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Perrin et Faile entreprirent d’emballer rapidement quelques affaires. Après avoir conversé par gestes, Bain et Chiad annoncèrent qu’elles voulaient accompagner leur amie. Aussitôt, Gaul déclara qu’il ne voulait pas laisser son ami. Rand ne saisit pas ce qui se passait entre les trois Aiels, mais il remarqua que Gaul évitait de regarder les deux Promises, qui lui rendaient ostensiblement la pareille.

Loial sortit au pas de course en marmonnant entre ses dents que Cairhien était beaucoup plus loin de Deux-Rivières que Caemlyn, mais que sa mère était une marcheuse infatigable.

Quand il revint, l’Ogier portait sous un bras un gros baluchon pas vraiment terminé et sur une épaule des sacoches de selle d’où dépassaient des poignets de chemises et des pointes de chaussettes.

Sulin s’éclipsa aussi pour revenir avec un baluchon qui semblait composé d’une bonne dizaine de livrées rouge et blanc. Sans se départir de l’expression soumise qui lui allait si mal, elle rappela à Rand qu’elle avait pour mission de les servir, lui, Perrin et Faile, et qu’il fallait être un lézard au cerveau brûlé par le soleil pour croire qu’elle pouvait le faire en restant à Caemlyn alors qu’ils seraient à Cairhien. Elle ajouta un « seigneur Dragon » qui sonnait comme un juron, puis se fendit d’une révérence – pour une fois, sans manquer se casser la figure. Un exploit dont elle parut très fière.

Nandera arriva en même temps que maîtresse Harfor, les bras lestés d’une écritoire et d’assez de feuilles de parchemin et de cire à cacheter pour cinquante lettres. Ce qui se révéla plutôt judicieux.

Perrin écrivit un petit mot à l’intention de Dannil Lewin pour lui dire de le suivre avec la totalité des hommes de Deux-Rivières. Pas question d’en laisser un seul entre les griffes des Aes Sedai ! Il voulut ordonner aussi à Dannil d’aller chercher Bode et les autres filles logées au Molosse de Culain, mais il y renonça quand Rand et Faile lui firent remarquer deux choses. Primo, les Aes Sedai ne les laisseraient sûrement pas partir. Secundo, il était probable que les futures novices refusent de suivre Dannil.

Perrin ayant été plusieurs fois voir les filles avec sa femme, il dut admettre qu’elles semblaient toutes très avides de commencer leur formation d’Aes Sedai.

Faile rédigea hâtivement une lettre pour son père et une pour sa mère – afin qu’ils ne s’inquiètent pas, affirma-t-elle. Rand n’aurait su dire quelle missive s’adressait à qui, mais il remarqua que Faile, l’air crispée, eut besoin d’une dizaine de brouillons avant d’achever la première, alors qu’elle écrivit l’autre d’un trait en souriant comme une gamine. Si on le lui avait demandé, Rand aurait dit que ce message-ci était pour la mère de la jeune femme…

Min écrivit à un certain Mahiro, actuellement logé à La Couronne de Roses. Pour une raison mystérieuse, elle répéta au moins trois fois à Rand que c’était un « vieux type ». En rougissant un peu plus à chaque occasion…

Après quelques hésitations, Loial aussi saisit une plume – la sienne, dimensionnée pour ses battoirs. Quand il eut fini d’écrire, il cacheta sa missive et la confia à maîtresse Harfor en demandant humblement qu’elle veuille bien la remettre en main propre à son destinataire, si elle en avait l’occasion. Un pouce aussi large qu’une saucisse couvrait à moitié le nom du fameux destinataire – écrit en caractères ogiers et humains – mais grâce au Pouvoir qui amplifiait ses sens, Rand put lire clairement le nom d’« Erith ». Un destinataire, vraiment ? Cela dit, l’Ogier ne montra aucun signe de vouloir attendre sa future épouse pour lui remettre lui-même la lettre.

