mais comme il ne vous a montré que pitié et compréhension, vous avez choisi de tout refuser, sinon une mort courageuse, les armes à la main. Regardez-moi, Éowyn ! »

Et Éowyn le regarda et soutint longuement son regard, et Faramir dit : « Ne dédaignez pas la pitié d’un homme au cœur doux, Éowyn ! Mais je ne vous offre pas ma pitié. Car vous êtes une noble et vaillante dame, et vous vous êtes acquis une renommée qui ne sera pas oubliée ; et vous êtes pour moi une dame, plus belle qu’il ne peut se dire même dans les mots de la langue elfique. Et je vous aime. Il fut un temps où votre tristesse me faisait pitié. Mais à présent, seriez-vous libre de toute tristesse, de toute peur et de tout manque, seriez-vous l’heureuse reine du Gondor, que je vous aimerais tout de même. Ne m’aimez-vous pas, Éowyn ? »

Alors, quelque chose se retourna dans le cœur d’Éowyn, ou elle comprit enfin son sentiment. Et soudain, son hiver passa, et le soleil brilla sur sa joue.

« Je me tiens à Minas Anor, la Tour du Soleil, dit-elle ; et voilà que l’Ombre s’est retirée ! Je ne serai plus une fille guerrière, ni rivale des grands Cavaliers, ni soulevée par les seuls chants de tuerie. Je serai une guérisseuse, et j’aimerai toutes choses qui poussent et ne sont pas stériles. » Et son regard se reporta sur Faramir. « Je ne désire plus être reine », dit-elle.

Faramir rit alors, la joie au cœur. « J’aime autant cela, dit-il ; car je ne suis pas roi. Mais j’épouserai la Dame Blanche du Rohan, si telle est sa volonté. Et si elle le veut, nous traverserons le Fleuve et nous nous installerons en des jours plus heureux dans le bel Ithilien pour y faire un jardin. Toutes choses pousseront là-bas dans la joie, si la Dame Blanche accepte de venir. »

« Devrai-je donc quitter les miens, homme du Gondor ? répondit-elle. Et voulez-vous que vos fiers semblables disent de vous : “Voilà un seigneur qui a apprivoisé une farouche guerrière du Nord ! N’y avait-il aucune femme du sang de Númenor pour le satisfaire ?” »

« Oui, je le veux », dit Faramir. Et il la prit dans ses bras et l’embrassa sous le ciel ensoleillé, et il se moquait de ce qu’ils fussent sur les remparts à la vue de tous. Et nombreux furent ceux qui les virent, et qui virent la lumière qui les entourait comme ils descendaient des murs et rentraient main dans la main aux Maisons de Guérison.

Et Faramir dit au Gardien des Maisons : « Voici la dame Éowyn du Rohan, et maintenant, elle est guérie. »

Et le Gardien répondit : « Dans ce cas, je la libère de ma garde et lui fais mes adieux, et puisse-t-elle ne plus jamais souffrir aucune blessure ou maladie. Je la remets entre les mains de l’Intendant de la Cité, jusqu’à ce que son frère revienne auprès d’elle. »

Éowyn dit toutefois : « Mais voici, maintenant que j’ai la permission de partir, je préférerais rester. Car cette Maison est devenue pour moi, de toutes les demeures, la plus heureuse. » Et elle demeura là-bas jusqu’au retour du roi Éomer.

La Cité veilla alors à tous les préparatifs ; et il y eut un grand concours de gens, car la nouvelle s’était répandue dans toutes les régions du Gondor, du Min-Rimmon jusqu’à Pinnath Gelin et aux côtes lointaines de la mer ; et tous ceux qui pouvaient gagner la Cité se hâtèrent d’y venir. Et la Cité fut de nouveau remplie de femmes et de beaux enfants qui rentraient chez eux chargés de fleurs, et de Dol Amroth vinrent les harpistes les plus doués de tout le pays, et il y eut aussi des musiciens jouant sur des violes, sur des flûtes et sur des cors d’argent, et des chanteurs dont la voix claire faisait retentir les vaux du Lebennin.