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— Dans ce cas, dit Rand, qu’on amène mon cheval dans le hall d’honneur.

La jeune Promise en resta bouche bée – et voir Perrin et Loial pliés en deux de rire n’arrangea rien à sa confusion.

Min flanqua un coup de poing dans les côtes de Rand.

— Cette situation n’a rien de drôle, espèce de péquenaud débile ! Merana et les autres ont mis leur châle comme si elles revêtaient une armure. Bien, écoute-moi ! Je vais me poster d’un côté du hall, derrière les colonnes, pour que tu puisses me voir, mais elles non. Si je capte quelque chose, je te ferai un signe et…

— Tu vas rester ici avec Loial et Perrin, coupa Rand. Je ne vois pas quel genre de signe tu pourrais faire pour que je comprenne quelque chose de compliqué. En revanche, si ces femmes t’aperçoivent, elles sauront que tu m’as averti.

Min plaqua les mains sur ses hanches et eut un de ces regards féminins censés foudroyer un interlocuteur sur place.

— Min !

Contre toute attente, la furie capitula et soupira :

— Oui, Rand…

Un véritable agneau. Venant d’elle, c’était trop beau pour être vrai. Un peu comme quand Elayne ou Aviendha faisaient ce coup-là. Mais s’il voulait être dans le hall d’honneur avant Merana, Rand n’avait pas le temps de s’appesantir sur la question. En espérant avoir l’air moins confus qu’il l’était, il hocha simplement la tête.

Non sans se demander s’il n’aurait pas dû prier Perrin et Loial de « veiller » sur Min – elle aurait adoré ça ! –, le jeune homme remonta une série de couloirs en direction des fameux vestiaires. Sur ses talons, Jalani marmonnait entre ses dents au sujet du cheval – apparemment, elle avait du mal à déterminer si c’était une plaisanterie ou non.

Sulin attendait Rand avec une veste rouge brodée de fil d’or et le Sceptre du Dragon. Le moignon de lance semblait trouver grâce à ses yeux, même si elle l’aurait préféré sans le gland vert et blanc, sans ornements sculptés et avec une hampe digne de ce nom.

Rand s’assura que le ter’angreal était bien dans sa poche. Cette vérification faite, il se sentit mieux, même si Lews Therin était toujours aussi anxieux.

Quand il entra enfin dans le hall d’honneur, Rand s’avisa que Sulin n’avait pas été la seule à faire montre de diligence. Sur un côté de l’estrade où reposait le trône, Bael était déjà en place, et Melaine, en face de lui, tirait calmement sur son châle sombre. Un genou en terre, une bonne centaine de Promises armées jusqu’aux dents avaient bouclé le périmètre sous l’œil vigilant de Nandera. Bien entendu, toutes étaient voilées. Alors que Jalani allait rejoindre ses sœurs, Rand vit que d’autres Aiels – des guerriers et des Promises – se pressaient au milieu des colonnes. Ceux-là ne portaient en guise d’arme que le couteau accroché à leur ceinture.

Beaucoup d’Aiels étaient plus que moroses. À l’évidence, l’éventualité d’une confrontation avec les Aes Sedai les déprimait, et pas parce qu’ils redoutaient le Pouvoir. Même si Melaine et les autres Matriarches disaient désormais pis que pendre des sœurs, les Aiels, dans leur immense majorité, gardaient en mémoire leur antique dette vis-à-vis des Aes Sedai, qu’ils n’avaient pas su servir comme ils l’auraient dû.

Sa femme et lui étant dans un des camps d’entraînement, Bashere n’était pas là, et on ne voyait pas l’ombre d’un noble andorien. Pourtant, Rand aurait juré que Naean, Elenia, Lir et compagnie savaient depuis presque aussi longtemps que lui qu’une audience allait avoir lieu. Sauf quand il les chassait, ils n’en rataient pas une, ces vautours ! Leur absence ne pouvait donc avoir qu’une explication. En chemin pour le hall d’honneur, ils avaient appris l’identité des visiteuses du Dragon Réincarné. Donc, les Aes Sedai étaient déjà sur place.

De fait, dès que Rand fut assis sur son trône, le sceptre sur les genoux, maîtresse Harfor entra dans la salle avec un air affolé hautement habituel chez elle.

— J’ai envoyé des domestiques vous chercher un peu partout, dit-elle en regardant autour d’elle avec des yeux ronds. Des Aes Sedai…

La pauvre femme ne put pas en dire plus. Sept Aes Sedai venaient de franchir d’un pas décidé les grandes portes du hall.

