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Galina ayant senti une modification dans les flux qu’elle captait, elle se leva brusquement de son siège.

— Min, je reviendrai te parler quand tu auras eu le temps de réfléchir. Demande-toi combien de larmes un homme mérite qu’on verse.

Une fois hors de la tente, Galina s’adressa rudement au Champion qui montait la garde :

— Cette fois, fais ton travail proprement.

Carilo n’était pas de service lorsque s’était produit le détestable incident, la nuit précédente. Mais on faisait bien trop de cas de ces Champions ! En supposant que leur existence soit indispensable, il fallait les traiter comme des soldats, et rien de plus.

Ignorant le salut de Carilo, Galina s’éloigna, en quête de Gawyn. Depuis la capture d’al’Thor, le jeune homme s’était refermé sur lui-même et il ruminait des idées noires. Pas question qu’il sabote un plan génial en essayant de venger sa mère !

La sœur aperçut Gawyn à la lisière du camp. Monté sur son cheval, il conversait avec un petit groupe de ridicules blancs-becs – la Jeune Garde, comme ils s’appelaient eux-mêmes.

Aujourd’hui, la colonne avait dû s’arrêter très tôt et le soleil de l’après-midi projetait les longues ombres des tentes et des chariots installés près de la route. Des plaines et des collines basses entouraient le camp, de très rares bosquets rompant à intervalles irréguliers la monotonie du paysage. Avec leurs domestiques et leurs Champions, trente-trois Aes Sedai étaient venues s’ajouter aux six d’origine. Neuf appartenaient à l’Ajah Vert, treize seulement au Rouge, et les onze autres étaient toutes du Blanc. Tout ça faisait un camp de grande taille, même sans compter Gawyn et ses soldats.

Ayant capté la même chose que Galina, beaucoup de sœurs étaient sorties de leur tente ou avaient au moins passé la tête par le rabat. Tous les regards étaient braqués sur sept Aes Sedai. Alors que six d’entre elles étaient assises sur des tabourets autour d’un coffre cerclé de cuivre placé à un endroit où les rayons du soleil déclinant le bombardaient, la septième, Erian, se tenait non loin de là. Depuis qu’al’Thor y avait été enfermé, la veille, elle ne s’était jamais beaucoup éloignée du coffre.

Depuis le départ de Cairhien, le prisonnier avait été autorisé une seule fois à sortir de sa boîte. Mais Erian, selon Galina, entendait exiger qu’il y reste pendant tout le voyage.

La sœur verte fondit sur Galina dès qu’elle l’aperçut. En règle générale, Erian était plutôt agréable à regarder, avec son visage clair d’un ovale parfait. Mais là, rouge comme une pivoine – voilà presque vingt-quatre heures que ça durait –, elle faisait un peu pitié avec ses grands yeux noirs cernés de mauve.

— Il a encore tenté de traverser le bouclier, Galina…

La colère se mêlant au mépris – il fallait bien être un homme pour s’entêter ainsi ! –, la voix d’Erian avait une intonation bizarrement rauque.

— Il faut le punir de nouveau. Et je veux être celle qui le châtiera.

Galina hésita. Punir Min aurait été plus efficace, car ça contribuerait à briser al’Thor. La veille, il avait été furieux que Min soit châtiée pour son explosion de colère – provoquée par la punition qui avait été infligée au prisonnier…

Tout avait commencé quand al’Thor avait découvert la présence de Min dans le camp. La conséquence de l’irresponsabilité d’un Champion, qui avait permis à la jeune femme de se promener dans le noir au lieu de la contraindre à rester sous sa tente, comme il était convenu. Mais qui aurait pensé qu’al’Thor, isolé de la Source et entouré de sœurs, serait devenu fou ainsi ? Loin de s’en prendre seulement au bouclier, il avait tué un Champion à mains nues, en blessant un autre avec l’épée de sa victime. Un peu plus tard, le malheureux avait succombé malgré les efforts des Aes Sedai pour le guérir.

Rand avait fait ces dégâts pendant le bref laps de temps dont les sœurs avaient eu besoin pour récupérer de leur surprise et le neutraliser avec le Pouvoir.