Les exercices d’écriture de Rand se révélèrent aussi pénibles que ceux de Faile – le premier, en tout cas – mais pour des raisons différentes. La sueur qui ruisselait de son front diluait l’encre et sa main tremblait tant qu’il dut s’y reprendre à plusieurs fois à cause de gros pâtés. Cependant, il n’eut pas la moindre hésitation sur le contenu de ses textes.

À Taim, il adressa un vibrant avertissement au sujet des treize Aes Sedai et lui ordonna de nouveau de se tenir loin de toutes les sœurs. À Merana, il réserva une autre sorte d’avertissement et une invitation assez perfide. Tenter de se cacher n’aurait servi à rien, puisque Alanna pouvait le trouver où qu’il soit. Mais la partie, tant que possible, devrait se dérouler selon ses règles.

Quand il cacheta enfin ses plis – la présence d’un sceau de jade représentant un dragon valut à maîtresse Harfor un regard insistant qu’elle soutint avec une parfaite impassibilité – Rand se tourna vers Nandera :

— Tes vingt Promises attendent dehors ?

— Vingt ? Ton message disait « toutes les Promises qu’elle voudra emmener ». Tu parlais aussi de ne pas revenir ici. Cinq cents Promises attendent de partir, et il y en aurait plus si je n’avais pas mis une limite.

Rand hocha simplement la tête. Dans son esprit, il n’entendait que ses propres pensées, mais il sentait Lews Therin, infiltré dans le Vide avec lui, aux aguets comme un félin.

Quand Rand eut fait traverser un portail à tout son petit monde – destination la pièce spéciale de Cairhien – puis l’eut refermé derrière lui, réduisant sa perception d’Alanna au vague sentiment qu’elle était quelque part à l’ouest, Lews Therin daigna ne plus se manifester. Comme s’il s’était endormi, épuisé d’avoir tant lutté contre Rand. Lorsque celui-ci se coupa du saidin, il mesura à quel point cet affrontement l’avait également vidé de ses forces. Au point que Loial dut le porter jusqu’à ses appartements du Palais du Soleil.

Assise à côté de la fenêtre du grand salon, Merana posa la lettre de Rand al’Thor sur ses genoux. À force de la lire, elle la connaissait par cœur.

Le texte commençait par un « Merana » déjà insultant en soi. Pas « Aes Sedai Merana », ni même « Merana Sedai »… Et ce tutoiement…

« Merana,

Un ami m’a dit un jour que dans la plupart des jeux de dés, le nombre “treize” porte autant malchance que de tirer la combinaison appelée les Yeux du Ténébreux. Je pense aussi que “treize” est un nombre attaché au malheur. Sache que je pars pour Cairhien. Si tu veux me suivre, libre à toi, à condition que cinq autres sœurs au maximum t’accompagnent. Ainsi, tu seras à égalité avec la délégation de la Tour Blanche. Si tu viens avec plus d’Aes Sedai, sache que je serai très mécontent. Surtout, ne t’aventure pas à faire de nouveau pression sur moi. En matière de confiance, je ne dispose plus de grandes réserves.

Rand al’Thor
Le Dragon Réincarné »

Sur la fin, la plume appuyait si fort qu’elle avait presque traversé le parchemin. Du coup, les deux dernières lignes semblaient avoir été écrites par quelqu’un d’autre.

Merana ne desserra pas les lèvres. Pourtant, elle n’était pas seule. Les autres membres de la délégation – si ce nom avait encore un sens – avaient pris place dans des fauteuils autour de leur chef. Toutes semblaient surexcitées, à part Berenicia. Détail des plus agaçants, elle se tenait exactement dans la même position que Merana, ses mains potelées posées sur les genoux, et ne desserrait pas non plus les lèvres, sauf quand on s’adressait à elle.

Assise bien droite, Faeldrin parlait d’abondance, tout comme Masuri et Rafela. À peine moins exubérante, Seonid se tenait au bord de son siège et affichait un sourire déterminé. À l’image de Valinde, les autres dissimulaient leur agitation sous un masque de placidité. Il ne manquait que Verin et Alanna, que des Champions étaient partis chercher. Debout au milieu de la pièce, Kiruna et Bera ne pouvaient pas passer inaperçues.