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Fasciné, il suivit les Matriarches des yeux jusqu’à ce qu’elles aient atteint le sommet de la colline où les attendaient une demi-douzaine d’Aes Sedai accompagnées de leurs Champions. Sauf en ce qui concernait les deux sœurs rouges, puisque les membres de cet Ajah n’en avaient pas…

Toutes les femmes entrèrent sous une des grandes tentes blanches, les cinq Champions montant la garde tout autour. N’ayant plus rien à observer, Gawyn reprit son inspection.

Depuis que la nouvelle de l’arrivée des Aielles avait fait le tour des rangs, les soldats de la Jeune Garde étaient particulièrement vigilants, un détail qui déplut à l’officier, car ils auraient dû être sur le qui-vive avant cet événement. Parmi eux, même ceux qui n’arboraient pas la tour d’argent avaient participé à des combats autour de Tar Valon.

Quelques semaines plus tôt, Eamon Valda, le seigneur capitaine des Capes Blanches en poste dans la région, était parti pour l’Ouest avec presque tous ses hommes, le peu qu’il laissait en arrière s’efforçant de continuer à contrôler les brigands et les voyous que leur chef avait « fédérés ». Par bonheur, la Jeune Garde avait dispersé cette racaille. Gawyn aurait aimé croire que le départ de Valda devait être porté au crédit de ses camarades. De fait, la Tour Blanche avait tenu ses propres soldats éloignés des escarmouches, alors que les Capes Blanches n’avaient eu qu’une raison d’être dans la région : découvrir un moyen de nuire aux sœurs. Mais en réalité, Valda devait avoir eu des motifs bien à lui. Par exemple des ordres de Pedron Niall – et dans ce cas, Gawyn aurait donné cher pour connaître leur teneur. Au nom de la Lumière, il détestait être dans l’ignorance ! Car ça revenait à avancer à tâtons dans le noir.

Pour être franc, il avait les nerfs en pelote. En partie parce qu’on ne lui avait rien dit au sujet des Aielles, en tout cas jusqu’à l’aube du jour de la rencontre. Mais aussi parce qu’on lui avait caché la destination du détachement jusqu’à ce que Coiren Sedai, la sœur grise qui dirigeait les Aes Sedai, le prenne à part pour l’en informer. Lorsqu’elle conseillait Morgase à Caemlyn, Elaida était à la fois secrète et brusque. Depuis qu’on l’avait nommée Chaire d’Amyrlin, cette ancienne Elaida serait passée pour une femme ouverte et chaleureuse. Et si elle l’avait harcelé pour qu’il forme et dirige cette escorte, c’était sûrement pour l’éloigner de Tar Valon, il aurait parié sa chemise là-dessus.

Lors des combats, la Jeune Garde s’était rangée du côté d’Elaida. L’ancienne Chaire d’Amyrlin ayant été destituée par le Hall, son étole et son sceptre confisqués, les combats visant à la libérer étaient purement et simplement de la sédition. Donc, le choix avait été facile. Mais bien avant d’entendre la lecture des charges pesant sur Siuan Sanche, Gawyn avait eu ses propres doutes sur toutes les Aes Sedai. À force d’entendre que ces femmes tiraient les ficelles des pantins assis sur leur trône, il avait fini par ne plus y prêter attention. Puis il avait été témoin de ces manipulations. De leurs effets, en tout cas, sa sœur Elayne étant la marionnette qui avait dansé jusqu’à disparaître de sa vue – et peut-être de ce monde, pour ce qu’il en savait. Sa sœur, oui, et une autre femme…

Après avoir lutté pour que Siuan reste en prison, Gawyn avait en quelque sorte retourné sa veste, la laissant s’enfuir. Si Elaida découvrait ça un jour, même la couronne de sa mère, la reine Morgase, ne lui permettrait pas de garder la tête sur les épaules.

En dépit de tout ça, il avait décidé de rester. Primo, parce que sa mère avait toujours soutenu la tour, et secundo, parce que Elayne voulait devenir une Aes Sedai. En guise de tertio, il y avait une autre femme nourrissant la même ambition. Egwene al’Vere… Même s’il n’avait aucun droit de seulement penser à elle, abandonner la tour serait revenu à la trahir aussi. Dire qu’un homme choisissait son destin pour des raisons tellement dépourvues de substance ! Mais les savoirs futiles ne changeaient rien à l’importance qu’on leur accordait.

