« Voici le Roi ! »
Et à ce moment, toutes les trompettes sonnèrent, et le roi Elessar s’avança à la barrière, et Húrin des Clefs la repoussa ; et au son de harpes et de violes et de flûtes, et parmi les chants de voix claires, le Roi passa dans les rues chargées de fleurs, et vint à la Citadelle et y entra ; et la bannière de l’Arbre Étoilé fut déployée au sommet de la plus haute tour, et ainsi commença le règne du roi Elessar que bien des chants ont célébré.
Et sous son règne, la Cité fut embellie à tel point qu’elle parut plus somptueuse que jamais, même au temps de sa gloire première ; et elle regorgeait d’arbres et de fontaines, et ses portes étaient de mithril et d’acier, et ses rues, pavées de marbre blanc ; et les Gens de la Montagne y travaillaient, et les Gens de la Forêt s’y rendaient avec plaisir ; et tout fut guéri et amendé, et ses maisons furent remplies d’hommes et de femmes et de rires d’enfants, et il n’y eut plus une fenêtre aveugle ni une cour vide ; et bien après que le Troisième Âge eut pris fin et que le nouvel âge du monde fut commencé, elle conserva la mémoire et la splendeur des années disparues.
Dans les jours qui suivirent son couronnement, le Roi prit place sur son trône de la Salle des Rois et prononça ses jugements. Et il vint des ambassades de divers pays et peuples, de l’Est et du Sud, et des lisières de Grand’Peur, et de Dunlande, à l’ouest. Et le roi amnistia les Orientais qui s’étaient rendus et les renvoya libres, et il fit la paix avec les peuples du Harad ; et il relâcha les esclaves du Mordor et leur donna toutes les terres autour du lac Núrnen comme territoire. Et un grand nombre de valeureux furent amenés devant lui pour recevoir ses éloges et la récompense de leur valeur ; et en tout dernier lieu, le Capitaine de la Garde amena Beregond devant lui afin qu’il soit jugé.
Et le Roi dit à Beregond : « Beregond, par votre épée, le sang fut versé au Sanctuaire, où cela est interdit. Vous avez de plus quitté votre poste sans l’autorisation de votre Seigneur ou Capitaine. Pour ces offenses, autrefois, la peine de mort était le châtiment. Je suis donc tenu de prononcer votre jugement.
« Votre peine sera entièrement remise, eu égard à votre valeur au combat, et à plus forte raison, parce que vous avez agi par amour pour le seigneur Faramir. Cependant, vous ne serez plus Garde de la Citadelle, et vous devrez partir de la Cité de Minas Tirith. »
Alors, le sang quitta alors le visage de Beregond ; il fut frappé au cœur, et sa tête se courba. Mais le Roi dit :
« Il le faudra bien, car vous êtes assigné à la Compagnie Blanche, la Garde de Faramir, Prince d’Ithilien, et vous en serez le capitaine et demeurerez à Emyn Arnen dans l’honneur et la paix, et au service de celui pour qui vous avez tout risqué, afin de le sauver de la mort. »
Alors Beregond, percevant la clémence et la justice du Roi, sourit, et il s’agenouilla pour lui baiser la main, et il partit dans la joie et le contentement. Et Aragorn donna l’Ithilien à Faramir en tant que principauté, et il le pria de demeurer dans les collines des Emyn Arnen en vue de la Cité.
