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Une pensée plutôt désespérée, non ? Pourtant, Rand s’aperçut qu’il riait sans pouvoir s’arrêter. Pareillement, impossible de ne plus explorer le bouclier, comme un aveugle qui passe inlassablement ses doigts sur un morceau de verre lisse.

Galina suivit du regard les Aielles jusqu’à ce qu’elles aient atteint le sommet d’une butte, puis se soient engagées dans la descente. À l’exception de Sevanna, toutes ces femmes étaient capables de canaliser, et plusieurs avec une grande puissance. Entourée d’une bonne dizaine de Naturelles, Sevanna avait dû se sentir en sécurité. Une pensée amusante… Ces sauvages étaient décidément méfiantes. Dans quelques jours, Galina les utiliserait de nouveau – la seconde partie du « marché » qui incombait à Sevanna. À savoir, le regrettable décès de Gawyn Trakand et de presque tous les membres de sa Jeune Garde.

Revenant au milieu du camp, Galina trouva Erian à côté du coffre qui contenait al’Thor.

— Il a pleuré, Galina ! s’écria Erian. Et il continue. Tu l’entends ?

Erian éclata en sanglots. Immobile, les poings serrant le devant de sa robe, elle semblait perdue dans une tempête.

— Viens sous ma tente, proposa Galina. J’ai une délicieuse infusion de mûres, et je te poserai un tissu humide sur le front…

Erian sourit à travers ses larmes.

— Merci, Galina, mais je ne peux pas. Rashan et Bartol doivent m’attendre. Ils souffrent plus que moi, j’en ai peur. Parce qu’ils sentent ma douleur, mais aussi parce qu’ils savent que je l’éprouve. Il faut que je les réconforte.

Erian serra chaleureusement la main de Galina, puis elle s’éloigna en silence.

Galina baissa les yeux sur le coffre. Il semblait bien que Rand al’Thor pleurait. Sauf s’il riait, mais ça paraissait peu probable.

Erian venait d’entrer sous la tente de ses Champions. Al’Thor aurait encore des occasions de pleurer. Il restait au minimum deux semaines de voyage jusqu’à Tar Valon, puis il y aurait l’entrée triomphale prévue par Elaida. Vingt jours en tout, au moins… À partir d’aujourd’hui, qu’Erian veuille le faire ou non, le prisonnier devait être puni tous les jours à l’aube et au crépuscule. Une fois à la Tour Blanche, il embrasserait la bague d’Elaida, parlerait uniquement quand on l’interrogerait et s’agenouillerait dans un coin quand on n’aurait pas besoin de lui.

Le front plissé, Galina partit déguster toute seule son infusion.

Alors que ses compagnes et elle entraient dans un bosquet assez dense, Sevanna s’étonna de pouvoir considérer les arbres avec tant d’équanimité. Avant de traverser le Mur du Dragon, elle n’en avait jamais vu tant au même endroit.

— Vous avez toutes vu le moyen qu’elles utilisent pour le retenir ? demanda-t-elle en se tournant vers les autres Matriarches.

À son ton, le « toutes » voulait plutôt dire « également ». La marque de sa modestie naturelle…

Therava regarda ses compagnes, qui hochèrent la tête.

— Nous pouvons reproduire tout ce qu’elles ont tissé, dit-elle.

Sevanna acquiesça et toucha du bout des doigts le petit cube de bois couvert de gravures complexes qui était rangé dans sa bourse. L’étrange habitant des terres mouillées qui le lui avait donné s’était permis de lui dire quand l’utiliser : exactement maintenant, alors qu’al’Thor était prisonnier. Avant de voir son ennemi de ses propres yeux, elle avait pensé qu’elle le ferait. À présent, elle était décidée à jeter le cube.

