Vint enfin un soir où l’on put voir du haut des murs les pavillons dressés dans le champ, et des lumières brûlèrent toute cette nuit-là tandis que les hommes guettaient l’aurore. Et quand le soleil se leva dans le clair matin au-dessus des montagnes de l’Est, où les ombres ne s’étendaient plus, toutes les cloches retentirent, et tous les étendards se déployèrent et flottèrent au vent ; et au sommet de la Tour Blanche de la citadelle, la bannière des Intendants, d’argent clair comme neige au soleil, sans meuble ni emblème, fut levée sur le Gondor pour la dernière fois.
Alors, les Capitaines de l’Ouest conduisirent leur armée vers la Cité, et on les vit avancer rang après rang, et luire et étinceler dans le soleil levant comme l’argent ondoyant des flots. Ainsi arrivant au Portail, ils s’arrêtèrent à un furlong de la muraille. Les portes n’avaient encore pu être reconstruites, mais une barrière avait été dressée à l’entrée de la Cité, et des hommes en armes se tenaient là dans leur costume argent et noir, portant de longues épées nues. Devant la barrière se tenait Faramir l’Intendant, Húrin le Gardien des Clefs et d’autres capitaines du Gondor, ainsi que la dame Éowyn du Rohan avec Elfhelm le Maréchal et de nombreux chevaliers de la Marche ; et de chaque côté de la Porte se pressait une belle et grande foule en habits colorés, portant des guirlandes de fleurs.
Un vaste espace se trouva alors formé devant les murs de Minas Tirith, bordé de tous côtés par les chevaliers et les soldats du Gondor et du Rohan, et par les gens de la Cité et de toutes les régions du pays. Tous firent silence, tandis que des rangs de l’armée s’avançaient les Dúnedain en gris et argent ; et à leur tête marchait lentement le seigneur Aragorn. Il portait un haubert noir et une ceinture d’argent, et avait revêtu une longue cape d’un blanc immaculé, fermée à la gorge par un grand joyau vert qui étincelait de loin ; mais sa tête était nue, hormis une étoile brillant à son front, retenue par un mince bandeau d’argent. À ses côtés venaient Éomer du Rohan et le prince Imrahil, et Gandalf tout de blanc vêtu, et quatre petits personnages que bien des hommes s’étonnèrent de voir.
« Non, cousine ! ce ne sont pas des garçons, dit Ioreth à sa parente d’Imloth Melui qui se tenait à côté d’elle. Ce sont des Periain, du lointain pays des Demi-Hommes, où ils sont des princes de grande renommée, à ce que j’entends. Je suis bien placée pour le savoir, puisque j’en ai eu un à soigner aux Maisons. Ils sont petits, mais vaillants. Peux-tu croire, cousine, que l’un d’eux a traversé le Pays Noir avec son écuyer pour seul compagnon, qu’il s’est battu en duel contre le Seigneur Sombre, avant d’incendier sa Tour ? C’est du moins ce qu’on raconte dans la Cité. C’est sûrement lui qui marche aux côtés de notre Pierre-elfe. Ils sont bons amis, à ce que j’ai entendu dire. Une vraie perle que ce Seigneur de la Pierre-elfe : un peu tranchant dans sa façon de parler, remarque, mais il a un cœur d’or, comme on dit ; et il possède les mains guérisseuses. “Les mains du roi sont celles d’un guérisseur”, que j’ai dit ; et c’est comme ça que tout a été découvert. Et Mithrandir, il m’a dit : “Ioreth, les hommes se rappelleront longtemps vos paroles”, et puis… »
Mais Ioreth ne put continuer d’instruire sa parente de la campagne, car une unique trompette sonna, appelant un silence complet. De la Porte s’avança alors Faramir avec Húrin des Clefs, et nuls autres, hors quatre hommes qui marchaient à leur suite et portaient l’armure et la haute coiffure de la Citadelle, ainsi qu’un grand coffret de lebethron noir cerclé d’argent.
