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— Elles l’ont capturé ! gémit soudain Sulin, faisant sursauter tout le monde.

La tête inclinée en arrière, les yeux fermés, la servante adressa de lancinantes lamentations au plafond. Le son de sa voix glaça les sangs de Perrin.

— Les Aes Sedai ont capturé mon presque-frère !

Des larmes roulaient sur les joues de Sulin.

— Du calme, brave servante, dit Berelain. Passe dans l’autre pièce et ressaisis-toi. (Elle se tourna vers Perrin et Dobraine.) Nous ne pouvons pas la laisser ébruiter la nouvelle.

— Tu ne me reconnais pas, s’écria Sulin, parce que mes cheveux sont plus longs et parce que je porte une livrée ! Parle encore une fois de moi comme si je n’étais pas là, et je te ferai subir le sort que t’a réservé Rhuarc dans la Pierre de Tear, à ce qu’on dit. D’ailleurs, je me demande pourquoi il n’a pas recommencé.

Perrin échangea des regards confus avec Dobraine et Loial – et même avec Faile, avant qu’elle détourne les yeux. Berelain blêmit puis s’empourpra, l’odeur de l’humiliation remplaçant toutes les autres.

Sulin fonça vers la porte et l’ouvrit avant que quiconque ait pu esquisser un geste. Dobraine fit mine de la suivre, mais une jeune Promise qui passait dans le couloir vit la « servante » et eut un sourire amusé.

— Efface-moi ce sourire de tes lèvres, Luaine ! rugit Sulin.

Même si elles étaient cachées par son corps, quand on se trouvait dans la pièce, ses mains semblèrent bouger. Le sourire de Luaine se volatilisa.

— Dis à Nandera de venir ici le plus vite possible. Va aussi prévenir Rhuarc. Puis reviens avec un cadin’sor et une paire de ciseaux pour que je me coupe convenablement les cheveux. Cours, empotée ! Es-tu une Far Dareis Mai ou une Shae’en M’taal ?

La Promise blonde partit au pas de course. L’air satisfaite, Sulin se retourna vers Perrin et les autres tout en claquant la porte dans son dos.

Faile la dévisagea avec de grands yeux.

— La Grâce est avec nous, marmonna Dobraine. Elle n’a rien dit à l’Aielle. Cette femme doit être folle ! Après l’avoir ligotée et bâillonnée, nous déciderons de ce qu’il convient de révéler aux sauvages.

Le seigneur sortit un foulard de sa poche et avança vers Sulin, mais Perrin le retint par le bras.

— C’est une Aielle, Dobraine, dit Berelain. Une Promise de la Lance… Je ne comprends pas pourquoi elle porte une livrée.

Bizarrement, ce fut Berelain que Sulin foudroya du regard.

Perrin soupira très lentement. Dire qu’il avait eu l’intention de défendre contre Dobraine la « vieille femme aux cheveux blancs ». D’ailleurs, le Cairhienien brandissait toujours son foulard, l’air dubitatif. Apparemment, il était toujours pour la solution du bâillon et des liens.

Perrin se campa entre le seigneur et Sulin puis ramassa l’épée de Rand.

— Je veux être sûr, dit-il avant de s’aviser qu’il s’était dangereusement approché de Berelain.

La Première Dame regarda Sulin, l’air angoissée. Puis elle s’approcha de Perrin, comme si elle était en quête de protection. Mais son odeur évoquait la détermination, pas l’angoisse. Le musc d’une chasseresse.

— Je n’aime pas les conclusions hâtives, dit Perrin en se dirigeant vers le fauteuil de Faile.

Sans précipitation, comme un homme qui vient tout simplement se placer près de sa femme.

— En réalité, cette épée ne prouve rien.

Faile se leva et fit le tour de la table pour aller étudier le plateau de jeu par-dessus l’épaule de Loial – enfin, par-dessus son coude, plutôt, vu sa taille.

Berelain glissa imperceptiblement vers Perrin. Alors qu’elle continuait à regarder Sulin comme si elle la terrifiait, son odeur n’exprimait pas de peur. Levant une main, elle parut avoir l’intention de prendre Perrin par le bras. Faisant comme si de rien n’était, le jeune homme dériva vers Faile.