Lews Therin tenta de se connecter au saidin tout en touchant le ter’angreal. Rand l’en empêcha, s’emparant du torrent de feu et de glace du Pouvoir et le serrant au moins aussi fort que le moignon de hampe de son sceptre.

Sept ! grogna Lews Therin. J’ai dit « trois », et voilà qu’elles viennent à sept. Je vais devoir être prudent.

C’est moi qui ai dit « trois » ! riposta Rand. Moi, Rand al’Thor !

Lews Therin se tut un instant, puis il recommença à murmurer.

Maîtresse Harfor regarda Rand, puis les sept sœurs, et sembla décider qu’être au milieu ne serait pas judicieux. Après s’être inclinée à l’intention des Aes Sedai, elle salua Rand et se dirigea vers la porte d’une démarche calme et digne. Se faufilant derrière les Aes Sedai, qui avançaient en ligne, elle sortit sans demander son reste – mais sans trahir pour autant son angoisse.

À chacune de ses trois visites, Merana était accompagnée de deux sœurs différentes. Sur les six qui l’escortaient aujourd’hui, Rand en reconnut cinq. Sur la droite de la ligne de sœurs se tenait Faeldrin Harella, ses cheveux noirs tressés ornés d’une multitude de perles colorées. En robe et en châle blancs, Valinde Nathenos s’était campée à l’extrémité gauche de la ligne.

Toutes ces femmes portaient la couleur de leur Ajah. Du coup, Rand devina qui était celle qu’il ne connaissait pas. Avec sa peau cuivrée, la sœur vêtue de marron ne pouvait être que Demira Eriff, soit la femme alitée, à en croire Min. Mais elle se tenait au centre de la ligne, un pas en avant des autres, alors que Merana avait pris place entre Faeldrin et Rafela Cindal, une sœur rondelette au visage joufflu qui semblait encore plus grave que lors de sa première visite, six jours plus tôt.

Toutes les sœurs affichaient une expression sinistre, à vrai dire.

Elles s’immobilisèrent un instant, regardant Rand sans accorder la moindre attention aux Aiels. Puis elles avancèrent. D’abord Demira, puis Seonid et Rafela, suivies de Merana et Masuri afin de former une sorte de tête de flèche pointée sur le Dragon Réincarné.

Rand n’eut pas besoin de sentir sa peau picoter pour deviner que les sept sœurs s’étaient unies au saidar. Avec chaque pas, elles paraissaient grandir d’au moins une tête.

Elles croient m’impressionner en tissant un Miroir des Brumes ? fit Lews Therin, incrédule, avant d’éclater d’un rire de dément.

Rand n’avait aucun besoin des explications de cet homme. Un jour, il avait vu Moiraine tisser exactement la même chose. Plus tard, Asmodean lui avait parlé d’une Illusion, et également du « Miroir des Brumes ».

Melaine tira nerveusement sur son châle et eut un soupir sonore. Bael, lui, afficha soudain la détermination d’un homme qui affronte seul la charge de cent ennemis. Un homme décidé à résister, certes, mais peu optimiste sur ses chances de réussir. Quelques Promises firent mine de bouger, mais Nandera les foudroya du regard. Derrière les colonnes, les autres Aiels aussi s’agitaient nerveusement.

Demira Eriff prit la parole, sa voix à l’évidence amplifiée par un tissage semblant venir de partout à la fois.

— Dans ces circonstances très particulières, nous avons décidé que je parlerais au nom de nous toutes. En ce jour, nous ne te voulons aucun mal, Rand al’Thor, mais les restrictions que nous avons acceptées afin que tu te sentes en sécurité ne nous limiteront plus, car nous les rejetons. À l’évidence, tu n’as jamais appris à témoigner aux Aes Sedai le respect qu’elles méritent. Eh bien, tu vas devoir changer ça ! En conséquence, nous sommes désormais libres de nos mouvements, et c’est uniquement par égard envers toi que nous t’avertirons quand il nous viendra l’envie de te parler. Les Aiels que tu as postés autour de notre auberge doivent se retirer sur-le-champ, et personne ne sera plus autorisé à nous surveiller ou à nous suivre. Toute injure future qui nous sera faite donnera lieu à une punition. Les coupables n’étant guère plus que des enfants, c’est toi qui seras responsable de leur souffrance. Voilà comment sont les choses, et comment elles seront. N’oublie plus jamais que nous sommes des Aes Sedai.