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— Comment sais-tu qu’il n’a pas tué Moiraine ? intervint Bera. On dit bien qu’il a abattu Morgase…

— Nous avons entendu une foule de rumeurs sur la mort de Moiraine, dit Kiruna. Certaines prétendent qu’elle a péri en affrontant Lanfear. Mais le plus souvent, elles disent qu’elle était seule avec al’Thor au moment de sa mort.

Non sans effort, Merana parvint à s’empêcher de répondre. Si elle lâchait la bonde à ses instincts les plus profonds, elle ne réussirait plus à se taire.

— Quand vous êtes arrivées, toutes les deux, les opérations étaient en bonne voie. Je sais que votre venue est le fruit du hasard – de toute façon, n’aviez-vous pas mission de trouver al’Thor ? – mais elle a porté notre nombre à treize. Quel homme capable de canaliser ne fuirait pas à toutes jambes en apprenant la présence de treize Aes Sedai dans la ville où il réside ? Si nos plans ont échoué, Bera et Kiruna, c’est à cause de vous, nul ne saurait le nier.

Maintenant, il ne restait plus qu’à attendre. Si elle avait repris l’ascendant moral, ça se verrait très vite…

— Tu as fini ? demanda froidement Bera.

Encore plus brutale, Kiruna se tourna vers les autres sœurs :

— Faeldrin, si tu le veux bien, tu viendras avec nous à Cairhien. Vous deux aussi, Masuri et Rafela.

Merana froissa la lettre pliée dans son poing.

— Vous ne comprenez rien ? cria-t-elle. Vous parlez comme si nous pouvions continuer comme avant. Mais il y a une délégation d’Elaida à Cairhien. Des émissaires de la Tour Blanche – et c’est comme ça qu’al’Thor verra les choses. Nous avons besoin de lui plus qu’il a besoin de nous, et j’ai bien peur qu’il le sache !

Un instant, toutes les sœurs trahirent une intense stupeur, à l’exception de Verin, qui se contenta de hausser les épaules avec un petit sourire. « Nous avons besoin de lui plus qu’il a besoin de nous. » Un vrai choc ! Et pour savoir que c’était la stricte vérité, il n’était même pas nécessaire de se référer aux Trois Serments.

— Assieds-toi, Merana, dit sèchement Bera, et ressaisis-toi.

Merana s’avisa qu’elle s’était assise sans s’en apercevoir. Elle tremblait, mourant d’envie de hurler, mais elle se tenait sagement dans son fauteuil, les mains serrant la lettre d’al’Thor.

Kiruna lui tourna carrément le dos.

— Seonid, tu viendras aussi. Deux Champions de plus ne nous feront pas de mal. Et Verin sera aussi du voyage, je pense…

Verin acquiesça comme s’il s’agissait d’une requête.

— Demira, continua Kiruna, je sais que tu as des griefs contre al’Thor, mais il ne serait pas judicieux de le pousser de nouveau à la panique… De plus, il faut bien que quelqu’un conduise jusqu’à Salidar ce fabuleux contingent de filles de Deux-Rivières. Avec Valinde, Kairen et Berenicia, tu aideras Merana à s’acquitter de cette tâche.

Les quatre sœurs hochèrent docilement la tête. Merana, elle, ne broncha pas. La délégation ne s’était pas délitée, elle reposait carrément six pieds sous terre.

— Je…

Bera et Kiruna la regardant froidement, tout comme Masuri, Rafela et Faeldrin, l’ancienne chef du groupe hésita. Son autorité elle aussi n’était plus qu’un cadavre.

— Vous pourriez avoir besoin d’une sœur grise…, souffla Merana. Il y aura sûrement des négociations, et…

Inutile d’aller plus loin. Non, rien de tout ça ne serait arrivé si la tour avait été encore unie.

— Admettons que tu puisses être utile…, concéda Bera d’un ton si dédaigneux que Merana eut du mal à s’empêcher de rougir sous l’humiliation.

— Demira, tu accompagneras les jeunes filles à Salidar, récapitula Kiruna.

