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Rand fut tâté, palpé, observé sous toutes ses coutures et traité de tête de pioche quand il refusa catégoriquement de sauter sur place. À première vue, ces femmes avaient réellement pensé qu’il le ferait…

Pendant que deux de leurs compagnes torturaient Rand, les autres Matriarches fondaient sur Min et la bombardaient de questions sur ses visions. Franchement surprise, pour employer un euphémisme, la jeune femme dévisagea les Aielles et Rand comme si elle craignait qu’on ait lu dans ses pensées.

Amys et Bair finirent par tout expliquer. Incapable de garder pour elle la prochaine naissance de ses jumelles, Melaine avait vendu la mèche. Cette fois, les yeux de Min faillirent jaillir de leurs orbites. Et elle n’était pas au bout de ses surprises. Car les Matriarches, y compris Sorilea, semblaient s’être rangées à l’avis de Melaine – le don de Min, quand on y réfléchissait, la mettait sur un pied d’égalité avec les dignes Aielles. Les Matriarches étant des Matriarches – exactement comme les Aes Sedai étaient des Aes Sedai –, Min dut répéter tout ce qu’elle dit presque autant de fois qu’elle avait d’interlocutrices, car celles qui s’occupaient de Rand, une fois leur tâche terminée, voulaient être certaines de n’avoir rien raté.

Quand Sorilea et compagnie eurent conclu à regret que Rand avait simplement besoin de repos, elles lui ordonnèrent d’en prendre, puis consentirent enfin à se retirer. Aussitôt qu’elles furent sorties, Min se réinstalla confortablement sur les genoux du jeune homme.

— Elles se parlent dans leurs rêves ? s’exclama-t-elle. Ça semble impossible, comme quelque chose qui sortirait d’une légende… (Elle fronça les sourcils.) Quel âge a Sorilea, selon toi ? Et Colinda ? J’ai vu… Non, ça n’avait aucun rapport avec toi. La chaleur m’affecte peut-être. Quand je sais, je sais toujours. Oui, ça doit être la chaleur…

Sur ces trois dernières phrases, fort mystérieuses, Min se pencha vers Rand, une lueur malicieuse dans le regard, et arrondit les lèvres comme si elle se préparait à un baiser.

— Si tu les mets comme ça sur le bec de la flûte, dit-elle alors que sa bouche touchait presque celle de Rand, tu t’en sortiras mieux. Dans le dernier morceau que tu jouais, certains passages ressemblaient presque au Coq dans le Gommier.

Alors que les yeux de Min emplissaient sa vision, Rand eut besoin d’un moment pour comprendre de quoi elle parlait. Quand il saisit enfin, il dut tirer une drôle de tête, car la jeune femme, morte de rire, s’abandonna contre sa poitrine.

Très peu de temps après, on apporta à Rand un message dans lequel Coiren s’enquérait de sa santé, lui souhaitait de ne pas tomber malade et lui demandait la permission de lui rendre visite avec deux de ses sœurs – pour le faire bénéficier de la guérison, s’il le désirait. Tandis que le jeune homme lisait cette lettre, Lews Therin s’agita comme s’il émergeait d’un profond sommeil, mais ses murmures agacés restèrent très loin de la quasi-démence dont il avait fait montre à Caemlyn. De plus, il parut se rendormir dès que Rand eut posé la lettre sur un guéridon.

La façon d’agir de Coiren était radicalement différente de celle de Merana ! En même temps, l’Aes Sedai rappelait subtilement à Rand qu’il ne pouvait rien se passer à midi au Palais du Soleil sans qu’elle en soit informée au crépuscule, voire plus tôt. Le jeune homme remercia poliment la sœur de sa sollicitude et lui opposa une fin de non-recevoir tout aussi courtoise. Debout ou couché, il se sentait toujours fatigué, et il entendait être en pleine possession de ses moyens quand il recevait une ou plusieurs Aes Sedai. Bien sûr, ce n’était pas la seule raison de son refus…

Dans sa réponse à Coiren, Rand demanda que Gawyn lui rende visite. Même s’il n’avait rencontré qu’une fois le frère d’Elayne, il l’avait trouvé sympathique. Hélas, le jeune homme ne vint jamais et ne répondit pas davantage. Le cœur serré, Rand dut conclure qu’il croyait les absurdes histoires au sujet de sa mère. Et il n’avait guère de façon de convaincre un fils de renoncer à de telles croyances, quand il s’y accrochait.