En passant d’une position à une autre, Gawyn sonda d’un regard rageur la plaine battue par le vent. Il était bel et bien ici, à présent, en train d’espérer que les Aiels n’attaqueraient pas en dépit – ou à cause – de ce que les Matriarches des Shaido négociaient en ce moment même avec Coiren et les autres sœurs. Dans ce paysage désolé, il devait y avoir assez de guerriers pour qu’il n’ait aucune chance de vaincre, même avec l’aide des Aes Sedai. De plus, il était en route pour Cairhien, et il n’aurait su dire ce qu’il en pensait. Alors qu’elle le faisait jurer de garder secrète sa mission, Coiren lui avait semblé effrayée par ce qu’elle disait. Et elle l’était peut-être bel et bien. S’il était toujours prudent de disséquer les propos d’une Aes Sedai – ces femmes ne pouvaient pas mentir, mais rien ne les empêchait de distordre la vérité – il n’avait pas trouvé de sens caché aux paroles de Coiren. Les six Aes Sedai allaient demander au Dragon Réincarné de les accompagner jusqu’à la Tour Blanche, la Jeune Garde commandée par le fils de la reine d’Andor leur tenant lieu d’escorte d’honneur. À ça, il ne pouvait y avoir qu’une raison, et elle troublait assez Coiren pour qu’elle ose à peine y faire allusion. Tout aussi troublé, Gawyn avait pourtant dû se rendre à l’évidence : Elaida s’apprêtait à annoncer au monde que la Tour Blanche soutenait le Dragon Réincarné.

Enfin, c’était presque inconcevable ! Avant d’accéder au poste suprême, Elaida appartenait à l’Ajah Rouge. Ces sœurs-là abominaient les hommes capables de canaliser le Pouvoir – à vrai dire, elles ne pensaient pas grand bien des mâles en général. Pourtant, en regard des prophéties, la chute de la Pierre de Tear, jusque-là imprenable, confirmait que Rand al’Thor était bien le Dragon Réincarné. Et Elaida elle-même affirmait que l’Ultime Bataille ne tarderait plus…

Gawyn avait quelque peine à penser que le jeune paysan timide qui était (littéralement) tombé dans le jardin du palais royal, à Caemlyn, ne faisait qu’un avec l’homme dont les exploits alimentaient les rumeurs qui remontaient le fleuve Erinin jusqu’au cœur de Tar Valon. Al’Thor, disait-on, avait condamné à la potence des Hauts Seigneurs de Tear et permis à des Aiels de piller la Pierre. Ensuite, et pour la deuxième fois seulement depuis la Dislocation, il avait fait traverser la Colonne Vertébrale du Monde à une horde d’Aiels qui s’étaient empressés de dévaster le Cairhien. Les effets délétères de la folie ? Le jour de leur rencontre, Gawyn avait apprécié Rand. Aujourd’hui, il regrettait qu’il ait si mal tourné…

Quand Gawyn fut revenu à son point de départ, près du groupe de Jisao, un autre voyageur était apparu à l’ouest – un colporteur au chapeau mou qui tenait par la bride une mule de bât aux flancs creux. Ayant remarqué les soldats, il se dirigeait droit vers la colline.

Jisao se tendit… et se calma dès que Gawyn lui posa une main sur le bras. Les craintes du jeune homme étaient justifiées, mais si les Aiels décidaient de tuer ce type, il faudrait les laisser faire. Si la Jeune Garde déclenchait une bataille rangée avec les guerriers de ses interlocutrices, Coiren ne lui décernerait sûrement pas une médaille.

Comme s’il n’avait pas conscience du danger, le colporteur continua d’avancer en traînant la jambe, puis il s’arrêta après avoir dépassé le buisson que Gawyn avait visé avec son caillou. Tandis que la mule entreprenait de brouter l’herbe jaunie, l’homme enleva son chapeau, esquissa une révérence qui s’adressait à tous les soldats, puis entreprit de s’éponger le visage avec un mouchoir à la propreté douteuse.

— Puisse la Lumière briller sur vous, mes seigneurs ! Comme quiconque de sensé peut le voir, vous êtes bien équipés pour voyager en ces temps périlleux, mais s’il vous manque la plus petite chose, le vieux Mil Tesen l’a sûrement dans son stock. Et vous ne trouverez pas moins cher à quatre lieues à la ronde, mes seigneurs !