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« Crois-tu que tu l’as tué avec cette pomme, Sam ? » dit Pippin.

« J’ose pas l’espérer, monsieur Pippin. Mais je voudrais bien savoir ce qui est arrivé à ce pauvre poney. Je l’ai souvent revu détaler dans le noir, et les loups qui hurlaient et tout. »

Ils parvinrent enfin à l’auberge du Poney Fringant, et celle-ci au moins, vue de l’extérieur, ne semblait pas avoir changé ; des lampes brillaient derrière les rideaux rouges aux fenêtres du bas. Ils sonnèrent à la porte, et Nob accourut et l’entrouvrit, jetant un œil à travers la fente ; et lorsqu’il les vit sous l’éclairage de la lanterne, il lâcha un cri de surprise.

« Monsieur Fleurdebeurre ! Maître ! cria-t-il. Ils sont revenus ! »

« Ah bon ? Je vais leur apprendre », fit la voix de Fleurdebeurre, et il sortit en coup de vent avec une massue. Mais quand il aperçut les visiteurs, il s’arrêta court, et la colère noire sur son visage laissa place à une joie étonnée.

« Nob, espèce de nouille à tête crépue ! s’écria-t-il. Tu ne pourrais pas appeler de vieux amis par leurs noms ? Quelle idée de me faire pareille frousse, à l’époque où on vit. Bon, bon ! Et d’où est-ce que vous venez ? Je n’aurais jamais cru revoir aucun de vous autres messieurs, ça c’est un fait : partir dans la Sauvagerie avec l’Arpenteur, avec tous ces Hommes en Noir aux alentours… Mais je suis drôlement content de vous voir, et Gandalf par-dessus le marché. Entrez ! Entrez ! Les mêmes chambres que la dernière fois ? Elles sont libres. En fait, la plupart des chambres sont vides ces jours-ci, je ne vous le cacherai pas, et vous le verrez bien assez vite. Et je vais voir ce qu’on peut faire pour le souper, aussitôt que possible ; mais je suis à court d’aide en ce moment. Hé, Nob, espèce de lambin ! Préviens Bob ! Ah, mais j’oubliais, Bob est parti : il retourne chez ses vieux à la tombée, maintenant. Eh bien, emmène les poneys des hôtes à l’écurie, Nob ! Vous vous chargerez vous-même de conduire votre cheval à sa stalle, Gandalf, j’en suis bien certain. Superbe bête, comme je l’ai dit la première fois que je l’ai vue. Eh bien, entrez ! Faites comme chez vous ! »

M. Fleurdebeurre, en tout cas, n’avait pas changé sa manière de parler, et il semblait toujours aussi affairé et à bout de souffle. Pourtant, l’endroit était pratiquement désert, et tout était calme : un faible murmure montait de la Salle Commune, où ne devaient pas se trouver plus de deux ou trois personnes. Et, vu de plus près, à la lueur des deux bougies qu’il alluma et porta devant eux, le visage de l’aubergiste parut plutôt ridé et rongé par les soucis.

Il les mena le long du couloir jusqu’au petit salon qu’ils avaient occupé par cette étrange nuit d’automne, plus d’un an auparavant ; et ils le suivirent, un peu inquiets, car il était évident que le vieux Filibert faisait bonne contenance devant quelque difficulté. Les choses n’étaient plus ce qu’elles avaient été. Mais ils ne dirent mot et se contentèrent d’attendre.

Après souper, comme ils s’y attendaient, M. Fleurdebeurre se présenta au salon afin de s’assurer que tout avait été à leur convenance. Ce qu’ils confirmèrent avec empressement : rien de fâcheux n’était encore arrivé à la bière ni aux victuailles du Poney, à tout le moins. « Maintenant, je n’irai pas jusqu’à vous inviter à passer dans la Salle Commune, dit Fleurdebeurre. Vous êtes fatigués, sûrement ; et il n’y a pas grand monde ce soir de toute manière. Mais si vous pouviez me consacrer une demi-heure avant d’aller vous coucher, j’aimerais vraiment faire un brin de causette, entre nous bien tranquilles. »