— Rand a dit que trois Aes Sedai ne pouvaient rien contre lui, s’il restait vigilant.

Faile repartit vers son fauteuil en passant par l’autre côté de la table.

— J’ai cru comprendre qu’il n’a jamais reçu plus de trois sœurs à la fois.

Berelain continua de mimer la peur, implorant Perrin du regard pour qu’il la prenne sous son aile.

— On m’a dit que trois sœurs seulement sont venues le jour de son départ.

Perrin accéléra un peu le pas pour rejoindre Faile. Alors qu’elle venait à peine de se rasseoir, la jeune femme se leva et retourna auprès de Loial, qui se tenait la tête à deux mains et gémissait doucement – pour un Ogier.

Berelain glissa un petit peu plus vite vers Perrin. On eût vraiment songé à une princesse en détresse. Mais il y avait cette odeur de détermination.

Se retournant, Perrin enfonça ses doigts tendus dans la poitrine de sa harceleuse, assez fort pour lui arracher un cri.

— Pas un pas de plus !

S’apercevant soudain de l’endroit où reposaient ses doigts, Perrin les retira comme s’il s’était brûlé.

— Reste où tu es ! lança-t-il d’une voix qui fort heureusement ne tremblait pas.

Il recula, son regard assez dur pour traverser un mur de pierre. Comme un nuage toxique, la jalousie de Faile lui emplissait les narines. Mais pourquoi sentait-elle surtout la souffrance ? Un chagrin accablant…

— Peu d’hommes sont capables de me plier à leur volonté, lança Berelain, presque taquine, mais je pense que tu es du lot !

Son visage, son ton et son odeur – le plus important – redevinrent graves.

— Je suis allée dans les appartements du seigneur Dragon parce que j’avais peur. Tout le monde sait que les Aes Sedai comptaient le ramener à Tar Valon, et leur brusque renoncement dépassait ma compréhension. J’ai reçu au moins dix visites de diverses sœurs soucieuses de me conseiller quoi faire lorsque Rand serait parti pour la tour avec elles. Ces femmes semblaient sûres que ça arriverait.

Berelain hésita. Même si elle ne regarda pas Faile, Perrin eut le sentiment qu’elle hésitait à dire quelque chose devant elle. En présence de Dobraine, aussi, mais très secondairement. L’odeur de chasseresse revint…

— J’en ai tiré plus que l’impression qu’on me voyait bien retourner à Mayene. Sous bonne escorte, si je ne le faisais pas spontanément.

Sulin marmonna entre ses dents, mais l’ouïe de Perrin lui permit de comprendre ce qu’elle disait.

— Rhuarc est un crétin… Si elle était vraiment sa fille, il devrait consacrer tout son temps à lui flanquer des roustes.

— Dix visites ? répéta Dobraine. Je n’en ai eu qu’une… Et j’ai cru voir que la sœur était déçue quand j’ai bien précisé avoir juré fidélité au Dragon Réincarné. Mais une ou dix, la clé, c’est Colavaere ! Comme tout le monde, elle sait que le seigneur Dragon destine le Trône du Soleil à Elayne Trakand… (Il fit la moue.) Elayne Damodred, voilà le nom qu’elle devrait porter. Taringail aurait dû insister pour que Morgase entre dans sa maison, plutôt que d’entrer lui-même chez les Trakand. Morgase avait assez besoin de lui pour obtempérer. Enfin, Trakand ou Damodred, elle est une solide prétendante au trône – bien plus solide que Colavaere, en tout cas. Pourtant, je reste convaincu que c’est Colavaere qui a fait assassiner Maringil et Meilan pour faciliter son chemin vers le trône. Sans être sûre que le seigneur Dragon ne reviendra pas, elle n’aurait pas pris ce risque.

— C’est donc le mobile…, fit Berelain, une ride de vexation sur le front. J’ai la preuve qu’elle a acheté une servante pour qu’elle verse du poison dans le vin de Maringil. Colavaere a été imprudente, et je me suis payé les services de deux bons pisteurs de voleurs… Mais il me manquait le mobile.

La Première Dame, flattée par le regard admiratif de Dobraine, hocha modestement la tête.