Sevanna était la veuve d’un chef qui était allé à Rhuidean et d’un homme qu’on avait nommé « chef » alors qu’il ne s’était jamais rendu dans la ville de légende. À présent, elle allait devenir l’épouse du Car’a’carn. Devant elle, tous les Aiels planteraient leurs lances dans le sol. Au bout de son index, elle sentait encore le contact du cou d’al’Thor – l’endroit où elle placerait bientôt un collier.

— Desaine, il est temps.

Bien entendu, Desaine en cilla de surprise. Puis elle eut à peine le temps de crier avant que les autres Matriarches se mettent à l’ouvrage. Alors que Desaine s’était contentée de protester au sujet du statut de Sevanna, celle-ci avait fait un bien meilleur usage de son temps. À l’exception de Desaine, justement, toutes les femmes présentes – et d’autres encore – soutenaient la future épouse du Car’a’carn.

Fascinée par le Pouvoir, Sevanna ne rata pas une miette de ce que faisaient les autres Matriarches. C’était vraiment extraordinaire, ce qu’on pouvait accomplir presque sans effort, comme s’il s’agissait d’un miracle. Et dans le cas présent, il importait qu’on voie bien que le sort de Desaine lui avait été infligé par le Pouvoir.

Mais vraiment, il était extraordinaire qu’un corps humain puisse être déchiqueté ainsi, pratiquement sans effusion de sang.

54

Le message

Alors que le soleil apparaissait à peine à l’horizon, le second jour de la Fête des Lumières commença tambour battant, les rues déjà pleines de candidats à la débauche. À dire vrai, elles ne s’étaient jamais vraiment vidées pendant la nuit. Les célébrations ayant atteint un pic de frénésie, très peu de gens prêtèrent attention à l’homme à la courte barbe bouclée et à l’air sinistre, une hache glissée à sa ceinture, qui chevauchait lentement vers la rivière. Quelques fêtards s’intéressèrent cependant à ses compagnons. À l’un d’eux surtout… Si les Aiels n’étaient plus une « curiosité » en ville – même s’ils avaient déserté les rues depuis le début des festivités – ce n’était pas tous les jours qu’on voyait un Ogier. Plus grand que l’homme à cheval, cet Ogier-là portait par ailleurs une hache sur l’épaule, le manche de l’arme presque aussi long que son propriétaire était grand. Comparé à ce géant, le cavalier aurait presque pu passer pour un joyeux drille.

Sur la rivière Alguenya, tous les bateaux avaient allumé la totalité de leurs lanternes. Même ceux du Peuple de la Mer, sujets de tellement de rumeurs. Alors que leur présence à Cairhien était déjà étonnante, ils étaient à l’ancre depuis déjà pas mal de temps, et sans avoir jamais pris contact avec la terre. D’après ce que Perrin avait entendu dire, les Atha’an Miere désapprouvaient les débordements qui avaient lieu en ville. On pouvait supposer qu’ils réagissaient comme les Aiels, eux aussi outrés par ce spectacle. En voyant des hommes et des femmes s’embrasser à tous les coins de rue, Gaul avait failli faire une crise cardiaque. En revanche, que ces dames portent un chemisier ou non ne lui faisait ni chaud ni froid. C’était la licence généralisée qui le gênait, pas l’impudeur.

D’autres auraient appelé ça l’indécence, probablement…

Entre les hauts murs qui les flanquaient, de longs quais de pierre faisaient saillie dans la rivière. Des bateaux de toutes les tailles y étaient amarrés, y compris des bacs capables selon les cas de transporter un cheval ou cinquante. Mais Perrin ne vit pas trace d’équipage sur ces embarcations. Avisant un bac de quelque trente pieds de long arrimé à plusieurs bittes de pierre, il s’en approcha et tira sur les rênes de son cheval. La rampe d’accès au quai était en place, et un type aux cheveux gris, torse nu, trônait sur une barrique retournée, au milieu du pont, une femme tout aussi grisonnante que lui perchée sur ses genoux. Sur le devant de la robe de cette dame, une demi-douzaine de rayures de couleur signalaient son rang…