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Un escrimeur rapide et précis. Pour attirer l’élite, Rand n’avait pas lésiné sur l’or, et ça avait fonctionné. Pour un Andorien, Maigrichon était plutôt grand, même si Rand le dominait d’une bonne tête, mais dans un combat à l’épée, la taille ne comptait pas. En revanche, il arrivait que la force fasse la différence. Quand Rand se déchaîna contre lui, Maigrichon eut une expression pincée avant de reculer. Le Sanglier qui Dévale la Colline eut aisément raison d’Écarter la Soie et se joua de l’Éclair aux Trois Fourches. Après que l’épée d’entraînement se fut écrasée sur le côté de son cou, Maigrichon s’écroula comme les trois escrimeurs précédents.

Aussitôt, Rand se jeta à terre, fit un roulé-boulé sur les dalles dures et exécuta la Rivière Longe la Rive à la vitesse de l’éclair. Même s’il n’était pas très rapide, Crâne-Rasé avait dû prévoir le coup, car il abattit sa lame sur la tête de Rand au moment même où ce dernier lui zébrait le ventre avec sa propre épée.

Un instant, Rand chancela, des points noirs dansant devant ses yeux. Après avoir secoué la tête pour éclaircir sa vision, il s’appuya sur son arme pour se redresser. Haletant, Crâne-Rasé le regarda avec méfiance.

— Paie-le, dit Rand.

Aussitôt, la méfiance s’effaça du visage de Crâne-Rasé. Comme si Rand n’avait pas promis une pièce de plus – par jour – à tout homme qui parviendrait à le toucher. Et trois à tous ceux qui le vaincraient en tête à tête. Un moyen de s’assurer que personne ne retiendrait ses coups pour flatter le Dragon Réincarné. Rand ne demandait jamais le nom de ses partenaires, et si cet oubli les énervait, c’était tant mieux, puisqu’ils s’en battraient avec plus d’énergie. Un adversaire, même lors d’un entraînement, était là pour le pousser au-delà de ses limites, pas pour devenir son ami. De toute façon, ses amis maudiraient un jour le moment où ils l’avaient rencontré – si ce n’était pas déjà fait.

Les autres escrimeurs remuaient déjà. En principe, un « mort » devait rester là où il était tombé afin de devenir un obstacle, comme l’aurait été un vrai cadavre. Mais alors qu’il avait quelque mal à tenir debout lui-même, Nez-Cassé était obligé d’aider Cheveux-Gris à se relever. Quant à Maigrichon, il tournait la tête à droite et à gauche en faisant la grimace.

Plus d’entraînement pour aujourd’hui !

— Paie-les tous.

Des applaudissements montèrent du public composé de seigneurs et de dames vêtus de leurs plus beaux atours – avec une inflation galopante de broderies et de galons, bien entendu.

Rand fit la moue alors qu’il jetait au loin son épée. Tout ce beau monde avait fait des ronds de jambes devant Gaebril à l’époque où Morgase – la reine légitime – était prisonnière dans son propre palais. Mais pour le moment, Rand avait besoin de ces girouettes.

Prends les ronces à pleines mains, et tu te piqueras…, songea-t-il.

Enfin, il espérait que cette pensée venait de lui…

Sulin, la Promise aux cheveux blancs qui dirigeait l’escorte personnelle de Rand – et toutes les Far Dareis Mai, de ce côté de la Colonne Vertébrale du Monde – sortit de sa bourse une couronne d’or de Tar Valon et la lança avec une grimace qui tira sur la méchante balafre qui lui zébrait une joue. Les Promises de la Lance détestaient que Rand manie une épée, même en bois. Comme tous les Aiels, elles exécraient ces armes…

Crâne-Rasé rattrapa la pièce au vol et salua Sulin d’un hochement de tête prudent. Avec les Promises, tout le monde se montrait prudent. Vêtues d’ocre pour se confondre avec le paysage désolé de leur désert, elles avaient pour certaines ajouté un peu de vert à leur tenue afin de s’adapter à ce qu’elles nommaient les terres mouillées. Malgré la sécheresse, ces régions, comparées à la Tierce Terre, restaient de fait humides. Avant de suivre Rand de l’autre côté du Mur du Dragon, très peu d’Aiels avaient jamais vu un cours d’eau qui ne pouvait pas s’enjamber quasiment sans y penser. Chez eux, des querelles sanglantes avaient lieu à cause de mares de deux ou trois pas de large.

