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« Nous le savons fort bien, dit Aragorn, et nous n’oublierons jamais cela, à Minas Tirith ni à Edoras. »

« Jamais est un mot bien trop long même pour moi, dit Barbebois. Tant que dureront vos royaumes, vous voulez dire ; mais ils devront durer un très long temps avant que cela ne paraisse long aux Ents. »

« Le Nouvel Âge commence, dit Gandalf, et dans cet âge, les royaumes des Hommes pourraient bien vous survivre, Fangorn, mon ami. Mais allons, dites-moi donc : qu’en est-il de la tâche que je vous ai confiée ? Comment va Saruman ? N’est-il pas fatigué des murs d’Orthanc ? Car je n’ai pas l’impression qu’il vous remerciera d’avoir amélioré la vue depuis ses fenêtres. »

Barbebois posa un long regard sur Gandalf, un regard presque malicieux, pensa Merry. « Ah ! fit-il. Je pensais bien que vous y viendriez. Fatigué d’Orthanc ? Très fatigué, oui, à la longue – non tant de sa tour que du fait d’entendre ma voix. Houm ! Que de longues histoires je lui ai contées, longues en tout cas pour ceux qui s’expriment dans votre parler. »

« Pourquoi restait-il alors à les écouter ? Êtes-vous entré à Orthanc ? » demanda Gandalf.

« Houm, non, pas à Orthanc ! dit Barbebois. Mais il venait à sa fenêtre pour m’écouter, parce qu’il ne pouvait avoir de nouvelles autrement, et même si ces nouvelles lui étaient odieuses, il était avide de les entendre ; et j’ai veillé à ce qu’il les ait toutes. Mais j’y ai ajouté bon nombre de choses que je jugeais bon de lui faire méditer. Il est devenu très las. Il a toujours été trop hâtif. Ce fut sa perte. »

« Je remarque, mon bon Fangorn, dit Gandalf, que vous avez grand soin de dire vivait, venait, était. Pourquoi pas est ? Est-il mort ? »

« Non, pas mort, pour autant que je sache, dit Barbebois. Mais il est parti. Oui, voilà une semaine. Je l’ai laissé partir. Il ne restait plus grand-chose de lui quand il est sorti de son trou ; quant à son acolyte aux allures de serpent, il avait la pâleur d’une ombre. Or ne me dites pas, Gandalf, que j’ai promis de le garder à l’œil ; car je le sais. Mais les choses ont changé depuis. Et je l’ai mis sous une garde sûre, jusqu’à ce que je sois sûr, sûr qu’il ne pourrait plus faire de mal. Vous devez bien savoir que la mise en cage des êtres vivants est pour moi la pire chose, et je me refuse, même pour de telles créatures, à les garder prisonniers plus longtemps qu’il n’en est besoin. Un serpent sans crochets peut ramper où il veut. »

« Peut-être avez-vous raison, dit Gandalf ; mais ce serpent-ci avait encore une dent, je pense. Il lui restait le poison de sa voix, et je crois qu’il a dû vous persuader – même vous, Barbebois –, vous connaissant cette sensibilité. Enfin bon, il est parti, et il n’y a pas à nous étendre sur le sujet. La Tour d’Orthanc doit néanmoins retourner au Roi, auquel elle appartient. Il se peut toutefois qu’il n’en ait pas besoin. »

« Cela reste à voir, dit Aragorn. Mais je donnerai toute cette vallée aux Ents afin qu’ils en fassent ce qu’ils veulent, tant qu’ils continueront de surveiller Orthanc et de veiller à ce que personne n’y entre sans ma permission. »

« Elle est fermée à clef, dit Barbebois. Saruman l’a fermée sur mon ordre et m’a remis les clefs. Primebranche les a avec lui. »

Primebranche, se courbant comme un arbre ployant sous le vent, remit à Aragorn deux grandes clefs noires de forme élaborée, réunies par un anneau d’acier. « Maintenant, il ne me reste plus qu’à vous remercier une nouvelle fois, dit Aragorn, et à vous dire adieu. Puisse votre forêt croître de nouveau en paix. Quand cette vallée sera remplie, il y aura tout l’espace souhaité et plus encore à l’ouest des montagnes, où vous marchiez autrefois il y a bien longtemps. »