Pétrifiée, Merana espéra que le Hall de Salidar avait enfin choisi une Chaire d’Amyrlin. Une femme puissante dans le Pouvoir et dotée d’un cœur de lionne. Pour sauver la situation, il faudrait une nouvelle Deane ou une autre Rashima.

Pourvu qu’Alanna parvienne à guider la « délégation » jusqu’à al’Thor avant qu’il ait décidé de traiter avec Elaida. Dans le cas contraire, même une autre Rashima ne pourrait rien faire.

50

Des épines

Rand passa le reste de la journée dans ses appartements du Palais du Soleil. Pour l’essentiel, il se reposa dans son lit à baldaquin aux montants plus gros que ses jambes polis au point qu’ils luisaient entre les coins d’ivoire sculpté du meuble. Comme pour contraster avec les dorures de l’antichambre et du salon, tous les meubles de la chambre – pareillement anguleux – étaient en bois sombre et en ivoire.

Procédant par une série de raids, Sulin venait régulièrement redonner du volume aux oreillers de plume et ajuster les draps de lin sur son protégé. Râlant d’abondance parce que des couvertures posées sur le sol étaient selon elle plus saines, elle apporta à Rand une infusion qu’il n’avait pas demandée et une carafe de punch dont il ne voulait pas.

— Aux ordres de mon seigneur Dragon, marmonna Sulin quand il lui intima l’ordre de cesser son manège.

Elle se retira sur une révérence impeccable, marchant cependant vers la porte comme si elle avait l’intention de la traverser sans l’ouvrir.

Min resta aussi avec Rand. Assise au bord du lit, elle lui tint la main, le front plissé d’inquiétude, comme si elle redoutait qu’il exhale à tout moment son dernier soupir. Pour finir, le jeune homme la mit dehors afin de pouvoir enfiler une robe de chambre de soie grise qu’il avait toujours laissée au fond de son armoire jusque-là. En la cherchant, il tomba sur autre chose : un étui de bois contenant la flûte que lui avait offerte Thom Merrilin dans ce qui lui semblait désormais une autre vie.

Assis près d’une des hautes et étroites fenêtres, Rand tenta de jouer. Après une si longue interruption, il produisit plus de couacs et de silences que de notes. Bien entendu, cette cacophonie incita Min à venir voir ce qui se passait.

— Joue pour moi ! s’écria-t-elle en souriant de plaisir – ou peut-être de surprise.

Bien entendu, elle s’assit sur les genoux du jeune homme tandis qu’il s’efforçait sans grand succès d’interpréter un semblant de mélodie.

Amys, Bair, Sorilea et une dizaine d’autres Matriarches au moins firent irruption dans la chambre, surprenant les jeunes gens dans ce qui paraissait être une position compromettante. Rouge comme une pivoine, Min se leva d’un bond et tira frénétiquement sur sa veste, à croire que Rand et elle avaient été en train de disputer une rencontre de lutte.

Bair et Sorilea furent aux côtés de Rand avant qu’il ait pu dire « ouf ».

— Regarde à gauche, ordonna Sorilea. (Elle souleva la paupière du jeune homme et sonda son œil.) Et maintenant, à droite !

— Ton pouls est trop rapide, grogna Bair, deux doigts sur la carotide de Rand.

De toute évidence, dès que les genoux de Rand avaient cédé sous lui, Nandera avait envoyé une Promise prévenir les Matriarches. Ensuite, Sorilea avait dû transformer en une meute raisonnable la petite armée de Matriarches qui se précipitait vers le palais. Pour l’heure, malgré la présence de la doyenne, toutes les Aielles entendaient examiner le Car’a’carn. Quand Bair et Sorilea eurent fini, elles furent remplacées par Amys et Colinda, une femme mince aux yeux gris pénétrants qui se révéla presque aussi imposante que la doyenne, même si elle avait beaucoup moins de la moitié de son âge. Mais c’était également le cas d’Amys et de pas mal d’autres femmes présentes dans la chambre.