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Brusquement, l’Ogier cessa de marcher de long en large.

— Vous avez dit Erith ?

Rand acquiesça. Perrin semblait s’être remis, mais il regardait l’Ogier avec un amusement mêlé d’une bonne dose d’agacement.

— Erith, fille d’Iva fille d’Alar ?

Rand acquiesça de nouveau.

— Je la connais, fit Loial en se laissant tomber de nouveau sur le muret. Tu dois t’en souvenir, Rand. Nous l’avons rencontrée au Sanctuaire Tsofu.

— C’est bien ce que j’essayais de te dire, fit Rand, franchement amusé. C’est celle qui t’a trouvé très beau et qui t’a offert une fleur, si je ne me trompe pas.

— C’est possible, mais moi, je n’en ai aucun souvenir, mentit Loial.

Mais il posa une main sur sa poche droite pleine à craquer de livres – dont celui où il avait mis cette fleur à sécher, Rand aurait parié sa chemise là-dessus.

Loial se racla la gorge – de quoi faire vibrer les murs.

— Erith est très belle. Plus belle que toutes les Ogiers que j’ai vues… Et très intelligente. Elle a écouté avec attention quand je lui ai expliqué la théorie de Serden – je veux dire Serden, fils de Kolom fils de Radlin, un auteur dont l’œuvre remonte à six siècles – sur la façon dont les Chemins…

Loial s’interrompit, comme s’il venait seulement de remarquer les sourires de ses amis.

— Bref, elle m’a écouté. Avec intérêt, je dois dire.

— Je n’en doute pas…, fit Rand, conciliant.

La mention des Chemins l’incita à réfléchir. La plupart des Portails qui y donnaient accès se trouvaient près des Sanctuaires, et s’il fallait en croire l’Ancien Haman et sa mère, Loial avait vitalement besoin d’un Sanctuaire. Bien entendu, il devrait transporter Loial à l’abord d’un Sanctuaire, pas à l’intérieur, puisqu’on ne pouvait pas y canaliser le saidin.

— Loial, je voudrais placer des sentinelles devant tous les Portails, et il me faut quelqu’un qui sache les localiser, pour commencer, mais qui soit aussi capable de demander la permission aux Anciens.

— Par la Lumière ! s’écria Perrin.

Il vida le fourneau de sa pipe en le tapotant contre le talon de sa botte puis écrasa les cendres sous sa semelle.

— Rand, tu envoies Mat se débattre contre des Aes Sedai, tu veux que j’aille affronter Sammael avec à mes côtés quelques centaines d’hommes de Deux-Rivières dont tu connais un certain nombre, et maintenant, tu expédies Loial au loin alors qu’il vient juste d’arriver. Que la Lumière te brûle ! Regarde-le, il a besoin de repos ! Tu voudrais utiliser quelqu’un d’autre ? Peut-être envoyer Faile traquer Moghedien et Semirhage ? Par le sang et les cendres !

La colère bouillonna en Rand, le faisant trembler. Les yeux jaunes de Perrin le dévisageaient sombrement, mais son propre regard lança des éclairs.

— J’utilise qui bon me semble, parce qu’il le faut. Tu l’as dit toi-même, Perrin : je suis ce que je suis. Et je m’utilise aussi, mon vieux, parce que j’y suis contraint. C’est pareil que pour les autres. Nous n’avons plus le choix, comprends-tu ? Ni toi, ni moi, ni quiconque en ce monde.

— Rand, Perrin, du calme…, souffla Loial. Ne vous battez pas. Surtout pas vous ! (Avec ses énormes battoirs, il tapota l’épaule de chacun de ses amis.) Vous devriez tous les deux prendre un peu de repos dans un Sanctuaire. C’est très bon pour les nerfs…

Rand défia Perrin du regard, et son ami lui rendit son défi. La colère était toujours là, tels des éclairs dans un ciel d’orage, et rien ne l’éteindrait. À l’arrière-plan, Lews Therin continuait à marmonner comme un dément.

— Je suis désolé, souffla Rand, parlant en son nom et en celui de son invité permanent.