La figure de Barbebois se rembrunit. « Les forêts peuvent croître, dit-il. Les bois peuvent s’étendre. Mais pas les Ents. Il n’y a plus d’Entiges. »

« Mais peut-être aurez-vous plus d’espoir dans votre quête, à présent, dit Aragorn. À l’est, des terres s’ouvriront qui vous furent longtemps inaccessibles. »

Mais Barbebois secoua la tête et dit : « Il y a loin à marcher jusque-là. Et il y a trop d’Hommes là-bas de nos jours. Mais j’en oublie les bonnes manières ! Voulez-vous rester ici et vous reposer quelque temps ? Et il y en a peut-être parmi vous qui aimeraient passer par la Forêt de Fangorn et ainsi raccourcir leur trajet ? » Il regarda Celeborn et Galadriel.

Mais tous sauf Legolas annoncèrent devoir aussitôt prendre congé et partir vers le sud ou l’ouest. « Allons, Gimli ! dit Legolas. Avec la permission de Fangorn, je vais donc visiter les profondeurs du Bois d’Ent et voir des arbres comme on n’en trouve nulle part ailleurs en Terre du Milieu. Tu viendras avec moi comme promis ; et de cette façon, nous poursuivrons ensemble notre voyage vers nos propres demeures, à Grand’Peur et au-delà. » Gimli consentit à cela, quoique sans grand enthousiasme, eût-on dit.

« Enfin donc, la Fraternité de l’Anneau finit ici, dit Aragorn. Mais j’espère que vous reviendrez dans mon pays avant peu, et avec l’aide que vous avez promise. »

« Nous viendrons, si nos seigneurs à nous le permettent, dit Gimli. Eh bien, adieu, mes hobbits ! Vous devriez pouvoir rentrer chez vous sains et saufs, à présent, et je ne serai plus privé de sommeil par crainte pour votre sécurité. Nous enverrons des nouvelles quand ce sera possible, et certains d’entre nous pourraient se revoir de temps à autre ; mais je crains que la joie de nous voir tous réunis ne se représente jamais plus. »

Barbebois dit alors adieu à chacun tour à tour ; et il s’inclina trois fois, lentement et avec grande révérence, devant Celeborn et Galadriel. « Il y a long, long temps que nous nous sommes rencontrés entre troncs et pierres, A vanimar, vanimálion nostari ! dit-il. Il est triste que nous nous retrouvions ainsi, seulement à la fin. Car le monde change : je le sens dans l’eau, je le sens dans la terre, et je le sens dans l’air. Il m’étonnerait que nous nous revoyions. »

Et Celeborn dit : « Je l’ignore, Aîné. » Mais Galadriel dit : « Pas en Terre du Milieu, ni avant que les terres ensevelies sous les flots ne soient exhaussées. Alors nous pourrions, dans les saulaies de Tasarinan, nous revoir au Printemps. Adieu ! »

Pour finir, Merry et Pippin dirent au revoir au vieil Ent, et il devint plus gai en les regardant. « Eh bien, mes joyeuses gens, dit-il, prendrez-vous un dernier coup avec moi avant de partir ? »

« Très volontiers », répondirent-ils, et il les amena à l’écart, dans l’ombre de l’un des arbres, et ils virent qu’une grande jarre de pierre était posée là. Barbebois remplit trois bols, et ils burent ; et ils virent ses yeux étranges qui les observaient par-dessus le rebord de son bol. « Prudence, prudence ! dit-il. Car vous avez déjà grandi depuis la dernière fois que nous nous sommes vus. » Et, riant, ils vidèrent leurs bols.

« Eh bien, au revoir ! dit-il. Et n’oubliez pas : si vous avez des nouvelles des Ent-Femmes dans votre pays, vous serez gentils de m’en informer. » Puis, agitant ses grandes mains, il salua toute la compagnie et s’en fut parmi les arbres.

Les voyageurs adoptèrent alors une allure plus rapide et se dirigèrent vers la Brèche du Rohan ; et Aragorn prit enfin congé d’eux tout près de l’endroit où Pippin avait regardé dans la Pierre d’Orthanc. Cette séparation chagrina beaucoup les Hobbits ; car Aragorn ne leur avait jamais fait défaut, lui qui avait été leur guide à travers maints périls.

« Si seulement nous avions une Pierre où nous verrions tous nos amis, dit Pippin, pour pouvoir leur parler à distance ! »