Выбрать главу

Lini poussa un petit cri, comme si elle s’était piquée, mais Niall ne daigna pas tourner la tête vers elle.

Bouleversée, Morgase dut serrer très fort un accoudoir de son fauteuil afin de ne pas porter une main à son cœur. Et si le gobelet qu’elle tenait dans l’autre n’avait pas reposé sur l’accoudoir d’en face, elle aurait renversé du punch sur le tapis. Gaebril, mort ? Il l’avait abusée, transformée en gourgandine, et dépouillée de son autorité pour opprimer en son nom le pays qu’elle aimait tant. Pour finir, il s’était proclamé roi d’Andor alors que le royaume n’avait jamais connu que des reines. Après tant d’infamies, comment pouvait-elle éprouver ne serait-ce que l’ombre d’un regret à l’idée qu’elle ne sentirait plus jamais le contact de ses mains sur sa peau ? De la folie ! De quoi la pousser à croire qu’il avait utilisé sur elle le Pouvoir de l’Unique. Mais bien entendu, c’était impossible.

Et maintenant, al’Thor tenait Caemlyn ? Voilà qui pouvait tout changer. Elle l’avait rencontré naguère. Un jeune paysan de l’Ouest terrorisé qui faisait de son mieux pour se comporter convenablement devant sa reine. Cela dit, il portait à la hanche l’épée au héron d’un maître de la lame. Et Elaida s’était méfiée de lui…

— Niall, pourquoi dites-vous « faux Dragon » ?

Puisque ce type l’appelait par son nom, il pourrait très bien se passer qu’elle lui donne du « maître ».

— Comme l’annonçaient les Prophéties du Dragon, la Pierre de Tear est tombée. Les Hauts Seigneurs de Tear eux-mêmes ont reconnu qu’il est bel et bien le Dragon Réincarné.

Niall eut un sourire moqueur.

— Partout où il est apparu, il y avait des Aes Sedai à sa traîne. Elles se chargent de canaliser pour lui, croyez-moi. Al’Thor est une marionnette de la tour. J’ai des amis un peu partout (il fallait entendre « des espions ») et ils m’ont rapporté, preuves à l’appui, que la tour s’est également servie du précédent faux Dragon, nommé Logain. L’ambition lui étant montée à la tête, les Aes Sedai ont dû être obligées de… disposer de lui.

— Je ne vois pas où sont les preuves que c’est vrai…, dit Morgase d’un ton très assuré.

Sur le chemin d’Amador, elle avait entendu ces rumeurs au sujet de Logain. Mais justement, ce n’étaient que des rumeurs…

— Croyez ce que vous voulez… Moi, je préfère la vérité à d’absurdes fantaisies. Le véritable Dragon Réincarné aurait-il agi comme ça ? Les Hauts Seigneurs l’ont acclamé, dites-vous ? Combien en a-t-il fait pendre pour obtenir ce résultat ? Al’Thor a laissé les Aiels piller la Pierre puis la capitale du Cairhien. Il affirme que ce pays doit avoir un dirigeant – désigné par ses soins – mais c’est lui qui y détient le véritable pouvoir. Il affirme aussi qu’il faut une nouvelle tête couronnée à Caemlyn. Car pour lui, savez-vous que vous êtes morte ? On a mentionné la dame Dyelin, si je ne m’abuse. Al’Thor s’est assis sur le Trône du Lion, pour donner ses audiences, mais il a dû le trouver trop petit, puisqu’il est conçu pour des femmes. Du coup, il l’a ajouté au butin de ses conquêtes et remplacé par son propre trône, installé dans le hall d’honneur de votre palais. Évidemment, tout ne s’est pas bien passé pour lui. Certaines maisons andoriennes pensent qu’il est votre meurtrier. Et depuis votre décès, votre popularité est nettement en hausse… Cela posé, il tient dans une main de fer la partie d’Andor qu’il a conquise, se reposant sur ses Aiels et sur une bande de brigands des Terres Frontalières que la tour a recrutée pour lui. Si vous pensez qu’il vous accueillera à bras ouverts à Caemlyn, prêt à vous rendre votre trône…

Niall n’alla pas plus loin, mais le coup avait fait mouche… Dans l’ordre de succession, Dyelin passait après Elayne, à condition que celle-ci soit morte sans enfants. Par la Lumière ! Elayne ! Était-elle encore en sécurité à la tour ? Comme tout ça était paradoxal… Si Morgase en voulait aux Aes Sedai, c’était avant tout parce qu’elles avaient perdu pendant un temps la trace de la Fille-Héritière. Du coup, elle avait exigé le retour de sa fille, et comme nul n’avait le droit d’exiger quoi que ce soit de la tour, les choses s’étaient encore envenimées. Pourtant, en cet instant, elle espérait qu’Elayne était bien entre les mains des sœurs.

