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Oui, ses absences étaient une bonne chose. Non sans peine, Rand s’efforça de ne plus houspiller des innocents à cause de sa frustration.

S’il désirait la présence de Min, c’était bien sûr pour qu’elle scrute les nobles qui lui rendaient visite un par un afin de s’enquérir de sa santé – sans doute parce que sa défaillance, en arrivant de Caemlyn, était le sujet d’une foule de rumeurs. Souriant, ses visiteurs lui demandaient combien de temps il comptait rester à Cairhien, cette fois, et quels étaient ses plans – s’ils pouvaient se permettre, bien entendu ! Lassé par tous ces sourires hypocrites, Rand aurait pu trouver quelque réconfort dans la compagnie de Dobraine, qui tirait en permanence une tête d’enterrement. Mais avec le devant de son front rasé comme celui d’un soldat, les bandes horizontales de sa veste usées par la cuirasse qu’il ne portait pas au palais, ce seigneur était si morne – tout en posant exactement les mêmes questions – que Rand était presque aussi pressé de le voir partir que d’être débarrassé des autres.

Min parvint à assister à ces audiences, sans doute en les calant au milieu de ses mystérieuses activités avec les Matriarches. La nature de ces activités ? Quoi qu’il arrive, Rand n’avait aucune intention de s’en enquérir.

Le problème, en revanche, était de cacher la jeune femme quand il recevait un noble.

— Je pourrais faire semblant d’être ta favorite, plaisanta un jour Min. Je me collerais contre toi, te faisant gober des grains de raisin. Enfin, plutôt des raisins secs, en cette saison… Toi, tu m’appellerais « ma petite bouche sucrée comme du miel ». Ainsi, personne ne se demanderait ce que je fais là.

— Pas question !

— Tu crois que les Rejetés s’en prendraient à moi pour si peu ?

— C’est très possible… Un Suppôt des Ténèbres comme Padan Fain n’y manquerait pas, en tout cas. S’il est encore vivant… Min, je ne courrai pas ce risque. Et je ne veux pas que ces Cairhieniens à l’esprit tordu pensent que tu es une… Idem pour les Teariens, d’ailleurs…

Les Aiels ne voyaient pas les choses ainsi. Pour eux, les « taquineries » de Min étaient très amusantes.

La jeune femme, elle, se montrait d’humeur fluctuante. Sans crier gare, elle passait du plus profond sérieux à la jubilation, souriant alors presque en permanence.

Jusqu’au début des audiences, car après, tout changea…

L’idée de placer un paravent surchargé de dorures dans l’antichambre se termina par un fiasco. Dès qu’il vit avec quelle insistance Maringil évitait de regarder dans cette direction, Rand comprit que le seigneur mettrait sens dessus dessous le Palais du Soleil afin de savoir qui, ou quoi, se cachait derrière ce fichu paravent.

Le salon se révéla un meilleur choix, Min suivant l’audience par la porte entrebâillée de l’antichambre. Mais tous les visiteurs n’exhibèrent pas des auras ou des images pendant leur entrevue avec Rand. Et celles que vit Min, à ces occasions ou simplement en se promenant dans les couloirs, étaient hautement déprimantes.

Avec sa belle crinière blanche, sa minceur de lame et sa froideur de tous les instants, le seigneur Maringil succomberait au poison. Dame Colavaere, tellement soulagée lorsqu’elle avait appris qu’Aviendha n’était pas avec Rand, cette fois, finirait pendue. Quant à Meilan, si distingué avec sa barbe pointue et sa voix mielleuse, il périrait d’un coup de couteau.

L’avenir prélèverait un lourd tribut dans les rangs des Hauts Seigneurs de Tear. Selon Min, qui n’avait jamais vu tant de présages de mort parmi si peu de gens, Aracome, Maraconn et Gueyam étaient tous promis à une fin sanglante sur un champ de bataille.

Le cinquième jour passé à Cairhien, quand elle vit le visage du seigneur Gueyam couvert de sang, la jeune femme en fut si retournée que Rand la força à s’aliter puis demanda à Sulin d’apporter des linges humides, afin de les lui poser sur le front. Cette fois, ce fut le jeune homme qui s’assit au bord du lit et tint la main de son amie – qui la serra très fort.

Min ne renonça pas pour autant à ses « taquineries ». Les deux seules occasions où Rand pouvait être absolument sûr qu’elle serait présente étaient ses séances d’entraînement à l’épée ou au corps à corps. Quand il répétait les figures d’escrime avec quatre ou cinq des meilleurs combattants teariens ou cairhieniens, ou lorsqu’il affrontait Rhuarc ou Gaul à grand renfort de fauchages de jambes ou de coups de pied sautés, elle attendait qu’il ait fini, puis passait un index sur sa poitrine nue, plaisantant volontiers sur les bergers qui ne transpiraient pas à force de porter une toison aussi fournie que celle de leurs moutons. Parfois, elle touchait la cicatrice jamais vraiment guérie qui barrait un flanc de Rand. Mais là, elle procédait avec une touchante délicatesse, et sans ponctuer son geste d’une plaisanterie.

En revanche, elle pinçait volontiers les fesses de Rand, y compris en public, ce qui était pour le moins surprenant. Dès qu’elles voyaient le jeune homme sursauter, les Promises et les Matriarches en étaient pliées de rire. Quant à Sulin, elle semblait sur le point d’exploser à force de contenir son hilarité.

Ne désarmant jamais, Min s’installait sur les genoux de Rand à la moindre occasion et l’embrassait dès qu’elle pouvait. Elle alla même jusqu’à menacer de venir lui frotter le dos dans son bain, un de ces soirs. Et quand il fit mine d’en pleurnicher et d’en bégayer, elle éclata de rire et affirma que ça ne suffirait pas à la décourager.

En revanche, la jeune femme cessait son jeu dès qu’une Promise passait la tête par la porte pour annoncer une visite. En particulier s’il s’agissait de Loial – qui ne restait jamais beaucoup et passait son temps à parler de la bibliothèque royale – ou de Perrin, qui s’attardait encore moins et, inexplicablement, semblait de plus en plus fatigué. Plus que tout, Min s’écartait de Rand lorsque Faile accompagnait son mari ou l’Ogier. Les deux fois où ça se produisit, la jeune femme s’empara d’un des livres que Rand gardait dans sa chambre, s’assit au milieu du salon et fit semblant d’être occupée à lire depuis un bon moment.

Rand ne parvint pas à analyser le regard qu’échangèrent les deux femmes. On n’aurait pas pu parler d’hostilité, ni même d’animosité, mais si chacune avait dressé la liste des personnes qu’elle espérait voir le moins souvent possible, le nom de l’autre, Rand l’aurait juré, y aurait figuré en très bonne position.

Détail amusant, la seconde fois, Min avait jeté son dévolu sur le premier volume relié de cuir des Essais sur la Raison de Daria Gahand. Un ouvrage que Rand avait trouvé plutôt indigeste et qu’il comptait bien renvoyer à la bibliothèque grâce aux bons services de Loial. Continuant à lire après le départ de Faile, Min, en dépit de force grognements et froncements de sourcils, avait emporté le livre pour le continuer dans ses appartements d’invitée.

Si Min et Faile se battaient froid, l’amie de Rand et Berelain ne se déclarèrent pas ouvertement la guerre. Le deuxième après-midi, quand Somara annonça la visite de la Première Dame, Rand enfila sa veste, fila dans l’antichambre, grimpa sur l’estrade et s’assit dans son fauteuil à dorures. Puis il autorisa Somara à faire entrer la visiteuse.