Si ça n’avait tenu qu’à elle, Galina aurait réuni les autres sœurs rouges et apaisé al’Thor dès le début du voyage. Puisque c’était interdit, elle préférait tant qu’à faire le ramener en un seul morceau à la tour, au moins tant qu’il se montrait raisonnablement poli. L’efficacité étant sa principale préoccupation, elle penchait pour faire sortir Min de la tente afin qu’al’Thor l’entende gémir et pleurer – une torture pour lui, puisqu’il se saurait responsable de ses souffrances.

Par hasard, les deux Champions morts appartenaient à Erian. Du coup, les sœurs allaient sans doute estimer qu’elle avait le droit de se venger. Et Galina elle-même, à dire vrai, espérait que la sœur verte aux allures de poupée exorciserait sa fureur le plus tôt possible. La suite du voyage serait bien plus agréable si elle pouvait admirer ce joli visage quasiment de porcelaine.

Galina hocha pensivement la tête…

Rand cligna des yeux quand un flot de lumière pénétra dans le coffre. Hélas, il ne put pas s’empêcher de tressaillir. Pourtant, il savait ce qui l’attendait. Lews Therin, lui, se taisait et se tenait tranquille.

Alors qu’il se cramponnait au Vide par le bout des doigts, Rand eut quand même conscience de ses muscles douloureux lorsqu’on le releva de force. Serrant les dents, il tenta de ne pas plisser les yeux pour se protéger de ce qui semblait être une clarté aveuglante. Alors que sa chemise trempée de sueur collait à sa peau, il trouva l’air de l’extérieur délicieusement frais.

Aucun lien ne l’entravait. Pourtant, il n’aurait pas pu faire un pas, même si sa vie en avait dépendu. Si des tissages ne l’avaient pas tenu debout, il se serait écroulé.

Avisant la position déclinante du soleil dans le ciel, il put enfin estimer le temps qu’il avait passé dans ce coffre, la tête entre les genoux, à mariner dans sa sueur.

Mais l’astre du jour ne retint pas longtemps son attention, car ses yeux se rivèrent sur Erian, qui venait de se camper en face de lui. Les yeux brûlant de fureur, la petite et mince Aes Sedai l’étudia de la tête aux pieds, et il faillit tressaillir de nouveau. Comme la veille, Erian ne dit rien, mais passa à l’action.

Le premier coup invisible s’abattit en travers des épaules de Rand, le deuxième sur sa poitrine et le troisième à l’arrière de ses cuisses. Le Vide vola en éclats. De l’Air, ce n’était que de l’Air… Présenté ainsi, ça semblait moins douloureux. Mais chaque frappe équivalait à l’impact de la lanière d’un fouet manié par un bras plus puissant que celui de n’importe quel homme. Avant le début de cette séance, les stigmates de la précédente torturaient déjà Rand des épaules jusqu’aux genoux. Malgré le Vide, il les sentait bien plus vivement qu’il l’aurait voulu. Même dans son cocon, il aurait voulu pleurer. Maintenant qu’il en était privé, il avait envie de hurler.

Au lieu de ça, il serra les dents. Parfois, un gémissement lui échappait quand même. Erian frappait alors encore plus fort, comme si elle en voulait plus. Mais elle pouvait toujours attendre ! S’il ne pouvait s’empêcher de tressaillir à chaque impact du fouet invisible, Rand ne lui donnerait rien de plus. Et pas question de ne plus la défier du regard !

J’ai tué mon Ilyena…, gémissait Lews Therin à chaque nouveau coup.

Rand avait sa propre litanie, en rythme avec la douleur qui lui déchirait la poitrine.

Voilà où ça mène de se fier aux Aes Sedai !

De la poitrine, Erian repassa au dos.

Plus jamais confiance ! Plus jamais confiance ! Plus jamais confiance !

Ces femmes pensaient le briser. Le forcer à ramper devant Elaida ! Pour leur montrer à quel point elles s’illusionnaient, Rand se contraignit à faire la chose la plus difficile qu’il ait jamais accomplie : sourire. Très probablement, ce sourire ne se communiquait pas à ses yeux, mais que ses lèvres le dessinent alors qu’il sondait le regard d’Erian était une forme de triomphe.