Perrin eut un geste désinvolte. Voulait-il dire qu’il n’y avait rien à excuser, ou qu’il acceptait le « repentir » de Rand ? En tout cas, de son côté, il n’exprima aucun regret. En revanche, il tourna de nouveau la tête vers l’arche par où était arrivé Loial. Une fois encore, un peu de temps passa avant que Rand entende lui aussi des bruits de pas.

Min déboula dans la cour comme un cheval lancé au galop. Ignorant Perrin et Loial, elle prit Rand par les poignets.

— Elles viennent ! s’écria-t-elle. Elles sont déjà en chemin.

— Du calme, Min, dit Rand. Je commençais à croire qu’elles étaient toutes clouées au lit comme… Demira, c’est bien le nom que tu m’as dit ?

À dire vrai, le jeune homme éprouvait un profond soulagement – et tant pis si Lews Therin s’agitait de plus belle depuis que Min avait mentionné les Aes Sedai. Trois jours durant, Merana était venue avec deux de ses collègues – chaque après-midi, avec une régularité digne du chef-d’œuvre d’un horloger. Cinq jours plus tôt, ces visites avaient brusquement cessé sans un mot d’explication. Min ignorait pourquoi. Rand, lui, s’était demandé si ses restrictions n’avaient pas incité les sœurs à repartir.

Le regard voilé par l’angoisse, Min tremblait comme une feuille.

— Écoute-moi ! Rand, elles sont sept, pas trois, et elles ne m’ont pas envoyée te demander l’autorisation, ni même t’informer de leur venue. Je me suis éclipsée, et j’ai forcé Rose Sauvage à galoper ventre à terre. Les sœurs ont l’intention d’être entrées au palais avant même que tu aies conscience qu’elles arrivent. J’ai surpris une conversation entre Merana et Demira. Elles veulent être dans le hall d’honneur avant toi, afin que tu te présentes devant elles.

— C’est ce qu’annonçait ta vision ? demanda Rand.

Des femmes capables de canaliser blesseraient grièvement le Dragon Réincarné, selon Min.

Sept ! gémit Lews Therin. Non ! Non ! Non !

Rand l’ignora. Qu’aurait-il pu faire d’autre ?

— Je n’en sais rien !

À sa grande surprise, Rand s’avisa que des larmes faisaient briller les yeux de son amie.

— Si je le savais, tu crois que j’en ferais mystère ? Elles viennent, en tout cas, et…

— Et il n’y a rien à craindre, coupa Rand.

Pour que Min pleure, il fallait que les Aes Sedai lui aient flanqué une sacrée frousse.

Sept ! couina Lews Therin. Je ne peux pas en maîtriser sept à la fois !

Rand songea à la figurine du petit homme replet, dans sa poche. Un angreal… Aussitôt, la voix devint presque inaudible, mais sans paraître apaisée pour autant.

Au moins, Alanna n’était pas dans le lot. Rand la sentait, assez loin de lui. Elle ne se déplaçait pas – en tout cas, pas dans sa direction. Une chance, parce qu’il n’était pas sûr d’être en état de l’affronter.

— Cela dit, il n’y a pas de temps à perdre ! Jalani !

La jeune Promise sortit si brusquement de derrière une colonne que les oreilles de Loial se redressèrent de surprise. Semblant s’apercevoir enfin de la présence de l’Ogier et de Perrin, Min sursauta.

— Jalani, dis à Nandera que je vais dans le hall d’honneur, où je recevrai bientôt des Aes Sedai.

La Promise tenta de rester impassible, mais un sourire satisfait se dessina sur ses lèvres, rendant encore plus rondes ses joues de fillette.

— Car’a’carn, Beralna est déjà partie prévenir Nandera.

En entendant le titre qu’utilisait Jalani, Loial sursauta de nouveau.

— Dans ce cas, veux-tu bien dire à Sulin de me retrouver dans les vestiaires, derrière le hall d’honneur ? Qu’elle m’apporte ma veste et mon sceptre.

Le sourire de Jalani s’élargit.

— Malgré sa robe des terres mouillées, Sulin est déjà en chemin, courant aussi vite qu’un lièvre à museau gris qui s’est assis sur des épines de segade.