Faramir rencontra Aragorn au milieu des gens assemblés là, et il ploya le genou et dit : « Le dernier Intendant du Gondor sollicite la permission d’abdiquer sa charge. » Et il tendit un bâton blanc ; mais Aragorn le prit et le lui redonna, disant : « Cette charge n’est pas expirée, et elle sera tienne et celle de tes héritiers tant que ma lignée durera. Remplis maintenant ton office ! »
Alors, Faramir se releva et parla d’une voix claire : « Hommes du Gondor, entendez maintenant l’Intendant du Royaume ! Voyez ! un homme est venu enfin revendiquer de nouveau la royauté. Voici Aragorn fils d’Arathorn, chef des Dúnedain de l’Arnor, Capitaine de l’Armée de l’Ouest, porteur de l’Étoile du Nord, manieur de l’Épée Reforgée, victorieux au combat, lui dont les mains apportent la guérison, la Pierre-elfe, Elessar de la lignée de Valandil, fils d’Isildur, fils d’Elendil de Númenor. Sera-t-il roi et entrera-t-il dans la Cité afin d’y demeurer ? »
Et toute l’armée et tous les gens du peuple crièrent oïl d’une seule voix.
Et Ioreth dit à sa parente : « C’est là seulement une cérémonie comme on en fait dans la Cité, cousine ; car il est déjà entré, comme je te disais tout à l’heure ; et il m’a dit… » Et elle fut de nouveau réduite au silence, car Faramir reprit la parole.
« Hommes du Gondor, les maîtres en tradition disent que selon la coutume d’antan le roi recevait la couronne des mains de son père avant la mort de celui-ci ; ou, si cela ne pouvait se faire, qu’il allait seul afin de la prendre dans le giron de son père gisant au tombeau. Mais puisqu’il nous faut aujourd’hui procéder autrement, usant du pouvoir de l’Intendant, j’ai fait porter ici de Rath Dínen la couronne d’Eärnur, le dernier roi, dont les jours prirent fin au temps de nos lointains ancêtres. »
Les gardes s’avancèrent alors, et Faramir ouvrit le coffret, dont il souleva une antique couronne. Elle était semblable au heaume des Gardes de la Citadelle, quoique plus altière, et entièrement blanche ; et les ailes de chaque côté étaient de perles et d’argent ouvrés à la ressemblance de celles d’un oiseau marin, car c’était là l’emblème des rois ayant traversé la Mer ; sept gemmes adamantines en décoraient le bandeau, et le sommet était serti d’un unique joyau dont l’éclat montait comme une flamme.
Aragorn prit alors la couronne, et il la souleva et dit :
Et Eärello Endorenna utúlien. Sinome maruvan ar Hildinyar tenn’ Ambar-metta !
Et ce sont ces mêmes mots qu’Elendil prononça quand il vint de la Mer sur les ailes du vent : « De la Grande Mer à la Terre du Milieu je suis venu. En ce lieu je resterai, et tous mes héritiers, jusqu’à la fin du monde. »
Puis, à la surprise de nombreux spectateurs, Aragorn ne posa pas la couronne sur sa tête mais la rendit à Faramir et dit : « C’est grâce au labeur et à l’héroïsme de nombreux autres que j’entre en possession de mon héritage. En gage de quoi, j’aimerais que le Porteur de l’Anneau m’apporte la couronne, pour laisser Mithrandir la poser sur ma tête, s’il le veut bien ; car il fut le moteur de tous nos accomplissements, et cette victoire est la sienne. »
Alors Frodo s’avança, et il prit la couronne des mains de Faramir et l’apporta à Gandalf ; et Aragorn s’agenouilla, et Gandalf le ceignit de la Couronne Blanche et dit :
« Les jours du Roi sont arrivés ; puissent-ils être bénis tant que les trônes des Valar dureront ! »
Mais quand Aragorn se releva, tous ceux qui le virent contemplèrent en silence ; car on eût dit qu’il leur était révélé pour la toute première fois. Grand comme jadis les rois d’outre-mer, il dominait au-dessus de la foule, vénérable, et pourtant dans la fleur de l’âge ; la sagesse était sur son front, la force et la guérison dans sa main, et une lumière l’entourait. Alors Faramir cria :