« Car, dit-il, Minas Ithil dans le Val de Morgul sera entièrement détruite, et même si le lieu peut être assaini dans les temps à venir, nul homme n’y pourra demeurer avant de longues années encore. »
Et pour finir, Aragorn accueillit Éomer du Rohan, et ils s’étreignirent, et Aragorn dit : « Entre nous, il ne saurait être question de donner ou de prendre, ni de récompenser ; car nous sommes frères. Une heure favorable a vu Eorl descendre du Nord, et il n’y eut jamais d’alliance plus heureuse entre deux peuples, où l’un n’a jamais failli à l’autre, et jamais ne faudra. Maintenant, comme vous le savez, nous avons enseveli Théoden le Renommé dans un tombeau du Sanctuaire, et il y demeurera pour toujours parmi les Rois du Gondor, si tel est votre désir. Ou, si vous le souhaitez, nous viendrons au Rohan et l’y transporterons afin qu’il repose parmi les siens. »
Et Éomer répondit : « Je vous ai aimé depuis le jour où je vous ai vu surgir de l’herbe verte des coteaux, et cet amour ne fera jamais défaut. Mais à présent, je dois partir et séjourner un temps dans mon propre royaume, où il y a beaucoup à soigner et à remettre en ordre. Quant au Roi tombé, lorsque tout sera prêt, nous reviendrons pour lui ; mais qu’il repose ici encore un peu. »
Et Éowyn dit à Faramir : « Je dois maintenant rentrer et contempler de nouveau mon propre pays, et assister mon frère dans sa tâche ; mais quand celui que j’ai longtemps aimé comme un père sera enfin porté en terre, je reviendrai. »
Ainsi passèrent ces jours heureux ; et au huitième jour de mai, les Cavaliers du Rohan apprêtèrent leurs chevaux et s’engagèrent sur le Chemin du Nord, accompagnés des fils d’Elrond. Et tout le long de la route, de la Porte de la Cité aux murs du Pelennor, la chaussée était bordée de gens venus leur faire honneur et chanter leurs louanges. Puis tous ceux qui vivaient au loin rentrèrent chez eux dans l’allégresse ; pendant que, dans la Cité, de nombreuses mains volontaires s’employaient à reconstruire, à renouveler et à effacer toutes les cicatrices de la guerre et le souvenir de l’obscurité.
Les hobbits demeurèrent à Minas Tirith, en compagnie de Legolas et de Gimli ; car Aragorn se refusait à ce que la fraternité fût dissoute. « Il vient un temps où de telles choses doivent prendre fin, dit-il, mais je voudrais que vous patientiez encore un moment : car l’œuvre à laquelle vous avez pris part n’est pas encore arrivée à terme. Toutes les années de ma maturité, je n’ai cessé d’attendre le jour qui aujourd’hui approche ; et quand il viendra, j’aimerais voir mes amis à mes côtés. » Mais concernant le jour à venir, il ne voulut rien ajouter.
Entre-temps, les Compagnons de l’Anneau vécurent ensemble dans une belle maison qu’ils partageaient avec Gandalf, allant et venant à leur gré. Et Frodo dit à Gandalf : « Savez-vous quel est ce jour dont Aragorn nous a parlé ? Car nous sommes heureux ici, et je ne souhaite pas m’en aller ; mais les jours passent, et Bilbo attend ; et le Comté est mon pays. »
« Pour ce qui est de Bilbo, répondit Gandalf, lui aussi attend ce même jour, et il sait ce qui vous retient. Quant au passage des jours, nous ne sommes encore qu’en mai, et le plein été se fait toujours attendre ; et bien que toutes choses paraissent différentes, comme si un âge du monde avait passé, il n’en reste pas moins qu’au regard des arbres et de l’herbe, il y a moins d’un an que vous êtes parti. »
« Pippin, dit Frodo, j’ai cru t’entendre dire que Gandalf n’était plus aussi fermé qu’autrefois ? Il devait être fatigué de ses labeurs, alors. J’ai l’impression qu’il est en voie de se remettre. »
Et Gandalf dit : « Bien des gens voudraient savoir d’avance ce qui sera servi à table ; mais ceux qui ont préparé le festin conservent jalousement leur secret ; car l’étonnement multiplie les louanges. Et Aragorn lui-même attend un signe. »
Un jour arriva où Gandalf fut introuvable, et les Compagnons se demandèrent ce qui allait se passer. Mais Gandalf avait quitté la Cité de nuit, emmenant Aragorn ; et il le conduisit sur les contreforts au sud du mont Mindolluin, où ils trouvèrent un sentier des siècles passés que peu de gens osaient désormais emprunter. Car il grimpait dans la montagne vers un haut lieu sacré que seuls les rois avaient eu coutume de fréquenter. Et ils montèrent par des voies escarpées jusqu’à une haute plateforme sous le manteau de neige des pics altiers, et elle regardait du haut de l’escarpement auquel la Cité était adossée. Et de cet endroit, ils embrassèrent tout le pays du regard, car le matin était venu ; et ils virent les tours de la Cité loin au-dessous d’eux comme des pinceaux illuminés par le soleil, et toute la Vallée de l’Anduin était comme un jardin, et une brume dorée s’étendait comme un voile sur les Montagnes de l’Ombre. D’un côté, la vue portait jusqu’à la ligne grisâtre des Emyn Muil, et le reflet du Rauros était comme une étoile scintillant au loin ; et de l’autre, ils pouvaient voir le Fleuve déroulé comme un ruban jusqu’à Pelargir, et une lumière se dessinait au-delà sur la frange du ciel, évoquant la Mer.