« C’est exactement ce que nous voudrions, nous aussi, dit Gandalf. Nous ne sommes pas fatigués. Nous avons pris notre temps pour venir. Nous étions trempés, transis et affamés, mais vous avez remédié à tout. Venez donc vous asseoir ! Et si vous aviez un peu d’herbe à pipe, nous vous serions bien obligés. »

« Ma foi, si vous aviez demandé n’importe quoi d’autre, ç’aurait fait mon bonheur, dit Fleurdebeurre. C’est justement l’une des choses dont on manque, vu qu’on n’a rien que ce que l’on fait pousser nous-mêmes, et ça ne suffit pas. Il n’y a plus moyen d’en faire venir du Comté, de nos jours. Mais je vais faire ce que je peux. »

Il revint avec une provision qui leur suffirait pour un jour ou deux, une carotte de feuilles entières. « Du Côtes-du-Sud, dit-il, le meilleur plant que nous avons ; mais ça n’arrive pas à la cheville des variétés du Quartier Sud, comme j’ai toujours dit, même si je suis pour Brie la plupart du temps, sauf votre respect. »

Ils l’installèrent dans un grand fauteuil près du feu de bois, mais Gandalf s’assit à l’autre bout de l’âtre, et les hobbits dans des fauteuils bas entre les deux hommes ; et ils parlèrent alors bien au-delà d’une demi-heure, échangeant toutes les nouvelles que M. Fleurdebeurre voulut bien entendre ou leur donner. Une grande partie de ce qu’ils avaient à raconter fut un pur émerveillement pour leur hôte, amenant plus de questions que de réponses et dépassant de beaucoup sa vision ; et leur récit n’attira guère d’autre commentaire que « Pas possible ! » et « Vous me dites pas ! », maintes fois répété par l’aubergiste en dépit du témoignage de ses propres oreilles. « Vous me dites pas, monsieur Bessac ! ou est-ce monsieur Souscolline ? Je suis si déboussolé. Vous me dites pas, maître Gandalf ! Ça par exemple ! Qui l’eût cru, à notre époque ? »

Mais il eut beaucoup à dire pour sa part. Les choses étaient loin d’aller bien, disait-il. Les affaires n’étaient pas même correctes, elles étaient carrément mauvaises. « Personne de l’Extérieur ne vient plus à Brie, leur dit-il. Et les gens d’ici, ils restent chez eux le plus souvent, et ils gardent leurs portes barrées. Tout ça, c’est depuis que ces nouveaux venus et tous ces vagabonds ont commencé à monter par le Chemin Vert l’an dernier, si vous vous souvenez ; mais plus tard, il y en a eu d’autres. Parfois, c’étaient seulement de pauvres types qui cherchaient à fuir les ennuis ; mais la plupart étaient mauvais, des voleurs et des fauteurs de troubles. Et il y a eu des ennuis ici même à Brie, de sérieux ennuis. Ah ! je vous dis, on a eu une vraie rixe, et des gens ont été tués, tués raides morts ! Si vous pouvez me croire. »

« Je vous crois sur parole, dit Gandalf. Combien ? »

« Trois et deux », dit Fleurdebeurre, séparant les grandes gens des petites. « Il y a eu le pauvre Mat Piedbruyère, et Rowlie Pommerel, et le petit Tom Piquépine de derrière la Colline ; et Willie Cotelier de là en haut, et l’un des Souscolline de Raccard : tous de braves gens, très regrettés. Et Harry Chèvrefeuille qui gardait autrefois la Porte de l’Ouest, et ce Bill Fougeard, ils se sont rangés du bord des étrangers, et ils sont partis avec eux ; et mon idée est qu’ils les ont laissés entrer. La nuit de la bataille, je veux dire. Et c’était après qu’on leur a eu montré les portes pour ensuite les jeter dehors : avant la fin de l’année, que c’était ; et la bataille s’est passée au début du Nouvel An, après la grosse chute de neige qu’on a eue.

« Et voilà qu’ils vivent comme des voleurs sans feu ni lieu, terrés dans les bois au-delà d’Archet et dans les terres sauvages là-bas au nord. C’est un peu comme dans les vieilles histoires d’horreur qui nous parlent de l’ancien temps, que je dis. Les routes ne sont pas sûres, les gens ne vont jamais loin et s’enferment de bonne heure. On a dû poster des guetteurs tout autour de la clôture et mettre beaucoup d’hommes sur les portes la nuit. »