Cette affaire déprima tant Rand, dès qu’il s’autorisait à y penser, que Min elle-même avait tout le mal du monde à le dérider. Quant à Perrin et Loial, dès qu’ils voyaient leur ami sombrer dans la mélancolie, ils fuyaient à toutes jambes.

Une nouvelle requête de Coiren arriva trois jours après la première, tout aussi courtoise, et une autre suivit trois jours après. Chaque fois, Rand y répondit négativement. En partie à cause d’Alanna. S’il la sentait encore très loin de lui – une perception assez vague –, il n’en restait pas moins qu’elle se rapprochait à chaque instant. Ayant parié que Merana choisirait Alanna pour l’accompagner, le jeune homme ne s’en étonna pas. Cela dit, il avait l’intention bien arrêtée de la garder aussi loin que possible de lui. Mais il avait promis aux sœurs de Salidar qu’elles seraient sur un pied d’égalité avec celles de la tour, et il comptait tenir parole. Du coup, Coiren devrait patienter. De toute façon, il était occupé.

Pour commencer, une visite à l’école installée dans l’ancien palais de Barthanes se révéla beaucoup plus longue que prévu. Comme d’habitude, Idrien Tarsin attendait Rand à la porte pour lui montrer une nouvelle kyrielle d’inventions et de découvertes. Mais elle l’emmena aussi dans les ateliers où les nouveaux modèles de charrues, de herses et de moissonneuses étaient fabriqués en série afin d’être vendus. En soi, ça n’aurait pas été la source d’un grand retard, mais il y avait eu Herid Fel. Ou peut-être bien Min…

Ses pensées vagabondant comme d’habitude et sa langue les suivant dans leur errance, Fel avait une fâcheuse tendance à oublier la présence de la jeune femme. Une boulette qu’il avait répétée plus d’une fois. Mais dès que Rand parvenait à forcer l’érudit à se concentrer sur un point, voilà qu’il semblait remarquer Min, sursautant comme si elle venait d’arriver. Il se mettait alors à s’excuser pour la pipe à demi fumée qu’il ne se souvenait jamais de rallumer, époussetait frénétiquement la cendre tombée sur sa bedaine et lissait obsessionnellement ses cheveux gris clairsemés. Et Min paraissait trouver ça réjouissant. Assez surpris qu’une femme puisse être contente qu’on l’oublie, Rand fut encore plus étonné quand sa compagne embrassa Fel sur le sommet du crâne, juste avant qu’ils s’en aillent. L’érudit en resta sidéré, un spectacle assez amusant. Mais tout ça n’avait pas aidé Rand à en apprendre davantage sur ce que Fel avait trouvé au sujet des sceaux de la prison du Ténébreux ou à propos de l’Ultime Bataille.

Le lendemain de cette visite, un court message arriva sur un morceau de parchemin.

« La foi et l’ordre fournissent de la force. Avant que vous commenciez à construire, il faut déblayer les ruines. Vous aurez des explications lors de votre prochaine visite. Mais venez sans la jeune dame. Elle est trop jolie.

Fel »

Des mots écrits à la va-vite, la signature casée de justesse à l’endroit où on avait déchiré le parchemin. Bien entendu, Rand ne comprit pas un traître mot. Mais quand il tenta de contacter Fel, ce fut pour apprendre que l’érudit, pris d’un regain de jeunesse, s’en était allé à la pêche. La chaleur avait-elle fini par dessécher le cerveau de ce pauvre Fel ? Si Rand s’en inquiéta sérieusement, Min trouva le petit mot amusant. Elle demanda à Rand de le lui confier, et le jeune homme, plus d’une fois, la surprit à le relire en souriant.

Que le cerveau de Fel se soit desséché ou non, Rand décida qu’il n’emmènerait effectivement pas Min la prochaine fois. Mais à vrai dire, l’avoir à ses côtés ne dépendait pas de sa seule volonté, loin de là. Car elle passait plus de temps avec les Matriarches qu’avec lui. En tout cas, il en avait le sentiment, et pour une raison inconnue, ça l’agaçait au plus haut point. Par exemple, lorsque Min était dans le camp des Aielles, il avait tendance à se défouler sur tous les malheureux lui tombant sous la main. Pourtant, il valait mieux qu’elle ne soit pas trop souvent avec lui. Sinon, les gens s’en seraient aperçus, et les langues seraient allées bon train. À Cairhien, une ville où même les domestiques pratiquaient leur version du Grand Jeu, il aurait pu être dangereux pour elle qu’on la considère comme une personne importante.