Comme tous les guerriers aiels, et à l’instar des vingt autres Promises présentes dans la cour, Sulin avait les cheveux coupés court, à l’exception d’une queue-de-cheval. Armée de trois courtes lances, elle serrait une rondache dans sa main gauche et un coutelas pendait à sa ceinture. Suivant l’exemple de tous les combattants aiels – même ceux de l’âge de Jalani, une Promise de seize ans encore joufflue comme une fillette – Sulin maniait toutes ses armes à la perfection et elle en faisait usage à la moindre provocation – en tout cas, selon la façon de voir des habitants des « terres mouillées ».

À part leur chef, les autres Promises surveillaient tout le monde, que ce soit dans la cour, au milieu des colonnes, ou sur le balcon qui en faisait le tour. Certaines avaient encoché une flèche sur leur arc de corne, d’autres projectiles attendant dans le carquois qu’elles portaient sur une hanche. À leur manière, parfois assez particulière, les Promises de la Lance étaient garantes de l’honneur du Car’a’carn. Pour Rand, elles étaient toutes prêtes à donner leur vie.

Une idée qui retournait l’estomac du jeune homme.

Sulin continua à distribuer des couronnes – Rand adorait payer ses dettes en monnaie de Tar Valon – en lançant une deuxième à Crâne-Rasé, puis une seule à chacun des quatre autres escrimeurs. Au moins autant que des épées, les Aiels se défiaient de presque tous les habitants des terres mouillées. Et en général, de toute personne qui n’était pas née et n’avait pas grandi parmi eux. Bien qu’il eût du sang aiel, Rand aurait dû entrer dans cette catégorie. Mais il y avait les Dragons, sur ses avant-bras. Un seul, gagné au péril de sa vie, permettait d’identifier un chef de tribu. Deux, c’était la marque du Car’a’carn, le chef de tous les chefs. Celui qui Vient avec l’Aube… Et les Promises avaient d’autres raisons encore de l’estimer…

Après avoir récupéré leurs épées de bois, leurs chemises et leurs manteaux, les cinq hommes saluèrent Rand.

— Demain ! leur lança le jeune homme tandis qu’ils se retiraient déjà. Très tôt !

Alors que les escrimeurs sortaient, les nobles jaillirent de la colonnade comme une marée de soie colorée et entourèrent Rand, certains se tamponnant le visage avec un mouchoir de dentelle, tant ils crevaient de chaud. Rien que de les voir, Rand sentit la bile lui remonter dans la gorge.

Fais flèche de tout bois, ou laisse les Ténèbres s’abattre sur le monde…

Le leitmotiv de Moiraine, formulé diversement selon les circonstances, quand elle était encore à ses côtés. Pourtant, Rand préférait encore la franche hostilité des Cairhieniens ou des Teariens à l’hypocrisie de ces Andoriens. Chez eux, il n’y avait décidément rien de franc, même si on cherchait longtemps.

— Vous avez été merveilleux, souffla Arymilla en posant une main sur le bras de Rand. Si fort et si rapide…

Ses grands yeux marron plus admiratifs encore qu’à l’accoutumée, cette idiote semblait croire dur comme fer qu’il était sensible à ses charmes. Sa robe verte brodée de feuilles de vigne argentées était audacieusement coupée, selon les critères andoriens. En d’autres termes, elle dévoilait l’ombre de l’ombre d’un décolleté. Plutôt jolie, Arymilla avait cependant largement l’âge d’être la mère de Rand. Parmi les dames, aucune n’était plus jeune – certaines étant même plus vieilles –, mais ça ne les empêchait pas de papillonner autour de lui.