Après être revenue à Tar Valon, sa fille lui avait écrit une lettre. Y en avait-il eu d’autres ? De l’époque où Gaebril la tenait sous son emprise, elle gardait des souvenirs très vagues… Mais Elayne était sûrement en sécurité. Bien sûr, elle aurait dû s’inquiéter aussi pour Gawyn… et pour Galad – la Lumière seule savait où ils étaient – mais Elayne était son héritière. Et la paix du royaume reposait sur une succession tout en douceur…

Avant de s’emballer, elle devait réfléchir calmement. Tout ce que racontait Niall était cohérent, mais il en allait de même pour les mensonges bien ficelés, et le seigneur général devait être un maître à ce jeu-là. Elle avait besoin de faits. Qu’on la croie morte, en Andor, n’avait rien d’étonnant. Pour échapper à Gaebril, à ceux qui l’auraient livrée à l’usurpateur ou qui se seraient vengés sur elle de ses exactions, elle avait dû quitter son royaume comme une voleuse. Si sa mort lui valait un regain de popularité, elle devrait en profiter lorsqu’elle reviendrait de l’autre monde.

— Je vais avoir besoin de temps pour réfléchir, dit-elle à Niall.

Et de faits…

— Bien entendu…

Niall se leva souplement. Morgase l’aurait bien imité, afin qu’il ne la domine pas ainsi, mais elle craignait que ses jambes refusent de la soutenir.

— Je reviendrai dans un jour ou deux… En attendant, je veux être sûr que vous soyez en sécurité. Ailron est tellement absorbé par ses soucis… Quelqu’un pourrait tenter de s’introduire chez vous afin de vous nuire. J’ai donc pris la liberté de poster quelques Fils de la Lumière ici. Avec le consentement du roi, bien sûr.

Depuis toujours, Morgase entendait dire que les Capes Blanches étaient le vrai pouvoir en Amadicia. Eh bien, elle venait d’en avoir la preuve.

Niall se montra un peu plus protocolaire qu’à son arrivée, gratifiant la reine d’un salut qui aurait pu convenir à un égal. Mais le fond de son message était clair : elle n’avait pas le choix.

Dès qu’il fut sorti, Morgase se leva, mais Breane fut encore plus rapide qu’elle quand il s’agit de foncer vers la porte. Avant que l’une ou l’autre ait fait trois pas, le battant s’ouvrit à la volée pour laisser passer Tallanvor, Basel Gill et Lamgwin.

— Morgase, dit le jeune officier, dévorant sa reine du regard, j’ai eu peur que…

— Peur ? coupa-t-elle avec mépris. (Décidément, il n’apprendrait jamais.) C’est comme ça que tu me protèges ? Un enfant n’aurait pas fait mieux. Mais au fond, c’est ce que tu es…

Tallanvor la regarda encore un instant, puis il se détourna et sortit, passant entre Basel et Lamgwin.

— Ils étaient au moins trente, Majesté, dit l’aubergiste en se tordant les mains. Tallanvor a voulu se battre. Il a tenté de vous prévenir, mais un type l’a assommé avec le pommeau de son épée. Le vieil homme a dit qu’ils n’avaient pas l’intention de vous faire du mal, mais qu’ils avaient uniquement besoin de vous, et n’hésiteraient donc pas à nous tuer…

Basel regarda Lini, puis Breane, qui étudiait Lamgwin de la tête aux pieds afin de s’assurer qu’il n’était pas blessé. Et l’homme semblait tout aussi inquiet du bon état de santé de sa compagne.

— Ma reine, si j’avais pensé que nous aurions pu vous aider… Désolé, je vous ai mal servie.

— Un médicament qui agit a toujours mauvais goût, murmura Lini. Surtout pour une enfant qui pique un caprice…

Au moins, pour une fois, la nourrice avait fait en sorte de ne pas parler assez fort pour que tout le monde entende.